EFFET SABLIER & HOMME ECONOMIQUE
Mr Jean-Marc Vittori, éditorialiste aux Echos, a publié l’an dernier « L’effet sablier » chez Flammarion. Un ouvrage aux théories intéressantes au premier abord, mais surtout riche d’enseignements sur les sous-entendus de la pensée néolibérale.
Sur la forme, l’auteur décide de s’affranchir au maximum des références statistiques. Initiative louable dans un monde où la tyrannie du chiffre tend à régner en maître. Sa théorie générale est intéressante au premier abord, et sa conviction que l’économie moderne tend à placer la connaissance comme principal facteur de richesse matérielle tend à la confirmer.
Mais au final, son argumentation s’avère difficile à suivre, pour ne pas dire bancale, voire absurde, notamment lorsqu’il s’agit de justifier la disparition des structure hiérarchiques pyramidales au profit des structures matricielles, dictée, selon l’auteur, uniquement par les besoins toujours plus fluctuants des consommateurs, et non (il n’en parle même pas) par la capacité de masquer des licenciements par des faillites de sous-traitants ou encore le soucis de la rentabilité maximale à court terme . Ce court ouvrage (125 pages) semble finalement avoir été écrit sur le coup d’une intuition (pas forcément mauvaise au demeurant) voire une impulsion et apparaît irrémédiablement bâclé.
Sur le fond, les théories néolibérales, à peine sous-jacentes au départ, éclatent au grand jour à la conclusion. L’auteur finit même par se réjouir de la disparition des classes moyennes, en omettant totalement le rôle fondamental qu’elles ont jouées dans l’établissement de la démocratie. Il va juste qu'à en clamer l'inéluctabilité, et ceci sans vraiment argumenter. Fidèle aux théories néolibérales, il vilipende toute idée de solidarité dans les dispositifs de protection sociale et vante les « vertus » des logiques d’assurances sociales. Vittori va même jusqu’à proclamer que « Dans une société plus émiettée, la violence collective et la guerre des uns contre les autres paraît moins probable », comme si des pauvres encore plus pauvres, sans courroie de transmission sociale (les classes moyennes), ne finiraient pas par vouloir faire rendre gorge aux riches encore plus riches ! Mais non : pour lui, dans une société hyper-individualisée, personne ne pensera se regrouper avec ses voisins pour faire valoir au moins ses intérêts, au mieux ses convictions … Vive donc le chacun pour soi !
Par ailleurs, il ne peut y avoir qu’un ultralibéral dogmatique pour croire (ou espérer) que l’organisation sociale découle purement et simplement de l’organisation de l’entreprise privée (1), négligeant ainsi totalement les effets de la culture, des arts, de l’Histoire, de l’éducation, de la famille … etc. Pour Vittori, l’homme n’est qu’économique, et donc, logiquement, la société l’est de même. Fabuleux rêve post-positiviste et nihiliste qui tend à transformer l’homme en machine à produire, oubliant ses impulsions, ses émotions, ses désirs, ses passions … en bref : son humanité, avec ses tares et ses grandeurs. On se croirait dans « Le meilleur des mondes » d’Aldous Huxley.
(1) : Jean-Marc Vittori a même l’audace d’appuyer son argumentation sur Karl Marx : « Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie sociale, politique et intellectuelle » (Contribution à la critique de l’économie politique)