LA DEMONDIALISATION
VOTEZ POUR LA DEMONDIALISATION
Arnaud Montebourg
Edition de référence : Flammarion, 2011.
1/ L’AUTEUR.
Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Arnaud_Montebourg
2/ L’OEUVRE.
Dans un opuscule de 87 pages, Arnaud Montebourg prend un relatif contre-pied du programme présidentiel du parti socialiste en présentant ses idées de candidat aux primaires, essentiellement axées sur le concept de « démondialisation ». Préfacé par Emmanuel Todd[i], apôtre du protectionnisme négocié, l’ouvrage est court, incisif et argumenté. Il permet – enfin – de mettre au cœur du débat les réactions à adopter face aux méfaits de la mondialisation. Les disciples de la pensée unique néolibérale[ii] ne s’y sont pas trompés et l’ont immédiatement frappé d’anathème[iii].
Il est toutefois regrettable que Montebourg passe sous un silence discret son plaidoyer pour une VIe République qui ne serait qu’un simple retour au parlementarisme des IIIe et IVe Républiques ou encore son ancienne lutte contre le cumul des mandats auquel il a fini par céder.
3/ DEVELOPPEMENT.
Arnaud Montebourg commence par dénoncer les dramatiques conséquences sur le monde du travail de la mondialisation qui tend à niveler les salaires et les conditions sociales vers le bas. Avec ses « un euro job » (travail à un euro de l’heure) ou ses « job à 400€ (par mois) » sans cotisations retraites ni assurance maladie, l’Allemagne en est une illustration prégnante.
Il dénonce ensuite la prise de pouvoir des multinationales au détriment des politiques. Les patrons du CAC40 sont devenus la nouvelle noblesse aristocratique méprisante du Tiers Etat. Elle est de la même trempe que cette noblesse d’Ancien Régime qui s’exilait à Coblence pour s’allier aux ennemis de la France (cf la dénonciation de « l’anti-France » par Dominique de Villepin, De l’esprit de cour[iv]) (page 33).
Le libre-échange intégral est de plus un leurre dans lequel la réciprocité n’est absolument pas la règle. La Chine multiplie ainsi les critères, notamment en termes de transferts de technologies, pour limiter l’accès à ses marchés intérieurs (page 40).
Les taxes sur les profits pour assurer une redistribution décente aux salariés européens les moins favorisés sont cependant une « rustine sociale ». L’objectif doit être de permettre au salarié de vivre de son travail, non de le laisser dans un perpétuel assistanat. Ce qu’il appelle le « socialisme redistributif » est un échec, tout comme son frère jumeau, le « socialisme d’ajustement », qui ne veut qu’atténuer les méfaits de la mondialisation (page 48).
Un protectionnisme négocié, tant pour défendre les travailleurs que la préservation des intérêts écologiques, est donc plus que nécessaire. Il est même prévu par les statuts du traité fondateur de l’OMC de 1994 (préservation des intérêts de l’environnement par rapport aux intérêts du commerce). Les Etats sont donc totalement libres de fixer des restrictions aux importations au motif qu’elles génèrent une production de CO2 néfaste à l’environnement (pages 54-56).
L’objectif de la démondialisation est finalement double : au Sud, contraindre les multinationales à offrir des salaires et des conditions décentes de travail ; au Nord, les contraindre à réindustrialiser (pages 60-61). Les instruments d’une telle démondialisation existent déjà, par exemple par l’intermédiaire de l’organisation internationale du travail – qui interdit le travail des enfants et le travail forcé, qui exige la reconnaissance du droit de s’organiser en syndicats, etc .. – , il ne s’agit donc que de les faire respecter, par exemple en n’ouvrant nos marchés qu’à ceux qui respectent ces normes (page 65). Une taxe « kilomètre carbone » pourrait également freiner les importations dans un souci de préservation écologique (page 66). Dans tous ces domaines, l’Europe demeure bien naïve. Ainsi, par le biais du Bye American Act, les Etats-Unis empêchent toute entreprise qui n’est pas installée sur le sol américain – et qui n’emploie pas d’Américains – de concourir à des marchés publics. Et cette loi porte même sur les sous-traitants des entreprises remportant les marchés publics (page 67). De même, dans leurs relations économiques extérieures, les Etats-Unis n’hésitent pas à imposer des normes sociales de travail dans leurs accords de libre-échange, comme cela a été récemment le cas pour le Cambodge (page 68).
L’Allemagne sera forcément le partenaire le plus difficile à convaincre dans le cadre d’un protectionnisme européen. Pour autant, les données peuvent être posées de la manière suivante : discipline budgétaire dans tous les pays contre hausse des salaires, maintien de l’euro sous gouvernance de la BCE contre protectionnisme vert (page 79).
