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L'Oeil de Brutus

DETTE PUBLIQUE : Nos dirigeants doivent prendre leurs responsabilités

15 Octobre 2011 , Rédigé par L'oeil de Brutus Publié dans #Idées

 

 

Depuis le déclenchement de la crise actuelle en 2007, nos dirigeants politiques ont multiplié les déclarations de bonnes intentions mais ne se sont finalement attachés qu’à accoler des rustines sur une chambre à air qui fuit de toutes parts. Bien piètres médecins qui ne s’attaquent qu’aux symptômes en négligeant la maladie elle-même. Pourtant, l’origine de cette dernière est bien connue : la dépendance des Etats aux marchés financiers et leur endettement excessif.

 

1/ LA TYRANNIE DES MARCHES.

 

Initialement la crise des subprimes n’était qu’une crise de l’endettement privé à laquelle les Etats ont répondu par une intervention massive qui a, certes, probablement – et provisoirement – évité le naufrage complet de la planète financière qui aurait entrainé avec elle son alter-égo économique. Toutefois, cet endettement privé a de fait été transféré vers un endettement public déjà conséquent et qui plus est aggravé par le ralentissement économique. Les Etats les plus faibles[1] (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne) se sont alors retrouvés au bord de la cessation de paiement. Par divers plans de sauvetage, nos dirigeants s’évertuent alors à transférer cette dette de ces Etats dits faibles vers d’autres supposés en meilleure santé. On peut se demander jusqu’à quand pourra durer ce jeu de chaises musicales de la dette. A un moment donné, il y a fort à parier qu’un des joueurs de cette douloureuse frivolité se retrouvera sans aucun siège pour poser son séant.

Cette situation est bien sûr extrêmement problématique pour l’économie mondiale mais, et cela est bien plus grave encore, elle est une mortifère atteinte au principe démocratique le plus élémentaire : le totalitarisme néolibéral (lire ici) atteint ainsi son objectif ultime et les peuples ont abandonné leur souveraineté aux humeurs des marchés. Le premier devoir de nos dirigeants est donc de récupérer le pouvoir qu’ils ont négligemment (et pour nombre d’entre eux sciemment) abandonné. Comme je l’ai déjà souligné par ailleurs (lire Les mensonges de la dette publique) la solution est pourtant simple : les ressources en épargne, du moins en Europe, sont très largement suffisantes[2] pour couvrir l’endettement public. Il ne s’agit pas d’organiser un rapt d’Etat sur l’épargne privée mais de canaliser cette épargne vers le rachat de la dette publique par ses propres citoyens. Etant donné la situation actuelle, il y a fort parier qu’un grand emprunt populaire, pédagogiquement expliqué aux citoyens, serait capable de drainer une bonne partie de l’épargne ou tout du moins suffisamment pour que les Etats ne soient plus dépendant de l’humeur des marchés. Une telle initiative pourrait même être lancée au niveau européen sous forme d’eurobligation et serait alors même un élément fédérateur à même de renforcer la solidarité des citoyens européens entre eux : imaginons bien chaque européen mettant à disposition son épargne pour sauver le vieux contient de la faillite.

Curieusement aucun de nos dirigeants et très peu d’analystes économiques n’évoquent l’exemple du Japon qui, avec plus de 200% du PIB d’endettement public n’est nullement menacé de défaut de paiement et conserve sans coup férir la meilleur note de toutes les agences de notation. Pourquoi ? Tout simplement parce que le Japon ne finance sa dette que quasi exclusivement auprès de ses citoyens.

Vient alors une simple question : pourquoi personne ne met en pratique cette solution ? Il faudrait alors juste se demander à qui profite le crime …. Banques et très grandes fortunes seraient les principaux perdants de la fin du système actuel d’endettement public …

 

                                   La BCE : corollaire de la tyrannie.

