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L'Oeil de Brutus

L'ETAT PREDATEUR

18 Juillet 2011 , Rédigé par L'oeil de Brutus Publié dans #Lectures

L’ETAT PREDATEUR : Comment la droite a renoncé au marché libre et pourquoi la gauche devrait en faire autant.                                                                                                                                                                        

James K. Galbraith

Edition de référence : Seuil / 2009 (EO 2008).

 

1/ SYNTHESE DE L’OEUVRE.

 

Pour James Galbraith, le dogme néolibéral initié aux Etats-Unis au début des années 80, sous Ronald Reagan, a subit une mutation : il s’est transformé en une ploutocratie qui utilise l’Etat afin de mettre en œuvre sa volonté prédatrice sur l’économie. En effet, des rapports économiques non régulés peuvent être vus comme un conflit entre des prédateurs qui cherchent à s’accaparer des proies, par exemple des entreprises voulant s’accaparer des marchés. Ici, quelques grandes entreprises, proches des milieux de pouvoir, ont établi un régime de prédation pour s’accaparer l’utilisation des fonds publics. De fait, la droite américaine n’est devenue que l’instrument de quelques grandes entreprises qui la finance et n’a plus pour objet, en s’appuyant sur l’alibi libéral, d’externaliser le maximum de fonctions étatiques à sa clientèle. Le dogme libéral n’est ici que l’argument d’externalisation : le privé fonctionne toujours mieux que la bureaucratie étatique. Mais, l’attribution des marchés ne se fait absolument pas de manière libre : la ploutocratie proche du pouvoir veille à en fausser les règles. L’Etat a ainsi totalement perdu, et même inversé, son rôle de régulateur : il est l’instrument de la mise au service des fonds publics aux intérêts privés de quelques uns et les mécanismes de protection publics sont systématiquement subvertis au bénéfice d’une clientèle privée. Cette mise en coupe réglée de l’Etat trouve son aboutissement sous le double mandat de Georges W. Bush, avec, entre autres, la nomination systématique lobbyistes à la tête des administrations chargées de faire respecter la réglementation, la privatisation de la sécurité nationale et les tentatives de privatiser la Caisse de retraite publique.

Finalement, la droite américaine ne réduit pas l’Etat à sa plus simple expression par principe, elle ne fait qu’en détourner les ressources au profit de sa clientèle et dans le mépris du bien commun.

En réponse, James Galbraith propose trois solutions :

-          Remettre en place une capacité de planification étatique.

-          Mettre en place un régime de contrôle des salaires et des prix[1].

-          Les Etats-Unis doivent se préparer à perdre leur position de leader mondial qui leur permet actuellement d’émettre des chèques quasiment sans provision.

 

2/ L’AUTEUR.

 

Retrouver la biographie de James Galbraith sur Wikipédia (cliquer ici).

 

3/ DEVELOPPEMENT.

 

Le corpus idéologique néolibéral, selon les premiers réganiens, s’appuie sur quatre points :

-          le monétarisme, la monnaie de joue pas sur les grands agrégats de l’économie (par exemple le chômage) et elle ne doit être utilisée que pour contrer l’inflation, nuisible à la confiance dans les marchés.

-          L’économie de l’offre qui consiste à estimer que la stimulation de l’offre entraine mécaniquement la demande.

-          L’équilibre budgétaire (des finances publiques).

-          Le libre-échange.

Galbraith constate que les idéologues de ces principes ont quasiment disparus (page 28). Même Milton Friedman, le père du monétarisme a fini par abjurer sa foi : « Cibler l’action sur la quantité de monnaie n’a pas été un succès […]. Je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui je préconiserais cette politique avec autant d’acharnement que je l’ai fait autrefois. » (page 29). Les conservateurs n’ont donc plus d’idées, uniquement des postures de principes (page 32), qu’en plus ils n’appliquent plus. La pensée néolibérale s’est donc figée en dogme.

Si de plus on revient quelque peu en ailleurs, on ne peut que constater l’ampleur des dégâts occasionnés par cette idéologie : les pays qui ont appliqué le consensus de Washington (notamment l’Amérique du Sud et en particulier l’Argentine) ont vu leurs économies s’effondrer tandis que ceux qui ont suivi leur propre chemin (la Chine, l’Inde) ont émergé (page 35). Pourtant la pensée néolibérale, bénéficiant de l’appui décisif de grandes universités américaines, s’est imposée unilatéralement et avec un quasi terrorisme intellectuel à toute la classe politique américaine, tant et si bien qu’aujourd’hui on voit bien plus la gauche invoquer les vertus du marché libre que la droite qui a bien pris acte de l’échec de ces politiques.

