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L'Oeil de Brutus

LE JOUR OU LA FRANCE A FAIT FAILLITE

18 Décembre 2011 , Rédigé par L'oeil de Brutus Publié dans #Lectures

LE JOUR OU LA FRANCE A FAIT FAILLITE

Philippe Jaffré et Philippe Riès

Edition de référence : Grasset, 2006.

 

1/ L’AUTEUR.

Philippe Jaffré (né le 2 mars 1945 à Charenton-le-Pont et mort le 5 septembre 2007) est un haut fonctionnaire et homme d'affaires français. Diplômé de l’ENA (promotion Rabelais, avec Laurent Fabius et Daniel Bouton), il en sort major en 1973 et choisit l’inspection des finances. En 1979, il entre dans un cabinet ministériel auprès de René Monory, alors ministre des Finances puis devient en 1984 sous-directeur des participations à la direction du Trésor. Pendant la cohabitation, il est chargé par Édouard Balladur de conduire les privatisations. En 1988, il rejoint pendant trois mois la banque Stern avant de devenir directeur général de la CNCA (Caisse nationale du Crédit agricole), poste qu'il occupe jusqu'à devenir PDG d’Elf Aquitaine en 1993.avec pour mission de privatiser le groupe. Lorsque, en 2000, Total rachète le groupe, il démissionne avec un confortable parachute doré. Il s’investit alors, comme Président du Conseil de Surveillance, dans la Banque Internet Zebank, qui s'avère un échec financier malgré, selon ses propres mots, "un succès technique et commercial indéniable". Il devient en 2002 conseiller de Pierre Bilger (PDG d’Alstom). Il garde ce poste lorsque Patrick Kron devient PDG avant d’être directeur financier puis vice-président exécutif du groupe, poste qu’il occupait à sa mort. En 2006, il publie un roman, Le Jour où la France a fait faillite, dont le but est de mettre en garde contre un accroissement non contrôlé de la dette française et ses conséquences catastrophiques. Il était membre du club Le Siècle.

Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Jaffr%C3%A9

 

Philippe Riès est journaliste, auteur de Cette crise qui vient d’Asie (1998) et, avec Carlos Gohn, de Citoyen du monde (2003).

 

2/ RESUME.

 

Eté 2012. Nicolas Sarkozy vient d’arriver au pouvoir (après avoir perdu les élections de 2007 contre Ségolène Royal). Après cinq années d’impérities socialistes, la dette française s’est encore profondément accrue. Alors que les Français se préparent aux vacances estivales, les agences de notation dégradent la note française au niveau d’obligations pourries. La France ne peut plus se financer auprès des marchés et plus personne ne veut de ses bons du Trésor. S’en suit une grave crise de confiance qui contamine en premier lieu les banques françaises, victimes de la défiance de toute la finance internationale, puis les particuliers dont les cartes de crédit sont rejetées.

Mais Nicolas Sarkozy et le gouvernement (avec à sa tête Laurence Parisot en 1er Ministre …) prennent le taureau par les cornes. Ils négocient auprès des partenaires européens un plan de secours. Mais la contrepartie est rude, voire humiliante : les réserves d’or de la banque de France sont prises en gage et surtout la France doit appliquer un terrible plan de rigueur (pages 110-111, pages 332-334, page 349) :

-         Suppression des statuts de la fonction publique et réorganisation en missions.

-         Réduction d’un tiers des effectifs de la fonction publique, dont 250 000 fonctionnaires licenciés (50 000 rien que pour les forces armées).

-         Sortie complète de l’Etat du secteur concurrentiel (cession de la totalité des participations de l’Etat dans EDF, SNCF, industrie nucléaire et de un quart du patrimoine immobilier de l’Etat)[1].

-         Régionalisation de l’enseignement.

-         Mise en concurrence des universités.

-         Réforme de la protection sociale (non détaillée à l’exception du non-remboursement des dépenses de santé dans la limite de 5% des revenus).

-         Réforme de la fiscalité (non détaillée)[2].

-         Transfert au secteur privé de tous les hôpitaux, de l’enseignement secondaire et supérieur.

-         Baisse de 10% du montant des retraites.

-         Regroupement des communes, suppression des départements et réduction du nombre de régions de 22 à 7.

-         L’enseignement cesse d’être gratuit, l’Etat distribuant aux familles des chèques éducation.