Dans le registre de la négation de la démocratie, la banque centrale européenne est au sommet[3]. Elle en est même le parangon d’une construction européenne qui méprise les peuples et bafoue allégrement et cyniquement leur souveraineté[4]. A la BCE les nations souveraines ont abandonné, sans aucun contrôle démocratique, la gestion de l’un des plus anciens pouvoirs régaliens : la monnaie. Nombre sont ceux qui vilipendent l’euro en le chargeant de tous les maux. Nonobstant le fait que, comme le soulignent plusieurs économistes, construire une union monétaire sans un minimum de convergence fiscale et économique est une aberration[5], les ennemis de l’euro se trompent de cibles et aux aussi prétendent guérir le mal en ne s’attaquant qu’aux symptômes. Car la maladie profonde de la zone euro, ce n’est pas l’euro en soit mais le fait qu’il soit géré par des technocrates qui appliquent une politique inepte en toute impunité et sans avoir à en rendre de compte à personne. Comme le souligne James K. Galbraith[6], même les économistes de droite les plus obtus ont abandonné le dogme monétarisme qui consiste à considérer la monnaie comme une simple variable d’ajustement de l’inflation[7]. La réserve fédérale américaine joue allégrement de la planche à billets pour éponger la dette de l’Etat fédéral[8]. La Chine manipule sa monnaie pour favoriser ses exportations[9]. Tel Sisyphe et avec une pseudo-naïveté confondante, la BCE s’obstine dans son dogme et s’attache bel et bien à faire, comme le disait si justement Hubert Védrine, de l’Europe « l’idiot du village planétaire ». Dans un monde globalisé où tous jouent de leurs monnaies à l’avantage de leurs économies, l’Europe passe son temps à tendre l’autre joue que nos chers « partenaires » baffent aussitôt avec allégresse.

Certes une inflation non maîtrisée serait catastrophique pour l’ensemble de l’économie[10], mais la BCE pourrait parfaitement jouer des rachats des dettes souveraines pour la maîtriser tout en allégeant la pression sur celles-ci. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait très ponctuellement, mais à chaque fois lorsque la zone euro est au bord du gouffre et tandis que les spéculateurs se sont allégrement servis au préalable. Or, il y a fort à parier que si tous les spéculateurs de la planète étaient certains que la BCE répondrait massivement à toute attaque sur les dettes souveraines, ils s’y risqueraient bien moins. L’exemple américain l’illustre par ailleurs parfaitement. Nul n’avait besoin de Standard & Poors pour comprendre que le remboursement de la dette américaine serait à l’avenir de plus en plus problématique pour ne pas dire improbable. Or, ici nulle trace de spéculation sur la dette américaine, même après la dégradation de leur note par la soi-disant prestigieuse agence de notation : nul n’est assez fou pour heurter de front les centaines de milliards de dollars que la réserve fédérale ne manquerait pas d’émettre en réponse pour racheter de la dette fédérale, et ce même si à terme le dollar risque fort de devenir une monnaie de singe[11].

Pourtant, une inflation maîtrisée serait une bonne poire pour la soif dans des économies gangrénées par une crise du crédit. Mécaniquement, l’inflation diminue l’endettement (puisque la monnaie perd de sa valeur) et accroit la compétitivité par rapport à l’extérieur (la monnaie perdant de sa valeur, les produits vendus dans cette monnaie s’en retrouvent « moins cher » par rapport aux autres).

Ainsi, en s’enfermant dans son dogme monétarisme, la BCE se fait alliée objectif de la tyrannie des marchés. En fait, rien de surprenant en soi : les ennemis de la démocratie s’assemblent … Ici aussi, la question « A qui profite le crime ? » a toute sa pertinence : si l’argent perdait de la valeur qui seraient les perdants ? ceux qui en ont beaucoup [12] …

 

 

 

2/ REEQUILIBRER LES COMPTES.

 

S’extraire de la tyrannie des marchés n’exclut pas à terme la nécessité – vitale – de rééquilibrer les comptes publics. Là aussi, force est de constater l’apathie de nos dirigeants, leur enfermement dogmatique et … leur manque de courage politique.

En simplifiant à peine, la droite propose de faire des économies sur les dépenses et la gauche d’augmenter les recettes en rajoutant quelques rustines sur une fiscalité qui fuit déjà de toutes parts.

 

            L’illusion de l’économie sur les dépenses de l’Etat.