 

Dans le chapitre 2, Galbraith dénonce la confusion établie par les néolibéraux entre libéralisme économique et libéralisme politique. Le libéralisme économique ne repose que sur la liberté d’acheter (ou pas). Il s’appui donc sur le consumérisme, qui n’a rien à voir avec le libéralisme politique et/ou philosophique (page 43). De plus, le néolibéralisme a en son sein une contradiction profonde[2] : l’entreprise capitaliste cherche logiquement à s’emparer d’une part croissante du marché de biens ou de services qu’elle commercialise ; à terme son but est donc de se mettre en situation de monopole, sinon d’oligopole, contradictoire avec le marché libre puisque dans cette hypothèse elle pourra librement fixer ses prix à des consommateurs dépourvus de choix. Dans, cette optique, l’entreprise est donc opposée au marché libre ! (page 51).

 

Le chapitre 3 permet à Galbraith de réfuter la théorie de l’économie de l’offre, et surtout son corollaire : les baisses d’impôts pour les plus riches (afin de leur permettre d’épargner et d’investir, favorisant ainsi la relance de l’offre). Galbraith relève dans un premier temps que l’opposition entre épargne et consommation est un faux débat : il existe de l’épargne-consommation (par exemple l’achat de la résidence principale) (page 57). Par ailleurs, rien ne prouve que des baisses d’impôts dynamisent l’épargne : même les plus riches peuvent décider de consommer (en s’achetant des résidences secondaires ou des œuvres d’art par exemple)[3]. De plus, l’économie de l’offre soulève une nouvelle contradiction de l’idéologie néolibérale : si l’Etat s’occupe de dynamiser l’épargne, il influe sur le marché des capitaux financiers (et en conséquence indirectement sur le marché de la consommation) ; celui-ci n’est plus alors totalement libre (page 58). Galbraith préconise donc logiquement une imposition très progressive, mais surtout qui s’applique au moment du retour du capital et de ses intérêts à leurs propriétaires afin d’encourager ses derniers à conserver leur épargne au bénéfice des entreprises et non à contraindre celle-ci à verser des dividendes et des stock-options démesurés. Dans l’autre sens (une faible imposition des revenus du capital), les actionnaires tendent à contraindre les entreprises à leur verser de forts dividendes. Paradoxalement, une forte imposition des revenus du capital (au versement) tend donc à favoriser les entreprises[4].

 

Dans le chapitre 4, Galbraith revient sur le monétarisme préconisé par Milton Friedman. Il voit dans l’abandon de la parité dollar-or et la mise en place des changes flottants comme la source majeure de toutes les crises économiques des années 70. Ainsi, les crises au Moyen-Orient n’ont servi que d’alibi à l’OPEP pour relever le prix du baril de pétrole qui avait déjà fortement souffert de la dévaluation du dollar lié à cet abandon  et c’est ce processus (et non la surabondance de monnaie) qui a engendré l’inflation des années 70 aux Etats-Unis (page 76). De plus, en accusant la monnaie d’être la source d’inflation, les dirigeants politiques se débarrassent aisément de leurs responsabilités (page 77). La résolution de l’inflation à partir des années 80 n’a pour autant rien à voir avec les politiques monétaristes, comme l’admet lui-même l’ancien directeur de la FED Alan Greenspan. La chute de l’Union soviétique a permis la mise sur le marché d’énorme quantité de pétrole et de gaz à bon marché pendant que la montée de la Chine mettait à disposition une main d’œuvre importante à très faible coût. La réunion de ces deux facteurs à logiquement provoqué une tension des prix vers le bas et mis ainsi naturellement fin à l’inflation (page 79). De plus, la politique monétariste soulève une nouvelle contradiction du néolibéralisme : elle fait ce qu’aucun acteur extérieur au marché ne devrait pouvoir faire en fixant les prix (les taux d’intérêts) ! (page 80). Galbraith s’oppose également à Friedman sur les origines du chômage. Selon ce dernier, le plein emploi entrainerait une hausse de la demande, donc de l’inflation, puis une crise et donc du chômage. Pour les néolibéraux, un minimum de chômage (sic…), ce qu’ils appellent le taux naturel, est donc nécessaire au fonctionnement de l’économie (page 81). A contrario, pour Galbraith, le plein emploi fait que les entreprises ont du mal à trouver du personnel compétent, elles vont donc chercher à produire avec moins de main d’œuvre, ce qui va entrainer une hausse de la productivité (et non nécessairement de l’inflation puis du chômage …) (page 83).