 

Nicolas Sarkozy est ainsi placé par les auteurs en homme providentiel (…). Toutefois, l’épilogue des auteurs est particulièrement sombre. Deux ans après le début de cette crise, les Français émigrent massivement, les DOM-TOM ont pris leur indépendance, la France a perdu son siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Pour finir, le Président et la 1er Ministre meurent dans un attentat terroriste d’extrême-gauche. Et la situation sociale intérieure extrêmement tendue laisse entrevoir, au 2nd tour des présidentielles anticipées, un duel entre l’extrême-droite et l’extrême-gauche …

 

3/ APPRECIATION PERSONNELLE.

 

L’ouvrage décrit excellemment les mécanismes qui seraient à l’œuvre en cas de début de défaut de la France sur sa dette. Mais l’analyse qui en est faite est empreinte de dogmes néolibéraux classiques, primaires et simplistes. Bien évidemment, la solution qui consisterait à monétiser la dette est évacuée du revers de la main : la planche à billet, c’est l’hyperinflation. Point. Pour l’argumentaire sur ce point, on repassera …

En conséquence, et fidèlement au dogme, la seule solution qui reste est l’application d’un plan de rigueur implacable ainsi que tympaniser l’Etat dans toutes ses fonctions, en particulier les fonctions sociales qui ne font qu’encourager l’assistanat. Le consensus de Washington[3] et la stratégie du choc appliquée à la France. On croirait lire ce bon vieux Milton Friedman. Bien évidemment, le sempiternel refrain du déclin français et la culpabilisation des Français sont omniprésents.

Les auteurs finissent tout de même sur une note de lucidité en admettant que de telles politiques exacerbent la violence sociale et favorisent la montée des extrêmes. On pourra également ne faire que les rejoindre dans leurs dénonciations des corporatismes à la française (notamment les partenaires sociaux) (« comme souvent en France, l’intérêt corporatiste l’a emporté sur l’intérêt général », page 358).

 

4/ POINTS PARTICULIERS.

 

-         Les auteurs décrivent la mandature de Ségolène Royal (2007-2012) comme ayant profondément creusé les déficits … de la même manière que ce qu’à fait la mandature de Nicolas Sarkozy dans la réalité.

-         Un pro-américanisme aveugle (qui n’est pas sans rappelé celui de Jean-Marc Sylvestre), accompagné d’un anti-chiraquisme tout aussi primaire (« en quarante ans de vie politique, Chirac avait soit fait perdre son camp, soit fait perdre son pays » page 50, page 243).

-         Les auteurs plaident pour l’inclusion dans les dettes de l’Etat des charges futures des retraites, argumentant que les entreprises en font autant (ce qui est faux : les entreprises paient des cotisations qui elles-mêmes financent les retraites actuelles mais en aucun cas les entreprises ne provisionnent les retraites futures de leurs employés) (page 33). L’argument est fallacieux : d’une part le calcul pourrait être fortement sujet à caution, mais surtout, d’autre part, si les dépenses futures doivent être incluses dans la dette, on ne voit pas pourquoi elles ne concerneraient que les retraites (on pourrait alors, pourquoi pas, également y inclure les futures dépenses d’électricité des administrations) mais aussi pourquoi on y inclurait pas également les futures recettes (par exemple les cotisations retraites …). L’argumentaire captieux des auteurs masque plutôt une approche purement idéologique qui veut remettre en cause le système de retraite par répartition pour le remplacer par un système qui privilégierait l’assurance individuelle en lieu et place de la solidarité collective.

-         Les manœuvres de Goldman Sachs pour aider les Etats à tricher (titrisation des futures recettes fiscales, maquillage des bilans) est dénoncé (page 57).

-         Tout au long de l’ouvrage on retrouve le dogme qui affirme l’efficacité du secteur privé « tout ce qui est privé reste compétitif », page 285) et la gabegie du secteur public (page 59).

-         Confirme l’adhésion de la gauche libérale (la « gauche Delors ») aux dogmes néolibéraux (avec par exemple Nicolas Thierry et Jean-Pierre Jouyet) (page 76).

-         La politique monétaire est décrite, comme toujours pas les néolibéraux, de manière simpliste (et sans une once de démonstration) : la planche à billet génère l’hyperinflation qui elle-même entraîne l’arrivée au pouvoir de régimes autoritaires (page 95).

-         Les auteurs présentent les produits financiers dérivés comme permettant de répartir les risques, même s’ils admettent qu’ils génèrent une nébuleuse opaque (page 129). Ironie de l’histoire, dans l’ouvrage, c’est un banquier américain qui prévient les Européens des dangers de ces produits (page 130).