L’Etat divise ses dépenses en deux grands volets : le fonctionnement et l’investissement[13]. L’impact de ce dernier sur l’économie réelle est hautement significatif : les investissements de l’Etat, surtout en temps de crise, permettent la survie de nombreuses entreprises de toutes tailles. Rogner sur l’investissement entraînerait immédiatement une chute brutale de la croissance, des faillites en série et une hausse fulgurante du chômage. Ces conséquences diminueraient mécaniquement les recettes fiscales de l’Etat et il y a fort à parier que la balance entre cette baisse de recettes et les économies effectuées sur les investissements ne serait au mieux que très faiblement excédentaires (et très probablement même largement déficitaire) pour l’Etat, sans même penser aux conséquences sociales d’un tel choix. Bien évidemment, hors période de crise ce raisonnement ne tient pas et c’est bien lorsque la croissance était forte que l’Etat aurait dû se dégager des marges de manœuvre dans ce domaine.

Reste donc le fonctionnement. C’est l’option choisie, il faut bien le dire dogmatiquement, par l’actuel gouvernement. On peut certes effectuer quelques gains sur le « train de vie » de l’Etat. Le symbole est fort pour les citoyens, c’est d’ailleurs pourquoi on ne manque pas d’effets d’annonce sur le sujet, même si bien souvent la réalité est diamétralement différente[14]. Mais justement, au regard du montant du déficit public, ces mesures n’en restent que symboliques car l’essentiel des dépenses de fonctionnement résident dans la masse salariale. Nicolas Sarkozy a donc fait le choix de ne pas remplacer – brutalement – un fonctionnaire sur deux. C’est là que le bât blesse. En période de plein emploi, cette résolution serait probablement efficace pour diminuer les dépenses publiques ; mais dans la situation actuelle c’est un leurre. Prenons l’exemple d’un fonctionnaire payé 1500€. De part les différentes taxes et impôts, il reverse plus de 50% de ses revenus directement[15] à l’Etat. Son coût réel pour l’Etat est donc d’environ 750€. Admettons donc qu’il n’est pas remplacé et qu’en conséquence nous conservons au chômage une personne de même niveau qui touchera  aux alentours de 800€ d’allocations chômage. Cette personne n’étant pas soumise à l’imposition elle ne reverse à l’Etat que la TVA de ce qu’elle dépense, soit dans le meilleur des cas environ 20% de ses 800€. Son coût réel pour l’Etat est donc de l’ordre de 650€. Sauf, qu’il faut y rajouter le coût de son encadrement par le Pôle emploi ainsi que la multitude de prestations diverses et variées, financières ou en nature, qu’il perçoit de touts bords, notamment de la part des collectivités locales[16]. Il est alors plus que probable que son coût pour la collectivité dépasse largement les 750€. Il y a donc de fortes chances qu’un chômeur nous coûte donc plus cher qu’un fonctionnaire. Cela ne veut pas dire qu’il faut, comme l’a longtemps fait la gauche, engager des chômeurs à des emplois plus au moins fictifs au service de l’Etat. Cela signifie simplement que l’argument qui consiste à diminuer le nombre de fonctionnaires pour rééquilibrer les comptes publics est un argument captieux. Il ne s’agit pas pour autant de laisser se développer l’appareil d’Etat dans tous les sens en généralisant la gabegie avec l’argent du contribuable, ce qui pourrait avoir des conséquences dramatiques au moment de la reprise économique, potentiellement source du retour au plein emploi (si cela advient un jour …). Nonobstant les très faibles résultats obtenus sous la mandature actuelle dans ce registre[17], il est totalement inefficace pour résoudre les difficultés budgétaires de mettre le couteau sous la gorge du service public en le rendant coupable du surendettement de la France avec des politiques aussi brutales et désorganisatrices que la RGPP. Oui, la fonction publique doit être réorganisée. Mais cela uniquement dans le but de conserver au moins égal le service rendu aux citoyens à un coût qui doit au moins cesser de progresser. Mais ce n’est pas sur ce chemin que nous trouverons la solution du retour à l’équilibre budgétaire.

 

Les collectivités territoriales ou comment galvauder l’argent public .