 

Le chapitre 5 permet à Galbraith d’exposer la « théorie des déficits jumeaux[5] », qui entraine selon lui un déficit obligatoire du budget fédéral américain et de la balance commerciale américaine depuis que la parité dollar-or a été abandonnée. Le fait que le dollar soit monnaie d’échange mondiale impose tout simplement que des dollars « sortent » des Etats-Unis, ou plutôt qu’il y en ait davantage à sortir qu’à rentrer, d’où la nécessité du déficit commercial américain. De plus, pour que ces dollars « sortent » des Etats-Unis, il faut également, et tout aussi simplement, que la banque centrale américaine en mette en circulation (ou du moins en mette davantage en circulation qu’elle n’en met en réserve) et donc que l’Etat fédéral dépense davantage qu’ils n’ont de recettes. Auparavant, ce dilemme était résolu naturellement par l’achat par la banque centrale américaine de grandes quantités d’or à travers le monde. Depuis l’abandon de la parité dollar-or, les Etats-Unis sont condamnés à être en perpétuel déficit (page 97). L’ère Clinton – pendant laquelle les Etats-Unis étaient en double bénéfice – constitue une exception, mais elle est en trompe l’œil : la création monétaire a été dévolue (on parle de « dévolution keynésienne ») de l’Etat vers les ménages qui se sont surendettés pour créer cette monnaie (pendant que la banque centrale mettait les dollars qu’elle « créait » à disposition des banques pour les leur prêter), entrainant les bulles des années 2000 (page 100).

 

Le chapitre 6 est consacré à démontrer que le libre-échange absolu n’existe pas.  Dans un premier temps, Galbraith dénonce les approches simplistes qui entourent la question, notamment sur le protectionnisme et la « main invisible ». Ainsi, une lecture attentive d’Adam Smith permet de saisir que celui-ci n’était pas libre-échangiste : il dénonçait la recherche systématique des excédents commerciaux des mercantilistes et, toujours selon lui, la véritable richesse des nations résidait dans ses capacités de production (page 107). En outre, un simple exercice de pensée permet de démontrer que la théorie des avantages comparatifs, basée qui plus est sur des rendements constants – ce qui est une aberration -, de Ricardo ne tient pas si l’on l’applique aux échanges commerciaux de plus de deux nations (page 109). La spécialisation d’une nation dans un seul type de produit est de plus extrêmement dangereuse à long terme : elle perd tout son intérêt lorsque la technologie ou la mode se retourne contre elle (page 112).

Par ailleurs, les institutions commerciales et financières mises en place après la 2e guerre mondiale (FMI, GATT) avait initialement pour objectif d’internationaliser le New Deal, notamment en permettant de réglementer les marchés financiers internationaux. La fin de Bretton Woods (avec l’abandon unilatéral de la parité dollar-or) a totalement dévoyé ces institutions de leurs objectifs initiaux : les taux de change flottants des monnaies ont été une manne pour la spéculation financière, entrainant le déclin industriel des nations développées par un cercle vicieux admirablement décrit par Galbraith. Ainsi, dans le contexte des taux de change flottants, les facilités de crédit (faibles taux d’intérêt des banques centrales) entraînent mécaniquement une hausse de la valeur de cette monnaie (les banques préfèrent emprunter dans cette monnaie puisque le coût du crédit y est moindre, donc la demande pour cette monnaie augmente). Cette hausse de la devise entraîne une baisse des exportations (moins compétitives par rapport à des monnaies « moins cher ») et parallèlement une hausse des importations. De fait, la consommation croît et la production décroît, ce qui soit génère une bulle du crédit qui explose à moyen terme, soit provoque immédiatement une hausse du chômage. Convertie au dogme de la théorie de l’offre, les banques centrales cherchent alors à relancer l’investissement en … baissant les taux intérêt, relançant donc ce cercle vicieux (page 117).