En conclusion (pages 83-87), Arnaud Montebourg énonce 17 propositions concrètes dont on retiendra principalement :
- interdiction d’importations ou taxes douanières sur les produits provenant de pays ne respectant pas le protocole de Kyoto ;
- création d’une agence française chargée d’évaluer les coûts social, sanitaire et environnemental des importations et de proposer des mesures anti-dumping ;
- instaurer une taxe carbone extérieure à l’UE et reverser les sommes récoltées au Fonds d’adaptation prévu par le protocole de Kyoto (permettant une transformation écologique des industries du Sud) ;
- instauration d’une taxe carbone européenne interne ;
- instauration d’une taxe sur les pavillons de complaisance pour les contraindre à appliquer les normes écologiques ;
- mettre la convergence sociale et fiscale à l’agenda de l’Union européenne ;
- doter l’UE d’un véritable budget communautaire.
4/ AVIS PERSONNEL.
Opportunisme politique (afin de se différencier de ses adversaires aux primaires socialistes à ou véritables
convictions ? Dans tous les cas, l’opuscule d’Arnaud Montebourg permet de lancer le débat politique sur un terrain volontairement ignoré et méprisé par la pensée unique néolibérale. Hakim El
Karoui[v] avait déjà annoncé en 2006 que le candidat aux présidentielles de 2007 qui se saisirait du thème
du protectionnisme aurait de fortes chances de l’emporter. Aucun candidat majeur n’a daigné s’en saisir. La crise actuelle a toutes les chances de centrer encore plus les aspirations des citoyens
sur le sujet. Reste à savoir si un candidat d’envergure (les chances de Montebourg de remporter les primaires socialistes demeurant faibles) aura le courage de le faire, et surtout si ce même
candidat une fois élu saura tenir son programme. Dans tous les cas, il provoque de telles réactions épidermiques à l’intelligentsia libérale qu’il est plus que probable qu’il
soit effectivement le vecteur à même de bouleverser la donne d’une mondialisation libérale ravageuse pour les plus modestes.
La forme, courte et incisive, choisie par Arnaud Montebourg a le mérite de toucher aisément le lecteur. De fait, elle en est malheureusement réduite à faire des raccourcis parfois un peu simplistes. « Votez pour la démondialisation » appelle donc à un autre ouvrage, plus construit et surtout plus complet sur tous les thèmes majeurs (par exemple fiscalité, éducation, sécurité, avenir de l’euro, etc. …) qui, en tout état de cause, sont, de près ou de loin, reliés à la mondialisation ou … la démondialisation.
5/ CITATIONS.
« Le cycle fou de la mondialisation est un puits sans fond, une machine déréglée dont le carburant est de trouver sans cesse des plus pauvres et des plus dociles. »
Page 21.
« Le libre-échange intégral qui met en compétition des centaines de millions de paysans asiatiques ultra-pauvres avec les anciennes classes ouvrières européennes protégées par deux siècles de lutte, c’est absurde. »
Hubert Védrine, débat avec Etienne Balibar, Philosophie magazine n°42, septembre 2010, cité page 38.
« L’Allemagne est devenue la « Chine de l’Europe », celle qui exporte à tout prix, tire les salaires vers le bas et vit des déficits des autres. Le modèle allemand, c’est un gagnant et vingt-six perdants. »
Page 77.
[i] D’Emmanuel Todd, lire, entre autres, Après la démocratie, Gallimard, 2008.
[ii] On remarquera bien que dès que l’on aborde ce sujet le clivage droite-gauche implose, ce qui montre bien le caractère suranné de ce clivage.
[iii] Lire notamment :
- Attac, La démondialisation un concept superficiel et simpliste, Médiapart, 6 juin 2011,
http://www.france.attac.org/articles/la-demondialisation-un-concept-superficiel-et-simpliste
- Frédéric Lordon, Attac s’inquiète du sort de la démondialisation, Marianne, 16 juin 2011,
http://www.marianne2.fr/Attac-s-inquiete-du-sort-de-la-demondialisation_a207351.html
- Alain Duhmal, Le mythe de la démondialisation, RTL, 20 juin 2011,
http://www.rtl.fr/emission/le-fait-politique/ecouter/le-mythe-de-la-demondialisation-7696770467 0
- Philippe Cohen, La démondialisation dernière hérésie dont on cause, Marianne, 21 juin 2011,
http://www.marianne2.fr/La-demondialisation-derniere-heresie-dont-on-cause_a207614.html
- Jack Dion, La démondialisation mérite mieux qu’un échange d’invectives, Marianne, 21 juin 2011,
http://www.marianne2.fr/La-demondialisation-merite-mieux-qu-un-echange-d-invectives_a207617.html
- Elie Arié, La démondialisation pour pallier la faillite de l’Union européenne, 17 juillet 2011.
[iv] Dominique de Villepin, De l’esprit de Cour, Perrin, 2011.
[v] Hakim El Karoui, L’avenir d’une exception, Flammarion, 2006.