La plupart des dirigeants politiques demeurent bien silencieux sur ce sujet. Et pour cause : tous les grands partis politiques s’appuient sur les réseaux de leurs notables de province qui, fort de leur pouvoir supposé sur l’électorat, se permettent de dilapider l’argent du contribuable, bien souvent à fin d’asseoir leur clientèle locale. A titre d’exemple, les budgets de fonctionnement cumulés de nos « chers » départements se montent à plus de 40 milliards d’euro par an[18], soit plus que le budget de la Défense et près de la moitié du budget de l’Education nationale. Pour quels résultats ? Le fonctionnement et la tenue des budgets des collectivités (et de toutes les entités rattachées, telles les sociétés d’économie mixte) demeurent d’une trouble opacité mais le citoyen qui voudra bien s’y plonger (et la tâche est pour le moins laborieuse) y trouvera bien des traces de clientélismes financiers. Le comportement de potentats de nombre de nos élus de province est une honte pour notre République. La décentralisation n’est pas le mal en soi, mais la manière dont elle a été menée à ouvert la porte à une situation qui ne saurait perdurer : « Il (le politique) s’est démultiplié par la décentralisation, mais au prix d’une complexité accrue qui n’a fait que donner de nouveaux prétextes à l’immobilisme administratif et rendre illisible la cartographie du pouvoir. »[19]. Cela ne concerne pas que les comptes publics, qui y auraient certainement quelques dizaines de milliards d’économie à y gagner, mais va bien au-delà : c’est une question de morale, d’ordre public et d’éthique de la responsabilité politique[20]. Si le citoyen déserte les urnes des élections locales, ce n’est pas parce qu’il ne s’intéresse pas à la vie publique locale mais bien parce que, au mieux il n’y comprend plus rien, au pire il est écœuré du comportement de ses « représentants » : « La montée de l’abstentionnisme n’est jamais un signe d’indifférence mais toujours une preuve de mépris. »[21]La carte de nos collectivités doit être réformée de toute urgence, tout particulièrement en diminuant le nombre d’échelons. Et l’on verra bien que l’on y gagnera également beaucoup pour rééquilibrer les finances publiques.

 

 

3/ LA VRAIE SOLUTION : JOUER SUR LES RECETTES.

 

On l’a vu : les marges de manœuvre sur les dépenses sont très faibles en temps de crise, ce qui n’exclue pas,  et il faudra bien s’en souvenir, des réformes de fond (notamment sur l’Etat social et les collectivités) une fois la crise passée. La véritable responsabilité politique consiste à faire maigrir l’Etat en période de vaches grasses pour pouvoir ensuite se permettre de le faire grossir, grâce à un équilibre des comptes bien respecté en période de croissance, en période de crise. Par populisme et démagogie, nos gouvernants font strictement l’inverse depuis trente ans: le moindre afflux supplémentaire de recettes pour l’Etat est immédiatement utilisé pour nourrir une clientèle quelconque et lorsque la bise est venue, la cigale se retrouve contrainte à une cure d’amaigrissement qui, de par le désengagement de l’Etat dans l’économie, aggrave encore la situation.

Aujourd’hui, l’Etat doit absolument regagner des marges de manœuvre, et ce n’est pas une cure d’austérité qui écrase la croissance qui le conduira au succès. Pourtant des solutions simples existent bien :

 

-          Une véritable réforme de la fiscalité[22]. Comme je l’ai déjà dit par ailleurs[23], cela est avant tout une question de justice et d’égalité du citoyen devant l’impôt[24]. C’est également le type de réforme préconisé par le désormais célèbre trio Piketty, Landais et Saez[25]. Nonobstant l’indéniable et indispensable rééquilibrage social qu’une telle réforme génèrerait, elle permettrait également un afflux conséquent de recettes. Une grille d’imposition telle que celle indiquée ci-dessous et réalisée selon les préconisations de « Pour une révolution fiscale » permettrait d’accroître les recettes de 36 milliards d’euros[26] !

Revenu
mensuel brut

Taux effectif
d'imposition

0

1%

1100

4%

2170

10%

5000

18%

10000

35%

25000

50%

40000

58%

100000

65%

200000
et plus

70%

Bien évidemment les libéraux rétorqueront qu’un tel régime fiscal est inique et relève de la spoliation. Mais lorsque l’on gagne plus de 100 000€ par mois, est-ce réellement le fruit de son travail ou le résultat d’une rente (de situation ou du capital) ? Quel travail humain (aussi important soit-il qualitativement et quantitativement) peut se justifier de valoir 100 fois celui de son prochain ? Qui spolie l’autre dans ces cas là ?