La réussite commerciale de la Chine s’inscrit donc dans un total contre-pied des théories néolibérales : son Etat contrôle le taux de change de sa monnaie et les flux de capitaux, la plupart de ses entreprises ne sont pas cotées en bourse (et évitent donc la dictature des actionnaires) (page 129). Cependant, fortement incitée par l’OMC, la Chine pourrait admettre une libéralisation de ses marchés financiers. En ce cas, Galbraith prédit une crise rapide et importante du modèle chinois, notamment parce que dans la configuration actuelle les banques chinoises sont contraintes à consentir des prêts à très long terme aux entreprises que ces prêts risqueraient fort de disparaître dans un marché financier libéralisé qui privilégierait le court terme.

 

Galbraith consacre le chapitre 7 à la hausse des inégalités. Selon lui, il faut redéfinir le chômage : non pas comme une recherche d’emploi mais comme une recherche d’un meilleur emploi (page 144). En s’attachant à cette définition, on constate que l’inégalité produit du chômage : plus les différences de salaires sont élevés, plus les travailleurs vont avoir tendance à fuir les emplois précaires, instables et exercés dans des conditions difficiles pour se mettre en quête d’un « meilleur emploi ». Pour illustrer ce fait, Galbraith s’appuie sur une étude statistique qu’il a réalisée en 1999 et qui montre le lien entre inégalités salariales et chômage (page 15). De plus, il se déporte sur l’ancien continent pour en donner une nouvelle illustration. L’Europe est réputée moins inégalitaire que les Etats-Unis mais souffre d’un taux de chômage plus élevé, ce qui contredirait sa théorie. Mais, finalement, c’est qu’il faut prendre l’Europe comme un marché d’ensemble. De fait, on constate que les écarts de salaires entre les ouvriers portugais et les plus grands patrons de la zone euro sont bien plus importants qu’aux Etats-Unis. A contrario, les pays scandinaves (Norvège, Suède, Danemark), aux démocraties sociales relativement bien égalitaires, connaissent, malgré les crises économiques, de faibles taux de chômage[6].

 

Le chapitre 8 permet à l’auteur de réaffirmer sa profonde conviction pour les grands principes du New Deal. Selon lui, la résilience de l’économie américaine est liée en grande partie aux restes de l’Etat-providence que n’ont pas encore démantelés les néolibéraux (page 157). Il s’insurge entre autres du démantèlement du système de santé américain (dont le coût est pourtant deux fois supérieur à l’énorme budget militaire des Etats-Unis, tout en laissant 47 millions de personnes sans assurance maladie). D’évidence, le système santé ne peut être soumis aux lois du marché, ne serait-ce que parce que le « consommateur de santé » en face d’une urgence médicale n’a pas le loisir de faire jouer la concurrence (page 159).

On notera également que Galbraith identifie trois autres facteurs permettant aux Etats-Unis de conserve un taux de chômage relativement bas : un excellent système universitaire, une armée nombreuse qui emploie donc beaucoup de non-diplômés et … un système pénitentiaire bondé de chômeurs potentiels (page 164).

En conclusion de ce chapitre, l’auteur voie deux conditions majeures à la pérennité  du système économique américain (page 168) :

-          que quelqu’un accepte de financer la dette extérieure américaine ;

-          que le système de prédation du secteur public par les plus riches soit arrêté.

 

Le chapitre 9 est relatif à la crise de la grande entreprise américaine. Galbraith identifie 4 sources de ce phénomène (page 175) :

-          la monté du commerce ;

-          l’emprise du pouvoir financier ;

-          l’externalisation du développement technologique ;

-          la mise en place d’une oligarchie fermée dans la classe supérieure des dirigeants d’entreprise.

La très faute hausse des taux d’intérêts au début des années 80 a également été une initiatrice : le coût de l’argent (les taux des crédits à long terme) a conduit les entreprises a privilégié le « court-thermisme », et donc le commerce et la finance, tout en négligeant la recherche (page 177). Galbraith illustre ce fait d’un exemple probant : une compagnie de gaz américaine – le fameux scandale Enron – qui s’est transformée, ou plutôt vendue aux marchés financiers, en tant que « courtier en énergie » : elle en a négligé la production de gaz pour se concentrer uniquement sur la vente à court-terme uniquement pour accéder aux faveurs du monde de la finance (page 178).

