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L'Oeil de Brutus

LE CONFLIT DES AEROPORTS : PREMICES DE L’ETAT PREDATEUR ?

26 Décembre 2011 , Rédigé par L'oeil de Brutus Publié dans #Idées

 

LE CONFLIT DES AEROPORTS : PREMICES DE L’ETAT PREDATEUR ?

 

 

 

Dans l’Etat prédateur, James Galbraith décrit comment les dogmes néolibéraux ont permis aux Etats-Unis l’établissement d’une ploutocratie qui met l’Etat en coupe réglée aux profits d’intérêts privés[1].

 

Le conflit social des agents de sécurité des aéroports français peut paraître loin de ce sujet. Pourtant plus d’un détail devrait nous y faire réfléchir.

Bien évidemment, la prise en otages des usagers en période de fêtes, litanie des organisations syndicales, est regrettable à bien des points. Mais tout aussi regrettable est l’amalgame réalisé entre ces salariés soumis à des conditions de travail réellement pénibles et d’autres (en particulier quelques agents de la SNCF, de la RATP ou encore du contrôle aérien) qui ont multiplié ces prises d’otages aux seules fins de préserver leurs privilèges de castes dans une logique purement corporatiste. L’abandon des syndicats français à ces logiques corporatistes est d’ailleurs un véritable fléau pour notre démocratie sociale (et même une honte pour notre pays) qui mériterait un article à lui seul. En cela, les syndicats français ont parfaitement fait le jeu des thuriféraires de la privatisation et du travail précaire. Mais là n’est pas le sujet.

 

Revenons donc à nos agents de sécurité qui pour un salaire que l’on pourrait qualifier de misérable (le SMIC ou à peine plus, ce qui différencie peu, voire pas, leur niveau de vie de celui des chômeurs), dans des conditions difficiles et souvent précaires, à toutes heures du jour et de la nuit, en semaine comme en week end et jours fériés, assurent notre sécurité lors de nos déplacements par avions.

Il y a un peu de moins de 20 ans, cette mission de sécurité était considérée comme régalienne et en ce sens assurée par des agents de l’Etat. Le dogme de l’externalisation faisant son œuvre, et sans vraiment que soit organiser de débat ni de réflexion, cette mission a été transférée au secteur privé[2]. Ce transfert ne s’est bien sûr pas arrêté au domaine de sécurité et l’ensemble des services des aéroports ont été privatisés. Ainsi, la société anonyme[3] Aéroports de Paris (ADP), qui assure la gestion d’Orly et de Roissy-Charles de Gaulle, génère 300 millions d’euros de profit par an[4]. ADP transfère de plus à de nombreux sous-traitants, comme les entreprises de sécurité, une grande partie de ses activités. Ces sous-traitants génèrent eux-mêmes des profits probablement considérables mais difficiles à évaluer. Là aussi, personne ne semble s’émouvoir du fait qu’ADP  est en situation quasiment parfaite de monopole, ce qui est en totale contradiction avec l’argument mainte fois ressassé selon lequel la privatisation, en faisant jouer la concurrence, fera baisser les prix au plus grand bonheur des consommateurs.

 

Dans le conflit social qui nous intéresse, l’Etat intervient en remplaçant les agents de sécurité par des forces de polices, pour, certes, le bien-être des usagers, mais aussi, et sans doute surtout, pour préserver le fonctionnement d’entreprises privées. Le gouvernement fait donc ici travailler des agents publics pour des entreprises privées qui pourront ainsi continuer à faire leurs profits et verser des dividendes à leurs actionnaires[5]. Personne ne semble s’interroger sur la pertinence d’exiger à ces entreprises une compensation pour le mise à disposition de nos fonctionnaires. Car dans l’absolu, nous sommes ici dans une situation dans laquelle nous nous acquittons de nos impôts pour payer des agents de police qui œuvrent gratuitement pour des entreprises qui reversent des dividendes à quelques particuliers. C’est donc ici typiquement un dévoiement du rôle de l’Etat – la préservation de l’intérêt public – à des fins privées. En somme, l’Etat prédateur.

 

La logique peut également être poussée plus en avant. Il a été décidé que la sécurité des aéroports ne relevait manifestement plus d’une mission d’intérêt public et que les agents de l’Etat dévolus à la sécurité avaient mieux à faire que de simples contrôles de passagers. Mais aujourd’hui, et alors tout le monde clame (à commencer par le gouvernement lui-même) que l’insécurité s’est accrue, on retire des agents de la force publique de leurs missions de protection directe des citoyens dans nos rues, pour palier aux déficiences du secteur privé et permettre à celui-ci de continuer à engranger des profits. Avec comme effet collatéral non négligeable de briser une grève.

 

Certes les agents de sécurité des aéroports ont probablement très mal choisi leur moment pour faire valoir leurs revendications, mais les usagers que nous sommes tous ne doivent pas ici se laisser enfermer dans une dialectique simpliste de protection de l’usager versus prise en otage de celui-ci. Il y a ici une véritable question d’éthique de l’Etat. Car ce choix fait par le gouvernement Fillon peut constituer une sorte de jurisprudence. Après tout, si demain les travailleurs des raffineries Total se mettaient en grève, pourquoi ne pas envisager les remplacer temporairement – le temps de briser la grève … - par des agents de l’Etat disciplinés et corvéables à merci (par exemple des militaires du service des essences) au prétexte que cette grève met en péril l’approvisionnement énergétique de la France et nuit gravement aux automobilistes ? De même, si les ouvriers de Peugeot se mettent en grève ne remettent-ils pas en cause la compétitivité de la Nation dans le grand jeu de concurrence mondiale tout en irritant le consommateur qui piaffe d’impatience de recevoir sa dernière 308 ?

La question va ici bien au-delà de l’exercice du droit de grève. Elle se porte au niveau de ce que nous devons attendre de l’Etat : la préservation de l’intérêt général au-delà des clivages ou sa mise à disposition d’intérêts privés tout en flattant l’égoïsme et l’hédonisme du consommateur ? Quand on voit les accointances qu’a multipliées notre Président avec les milieux d’argent, il y a vraiment de quoi être inquiet et de quoi s’interroger sur la mutation de notre Etat, qui doit être « la chose de tous », en un Etat prédateur au service d’une ploutocratie.

 

 

SUR LE MEME SUJET(cliquer sur le lien) :

 

LE TOTALITARISME NEOLIBERAL

 

NEOLIBERALISME ET FEODALISME

 

L'ETAT PREDATEUR

 

LE PRESIDENT SARKOZY ET LA STRATEGIE DU CHOC

 

M. LE PRESIDENT de Franz-Olivier GIESBERT

 

ELITE ET CLASSE DOMINANTE

ETHIQUE DE LA RESPONSABILITE[1] : REDEFINIR LA CORRUPTION …

LA SOCIETE DE DEFIANCE

 

 

 

 



[1] James K. Galbraith, L’Etat prédateur, Seuil, 2008. Lire ma fiche sur cet ouvrage : http://loeildebrutus.over-blog.com/article-l-etat-predateur-79729723.html .

[2] Même aux Etats-Unis, pourtant réputés si libéraux, cette mission de sécurité publique continue à être exercée par des agents publics.

[3] L’Etat et les acteurs institutionnels français ont toutefois conservé 62% des actions d’ADP.

[4] En 2010.

[5] Le 16 mai dernier, ADP a distribué 150 millions € de dividendes, dont  57 millions € à des acteurs entièrement privés. Source : http://www.boursorama.com/bourse/profil/resume_societe.phtml?symbole=1rPADP

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