Il ne s’agit pas de mettre un place un régime marxiste (aucun plafond de salaire ne serait mise en place) mais simplement de rétablir un principe simple : l’égalité du citoyen devant l’impôt et la contribution de chacun en fonction de ses capacités. Est-il réellement plus pénible de reverser 140 000 € lorsque l’on en gagne 200 000 (et donc de conserver 60 000€) que de reverser 217€ lorsque, après ce reversement, il reste moins de 2000€ pour faire vivre sa famille[27] ?

Le second argument des libéraux consistera à clamer qu’un tel dispositif encouragera massivement l’exil fiscal[28]. Dans ce registre, on attend toujours le retour des exilés fiscaux venant célébrer le bouclier fiscal ou la réforme de l’ISF … et pour mémoire la France est le 3e pays de la planète en nombre de millionnaires résidents[29] … étonnant pour un pays dont on ne cesse de vilipender la pression fiscale sur les plus riches ! Là aussi, face à l’exil fiscal, des mesures simples peuvent être prises :

o       Aux Etats-Unis (réputés pourtant très libéraux), le contribuable résidant à l’étranger qui paye moins d’impôt que s’il était demeuré aux Etats-Unis doit verser la différence à son pays d’origine. Pour un américain, l’exil fiscal n’existe pas !

o       Il est inadmissible que des exilés fiscaux qui refusent d’apporter leur contribution à l’effort national puissent ensuite en bénéficier des largesses pour, par exemple, revenir en France se faire soigner gratuitement ou faire appel à l’Ambassade de France lorsque la situation dans leur pays d’accueil se dégrade. Lorsque l’on refuse l’Etat-providence, on doit en assumer les conséquences jusqu’au bout, donc exil fiscal = suppression de la protection sociale.

 

-          Tuer les niches. Les différents allégements fiscaux accordés depuis 2002, pour la plupart des niches fiscales, représentent environ 100 milliards d’euros par an[30] de manque à gagner, soit quasiment le déficit de l’Etat. La crise a vraiment bon dos pour excuser les déficits ! De plus, l’efficacité économique des ces allègement n’a jamais été réellement prouvé (la fameuse et scandaleuse niche Copé en est le plus illustre exemple[31]). De part leur nature même, les niches sont faites pour être dévoyées et servir de contournement à l’impôt. Ainsi, depuis près de 30 ans, l’Etat a multiplié les dispositifs pour résoudre la crise du logement en France. Rien n’y a fait : l’offre et la demande ne se sont toujours pas équilibrées. Là aussi la solution est simple : si l’Etat veut intervenir dans ce secteur qu’il le fasse lui-même et construise des logements pour les revendre à prix coutant aux citoyens. Les bénéfices seraient multiples : relance de l’emploi dans le bâtiment, stabilisation sociale par l’augmentation du nombre de propriétaire, régulation de la crise du logement et surtout … coût nul à long terme pour le contribuable !

 

-          Taxer les transactions. Une taxe sur les transactions financières (autrement appelée taxe Tobin) rapporterait à la zone euro 200 milliards €/an[32]. Cette dernière étant ce qu’elle est, il est peu probable que les Européens parviennent à se mettre d’accord pour l’appliquer à court terme, quoiqu’en disent les récentes déclarations d’affichage de M. Sarkozy et Mme Merkel. La France doit donc l’appliquer unilatéralement, ce qui permettrait de dégager environ 40 milliards €/an. Les libéraux développent ici un argumentaire contradictoire : d’une part, ils clament qu’une telle taxe n’aurait pas d’effet sur la spéculation (ce qui n’est pas forcément le but initial puisqu’il s’agit d’équilibrer les comptes de l’Etat)  et d’autre part qu’elle ferait fuir les investisseurs. Face à ce dernier argument, l’on pourrait très bien imaginer une taxe dégressive en fonction de la durée de conservation de l’actif. Ainsi, les spéculateurs qui recherchent uniquement le profit à très court terme seraient lourdement taxés pendant que les investisseurs qui font profiter l’économie de leur capital seraient favorisés à la condition qu’ils laissent suffisamment longtemps les entreprises en bénéficier.