Les attendus des postes de dirigeants de grandes entreprises a également évolué dans un sens prédateur : le critère de sélection d’un PDG réside désormais principalement dans les résultats obtenus au même poste dans une autre grande entreprise (d’où un jeu de chaises musicales entre grandes entreprises qui conduit à la création d’une oligarchie de dirigeants), à savoir sa capacité à faire diminuer les coûts et augmenter le cours de l’action, sans rapport avec sa capacité à faire fonctionner l’entreprise ni à l’inscrire dans la rentabilité à long terme (pages 181-182).

Au final, on constate que des marchés non régulés encouragent la fraude (ce sont donc les plus mauvais entreprises qui sont valorisées au détriment des meilleures) ou conduisent à des aberrations (à l’éclatement de la bulle internet, on s’est ainsi rendu compte qu’il y avait cinquante fois plus de commandes de câbles de fibre optique que de besoins réels identifiés) (pages 183-184).

 

A travers le chapitre 10, Galbraith revient sur son thème majeur : l’essor de l’Etat prédateur. Il s’appuie sur des travaux de Thorstein Veblen (théorie de la classe de loisir). Dans les sociétés postindustrielles, les grands capitaines d’industrie ont pris la place de la caste guerrière des sociétés féodales : ils ne travaillent pas réellement mais détiennent une charge et devient ainsi une classe de loisirs (comme les seigneurs féodaux) (page 186).

A travers les différents points de vue, on peut distinguer trois grandes approches de l’ordre social (page 187) :

- l’approche marxiste, qui oppose deux classes en perpétuel conflit, les prolétaires et les bourgeois ;

- l’approche libérale et néolibérale (Hayek, Friedman), où chaque métier apporte sa contribution à l’ordre social et est rétribué en fonction de sa productivité jaugée à l’aune des marchés ;

- l’approche de Veblen (selon Galbraith trop subversives pour les partisans du marché et trop cynique pour les marxistes), qui voit un ordre fondamentalement stable mais dans lequel une classe improductive exerce sa prédation sur toutes les autres.

Si l’on admet l’approche vébléienne, il est alors nécessaire qu’un pouvoir au service du bien commun régule, au moins à minima, les tendances prédatrices de la classe improductive. Et l’expérience à clairement montré l’échec de cette régulation par des pouvoirs privés, par essence éloignés du bien commun (page 188). On notera l’exemple donné par Galbraith de Kennedy affrontant publiquement le géant américain de l’acier US Steel (en 1962) pour le contraindre à revenir sur une hausse massive des prix comme une excellent démonstration d’un pouvoir politique réellement volontaire qui peut – et sait – s’imposer face aux grands intérêts privés.

Revenant sur le système de santé américain, Galbraith cite une étude des économistes de Harvard Himmelstein et Woolhandler qui évaluent à 350 Mds $ / an (près de 2% du PIB américain !) le gaspillage due à l’ineptie de ce système (page 194).

Néanmoins, les ploutocrates ne peuvent afficher leur prédation en programme établi auprès des électeurs sans provoquer leur fuite. Aussi, à l’instar de Georges W. Bush[7], en affichage, ils se concentrent donc sur les questions de sécurité (intérieure et/ou extérieure) et sur les questions de société (page 208).

 

En conclusion (chapitres 11 à 14), Galbraith énonce ses solutions pour remédier à l’ « Etat prédateur » :

-          (re)mettre en place une assurance sociale publique (page 228).

-          Réglementer sévèrement les secteurs à même de se transformer en monopoles (par exemple l’électricité), terres de chasse favorites des prédateurs (page 229).

-          Le recours à la planification pour palier les deux défauts majeurs du marché : les plus pauvres n’y ont aucun rôle, tout comme ceux qui ne sont pas encore nés ou pas encore en mesure de peser sur le marché (le marché est donc, par exemple, totalement incapable d’anticiper les défis écologiques du futur). La prétention des marchés à terme de palier au second point est un leurre : les marchés à terme sont bel et bien conçus par les acteurs d’aujourd’hui (page 240). Galbraith en profite pour identifier ceux les plus à même d’œuvrer à cette planification c’est-à-dire ceux qui essaient de défendre les intérêts collectifs (les scientifiques, ingénieurs, quelques économistes et les intellectuels publics), au contraire des banquiers, des lobbyistes et de la plupart des économistes qui tendent à défendre des intérêts particuliers.

-          Le contrôle des prix (au moins des produits de premières nécessités) et des salaires (pages 255-256).