-         La sempiternelle stratégie du choc des néolibéraux est bien sûr vantée : tels les médecins moyenâgeux qui pratiquaient la saignée, rien ne vaut une bonne et grosse dose de cure d’austérité, douloureuse sur le coup, pour ensuite retrouver la « confiance » des marchés qui permettra le retour de la croissance (page 133). Par ailleurs, et comme toujours, la seule alternative possible à cette stratégie du choc est la collectivisation à outrance et l’autarcie qui ramènent la vie économique du pays à des décennies en arrière (page 232). On retrouve bien la classique binarité des néolibéraux : ce sont eux ou les marxistes-léninistes (ces derniers emploient d’ailleurs la même rhétorique).

-         La mise en exergue de l’exemple argentin est d’une stupéfiante mauvaise foi : bien évidemment, ce sont les péronistes qui ont ruiné l’Argentine, mais rien n’est dit sur les dictatures militaires qui ont, elles, bel et bien appliqué leurs dogmes économiques avec l’appui de l’Ecole de Chicago, décuplant la pauvreté et plongeant le pays dans la faillite (pages 233). Et bien évidemment le contre-exemple cinglant du Brésil de Lula n’est même pas évoqué.

 

5/ CITATIONS.

 

FRANCE / EGALITE

« Cette nation volage, qui n’aima jamais la liberté que par boutades, mais qui est constamment affolée d’égalité. »

            René Chateaubriand, Lettre à Madame la Dauphine, 30 juin 1833, Mémoires d’Outre-tombe.

 

HISTOIRE / FINANCE

«  Il y a en histoire des points de vue plus pittoresques, plus séduisants, que le point de vue financier ; mais l’histoire financière est celle qui fait pénétrer le plus intimement dans le fond même de la vie d’une nation. Rien ne reflète aussi fidèlement son état social, politique, économique, voire même moral, que la manière dont sont assis, perçus et dépensés les subsides exigés des populations pour les services dont les pouvoirs publics ont assumé la charge, et rien aussi n’est en corrélation plus étroite avec la bonne ou mauvaise direction des affaires publiques. Pas de bonnes finances sans une bonne politique, pas de prospérité véritable, pas même de sécurité vraiment assurée, sans des finances bien administrées. Entre elles et les autres parties de la vie publique, entre elles et les conditions d’existence des particuliers, les relations de cause à effet sont si nombreuses, les répercussions sont si constantes, qu’elles sont pour ainsi dire au centre de toute, expliquant tout et résumant tout. »

            Marcel Marion, Histoire financière de la France depuis 1715.

 

 

 

 

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[1] Les auteurs ne relèvent même pas qu’une telle cession massive des actifs de l’Etat (et de même pour les secteurs de l’enseignement et de l’hôpital) ne pourrait se faire qu’à très bas prix. On véritable aubaine pour les ploutocrates, comme ce fut le cas en Russie dans les années 90.

[2] On peut remarquer que ces deux réformes sont les plus politiquement sensibles et que ce sont justement celles-là qui ne sont pas détaillées.

[3] Proposé par l’économiste John Williamson et largement inspiré des thèses néolibérales de l’école de Chicago, le consensus de Washington propose 10 points à appliquer aux économies d’Etat en difficulté :

  • Stricte  équilibre des comptes de l’Etat (pas de relance keynésienne) ;
  • Réorientation des dépenses publiques vers des secteurs offrant à la fois un fort retour économique sur les investissements, et la possibilité d'améliorer les inégalités de revenu (soins médicaux de base, éducation primaire, dépenses d'infrastructure) ;
  • Réforme fiscale anti-redistributive ;
  • Libéralisation des taux d'intérêt ;
  • Un taux de change unique et compétitif ;
  • La libéralisation du commerce extérieur ;
  • Elimination des barrières aux investissements directs de l'étranger ;
  • Privatisation des monopoles ou participations ou entreprises de l'État, qu’il soit — idéologiquement — considéré comme un mauvais actionnaire ou — pragmatiquement — dans une optique de désendettement ;
  • La déréglementation des marchés ;
  • La protection de la propriété privée, dont la propriété intellectuelle.

Le consensus de Washington a été imposé par le FMI aux Etats qui ont du avoir recours à ses prêts, avec des conséquences le plus souvent catastrophiques, notamment en Amérique latine.

 

 

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