 

-          Une dernière solution : l’émission de monnaie. Cette dernière issue a été massivement utilisée avant la création de l’euro par de nombreux Etats, en premier lieu desquels la France, pour desserrer l’étreinte de l’endettement. La création de l’euro a imposé le dogme monétariste, notamment du fait d’une Allemagne traumatisée par l’inflation de la République de Weimar[33]. Pourtant, dans le contexte actuel, l’émission de monnaie dispose de nombreux atouts : elle permet à l’Etat d’investir pour soutenir l’économie sans s’endetter, elle génère une inflation maîtrisée qui desserre l’étreinte sur l’endettement (privé comme public) et enfin elle accroît la compétitivité des exportations. Les grands perdants sont ceux qui possèdent d’importants actifs monétaires qui voient leur valeur intrinsèque baisser … Ainsi une émission monétaire supérieure de 2% du PIB permettrait à l’échelle de la France de dégager une marge supplémentaire de 40 milliards €/ an tout en provoquant une augmentation de l’inflation[34] du même ordre, ce qui est très largement supportable.

La situation de la Grèce paraît aujourd’hui insoluble : elle doit restreindre ses dépenses tout en augmentant sa fiscalité sans pour autant utiliser cette augmentation pour dynamiser l’économie (puisqu’elle doit avant tout rembourser ses dettes). Cet ensemble pénalise finalement très lourdement l’activité économique et en conséquence les rentrées fiscales de l’Etat …Elle se retrouve ainsi enchaînée à un cercle vicieux sans fin d’austérité et de décroissance, tant et si bien qu’une seule porte de sortie semble s’offrir à elle : dénoncer ses dettes. Pourtant, une autre solution s’ouvre à elle : un rachat massif d’une grande partie de sa dette par émission monétaire de la BCE[35] ; solution à laquelle l’Allemagne s’obstine à mettre son véto. Cette dernière devra pourtant finir par accepter de sortir de son dogmatisme pour se confronter à la réalité[36] : soit elle accepte une inflation maîtrisée par émission monétaire soit la Grèce fera défaut et devra quitter la zone euro. Et par effet de contagion, le même dilemme touchera ensuite le Portugal, l’Espagne, l’Italie puis probablement finalement la France et, pourquoi pas, l’Allemagne elle-même (qui rappelons-le a un niveau d’endettement tout aussi important que la France). Nos dirigeants doivent donc mettre l’Allemagne au pied du mur : soit elle accepte l’assouplissement monétaire soit nous mettons fin à la zone euro avant que les marchés ne le fassent pour nous.

 

Les libéraux argumenteront bien sûr que l’ensemble de ces mesures (à l’exception notable de l’assouplissement monétaire) alourdiront encore une pression fiscale jugée bien trop importante en France (56% du PIB[37]). C’est vrai. Mais on le voit, l’ensemble de ces mesures suffit largement à équilibrer les comptes de l’Etat, et même au-delà. Elles peuvent donc être couplées à d’autres mesures visant à alléger la pression fiscale :

-          L’allègement de la TVA des produits de premières nécessités et/ou des produits respectant des normes environnementales, sociales et fiscales (anti-dumping). Parallèlement, la TVA pourrait être augmentée sur les produits de luxe ou sur ceux originaires d’entreprises qui vont manifestement à l’encontre des normes précitées.

-          Un allègement massif du coût du travail en diminuant les charges sociales (patronales comme salariales). Je suis pour ma part partisan d’une suppression totale de ces charges et du transfert à l’Etat de l’ensemble de la gestion des caisses sociales, comme cela est le cas dans les pays nordiques : on se demande bien au nom de quoi les partenaires sociaux qui ne représentent généralement qu’eux-mêmes du fait du très faible taux de syndicalisation négocient et gèrent ces caisses au nom de tous.

 

 

Nous nous retrouvons aujourd’hui dans une situation pour le moins étonnante. Notre système social a été mis en place à la Libération dans un pays ruiné, surendetté et à reconstruire. Aujourd’hui, alors que la richesse de la France n’a cessé de croître depuis plus de 60 ans, on nous explique que ce système coûte trop cher et n’est plus viable ! Certes, notre système social nécessite de profondes réformes (et tout particulièrement notre démocratie sociale). Mais notre pays est encore un pays riche (la 5e économie mondiale tout de même !) et comme on le voit ci-dessus il a encore les moyens de se financer. En fait, ce ne sont pas les marges de manœuvre qui font défaut mais le courage et la volonté politique.

 

 

 



[1] : La qualification de « faiblesse » d’un Etat est purement subjective et dépend des humeurs et à priori des marchés et agences de notation. Il n’est ainsi pas du tout évident que les Etats-Unis (ou encore le Royaume-Uni) soit davantage en mesure à terme de rembourser leurs dettes que les « PIGS » (Portugal, Italie, Grèce, Espagne).