-          L’insertion d’un minimum de normes sociales (salaires, conditions de travail) dans les accords commerciaux internationaux (page 264).

-          Une action directe de l’Etat, par la législation et une administration approprié, et non des interventions indirectes (par exemple par le biais de la fiscalité) (page 278).

Enfin, Galbraith s’interroge sur l’extravagante position du dollar qui permet aux Etats-Unis de vivre à crédit du reste de la planète (pages 272-273). Cette position ne pourra durer ad vitam aeternam et il est primordial, pour les Américains comme pour le reste de la planète, de réfléchir dès à présent à la sortie de ce système (ou plutôt de ce non-système).  La première justification du maintien de ce système est un accord plus ou moins tacite entre les Etats-Unis d’un côté et les Européens et le Japon d’autre part qui consiste à échanger la sécurité militaire contre la suprématie du dollar (page 287). Galbraith propose donc plusieurs pistes pour préparer les Etats-Unis à la fin de la suprématie du dollar (page 291) :

-          Redynamiser l’économie américaine en relançant la production et la recherche, via un programme de planification et de mises en place de normes (page 291). Cette solution pourrait même permettre de conserver pendant encore un temps la suprématie du dollar.

-          Il est néanmoins possible, si le reste du monde en vient à refuser de continuer à acquérir les bons du trésor américains, que les Etats-Unis n’aient d’autre alternative de fermer leur économie afin de préparer un rebond.

Toutefois, les Etats-Unis ont encore de très bons atouts pour rebondir : leur avance technologique et scientifique et  la stabilité et la souplesse des instituions publiques (malgré les démantèlements des néoconservateurs).

 

4/ AVIS PERSONNEL.

 

Galbraith a rédigé un ouvrage dense qui permet de parfaitement saisir les mécanismes de l’économie américaine et des manœuvres politiques à caractère économique de des 30 dernières années. Il réalise ainsi un puissant argumentaire pour un retour au Keynésianisme et à l’Etat-providence. Néanmoins, on pourra lui reprocher de n’être pas tout au fait au rendez-vous de vulgarisation qu’il s’est lui-même fixé : la lecture de l’Etat prédateur nécessite tout de même de relativement solides connaissances en économie.

 

5/ CITATIONS.

 

« L’association entre marchés et liberté à sa source dans un principe philosophique : la décentralisation est l’amie de la liberté. Inversement, ce mode de pensée soutient que la centralisation et la bureaucratie sont ses ennemis. »

            Page 11.

 

« La réglementation n’est pas l’adversaire des marchés. Elle n’est pas une entrave au fonctionnement d’un capital privé qui serait efficace s’il était libre, ni un incube qui en abuse. En réalité, c’est une réglementation efficace qui permet l’existence même de marchés un peu complexes ou problématiques. En son absence les mauvais acteurs chassent les bons et finalement la confiance dans le marché lui-même s’effondre. »

            Page 14.

 

« Aujourd’hui dans la grande maison de la politique conservatrice, il n’y a plus que des lobbyistes et des politiciens à leur service. »

            Page 28.

 

« Cibler l’action sur la quantité de monnaie n’a pas été un succès […]. Je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui je préconiserais cette politique avec autant d’acharnement que je l’ai fait autrefois. »

Milton Friedman, interview au Financial Times, 9 juin 2003 (page 29).

 

« L’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire. »

            Milton Friedman et Anna Scharwtz, A monetary history of the United States. (page 72)

 

«  « Protectionnisme » est un épithète à tout faire, qui démolit toute démonstration et met un terme à la conversation. »

            Page 105.

 

«  « Avantage comparatif » est plus un slogan qu’une analyse. »

            Page 111.

 

« La voie royale pour sortir du sous-développement est la diversification, pas la spécialisation. »

            Page 112.

 

« Aucun des pays du monde qui ont vraiment réussi dans le commerce, dont le Japon, la Corée du Sud, Taiwan, et maintenant la Chine continentale, n’est parvenu à son statut actuel en adoptant des règles commerciales néolibérales. »

            Page 112.

 

« L’explosion des rémunérations des PDG, notamment celles qui passent par les stock-options, pose une question cruciale : est-ce le PDG qui travaille pour l’entreprise ou le contraire ? »

            Page 180.

 

«  Un cadre réglementaire qui fonctionne est un avantage compétitif de la composante la plus progressiste du mondes entreprises : celle-ci souhaite – dans son propre intérêt – forcer tout le monde à jouer conformément aux mêmes règles. »

            Page 190.

 

« Après l’accession de Georges W. Bush à la présidence, l’administration est devenue une simple alliance des représentants des secteurs réglementés – les mines, le pétrole, les médias, les produits pharmaceutiques, l’agro-industrie – cherchant à mettre totalement à genoux le système de réglementation. »

            Page 191.

 

« C’est une pure illusion d’attendre de monopoles naturels qu’ils se transforment en concurrents parfaits. Il ne suffit pas d’appeler quelque chose « marché » pour avoir un marché concurrentiel. »

            Page 230.

 

«  De moins en moins d’Américains soutiennent la politique commerciale de notre gouvernement. Ils voient la contraction de la classe moyenne, les emplois perdus, l’explosion des déficits commerciaux. Pourtant, les partisans du libre-échange continuent à en redemander – encore plus d’accords de commerce tueurs d’emplois, encore plus d’avantages fiscaux pour les entreprises qui exportent des postes de travail, et des incitations publiques plus généreuses à l’externalisation. »

            Sherrod Brown et Buron Dorgan, sénateurs américains, The Washington Post, 23 décembre 2006 (page 264).

 

« Le système qui nous permet d’avoir un déficit commercial de 800 milliards de dollars par est-il risqué ? Oui. Est-il possible que les détenteurs  de nos bons du Trésor, notamment la Chine, paniquent ? Est-il possible qu’ils nous coupent les vivres pour des raisons politiques, comme une crise sur Taiwan ? Ou même sur l’Iran ? Oui, tout cela est possible. Le système est fragile, et il est dangereux. »

            Page 274.

 

« Les Etats-Unis ne sont pas soumis aux règles normales du système mondial. Ils n’ont pas à accepter les termes et la discipline des marchés de capitaux. Ils sont plutôt en position, jusqu’à un certain point, de faire les règles, de les imposer aux autres et de s’exempter des rigueurs les plus dures de leur application. Ce n’est pas juste, bien sûr. Mais c’est ainsi que le système a fonctionné. »

            Page 281.

 



[1] Idées héritées de son père, cf John Kenneth Galbraith, Tout savoir ou presque sur l’économie.

[2] Déjà relevée en son temps par John K. Galbraith, Ibid.

[3] On notera que ce débat est vu sous un prisme complètement différent en France où il s’agit d’accorder des baisses d’impôts aux plus riches afin d’éviter les exils fiscaux. Aux Etats-Unis, cet argument ne semble jamais invoqué.

[4] Galbraith rejoint ici les idées de Frédéric Lordon (http://blog.mondediplo.net/-La-pompe-a-phynance) .Lire notamment « Il faut fermer la bourse » : http://www.marianne2.fr/Frederic-Lordon-il-faut-fermer-la-Bourse_a189692.html

[5] Galbraith n’explicite pas de manière très claire cette théorie. Il est nécessaire de trouver d’autres références pour s’en faire une idée claire.

[6] Ce confirme bien l’aberration de vouloir réaliser une intégration monétaire sans réelle intégration économique, dénoncée par de nombreux économistes de tous bords (sauf bien sûr les quelques néolibéraux qui s’obstinent dans leurs aberrations). Lire, notamment, Amartya Sen, L’euro fait tomber l’Europe (http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/07/02/l-euro-fait-tomber-l-europe_1543995_3232.html), ou encore Jacques Sapir, Derrière la crise grecque l’explosion de l’euro (http://www.marianne2.fr/Sapir-derriere-la-crise-grecque-l-explosion-de-l-euro_a206801.html), Frédéric Lordon, Extension du domaine de la régressions (http://www.monde-diplomatique.fr/2011/04/LORDON/20360), Emmanuel Todd, Je serais très étonné que l’euro survive à 2011 (http://blogrepublicain.hautetfort.com/archive/2011/01/17/je-serais-tres-etonne-que-l-euro-survive-a-2011-e-todd.html) , Joseph Stiglitz, l’euro est menacé (http://lexpansion.lexpress.fr/economie/pour-joseph-stiglitz-la-zone-euro-est-menacee_231667.html) .

[7] Et de Nicolas Sarkozy en France …

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T
Excellent article qui simplifie très efficacement un des meilleur livre d'économie politique de ces dernières années. Merci beaucoup !
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