[2] A titre d’exemple les assurances vie en France représenteraient une épargne de 1400 Mds €, soit quasiment l’équivalent du montant de la dette publique.

[3] Le patron de l’eurogroupe n’hésite d’ailleurs même plus à la proclamer ouvertement : Pour Juncker, la Grèce devra se résoudre à perdre une grande partie de sa souveraineté, Le Monde, 3 juillet 2011. http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/07/03/pour-juncker-la-grece-devra-se-resoudre-a-perdre-une-grande-partie-de-sa-souverainete_1544220_3234.html

[4] : Les projets des technocrates européens vont d’ailleurs encore plus loin en cherchant à mettre sous tutelle les représentations des souverainetés : Willy Meyer, Europe : un coup d’Etat silencieux.  http://www.alterinfo.net/Europe-Coup-d-Etat-silencieux-a-Bruxelles_a60467.html

[5] Lire notamment :

-          Armatya Sen, L'euro fait tomber l'Europe. http://espacerda.over-blog.com/article-amartya-sen-l-euro-fait-tomber-l-europe-78464865.html ;

-          Nouriel Roubini, La zone euro prête à éclater. http://www.legaulois.info/2011/06/la-zone-euro-prete-eclater-par-nouriel.html ;

-          Jacques Sapir, Derrière la crise grecque l’explosion de la zone euro ? http://www.elcorreo.eu.org/?Derriere-la-crise-grecque-l-explosion-de-l-euro

-          Emmanuel Todd, Je serais très étonné que l’euro survive à 2011. http://blogrepublicain.hautetfort.com/archive/2011/01/17/je-serais-tres-etonne-que-l-euro-survive-a-2011-e-todd.html 

[6] James K. Galbraith, L’Etat prédateur. Ma fiche sur cet ouvrage : http://loeildebrutus.over-blog.com/article-l-etat-predateur-79729723.html

[7] Lire également Mark Weisbrot, L’euro la fin d’un rêve néolibéral, The Guardian, 13 juillet 2011. http://www.presseurop.eu/fr/content/article/773711-l-euro-la-fin-dun-reve-neoliberal

[8] Martin Wolf, Pourquoi la FED a raison, Le Monde, 14/11/2010.

Christophe Barbier, L’homme qui valait 600 milliards, L’express, 12/11/2011. http://www.lexpress.fr/actualite/economie/l-homme-qui-valait-600-milliards_936072.html

[9] Emmanuel Levy et Philippe Cohen, Les Etats-Unis se cabrent contre la Chine et l’Europe se terre, Marianne, 04/10/2010, http://www.marianne2.fr/Les-Etats-Unis-se-cabrent-contre-la-Chine-l-Europe-se-terre_a198197.html

[12] Hervé Nathan, Euro: la guerre des rentiers contre les citoyens, Marianne, 17 juillet 2011. http://www.marianne2.fr/hervenathan/Euro-la-guerre-des-rentiers-contre-les-citoyens_a122.html?com&order=2

[13] On notera au passage l’hypocrisie de la règle d’or. Si initialement celle-ci devait être une mise en conformité avec les critères de Maastricht (déficit annuel inférieur à 3% du PIB, dette publique inférieure à 60% du PIB), ce qui empêcherait à l’avenir toute relance de type keynésien (et donc est en totale contradiction avec le plan de relance et le grand emprunt menés par l’actuel gouvernement), les derniers éléments de langage du gouvernement semblerait ne la faire porter que sur le budget de fonctionnement de l’Etat. Au premier abord, cela semblerait être la moindre des choses (un ménage qui emprunterait pour payer sa nourriture ou son loyer serait vite promis à la banqueroute …) et on peut s’interroger sur l’intérêt de faire figurer un tel pléonasme dans un Constitution déjà allégrement modifiée selon les humeurs des gouvernants et qui finit ainsi par en perdre son sens premier. De plus, n’importe quel comptable, doué de quelques talents en rhétorique, arriverait à vous expliquer que telle ou telle ligne d’un budget est de l’investissement et non du fonctionnement pour parvenir à contourner cette règle d’or. Il semble donc de plus en plus évident que les intérêts masqués – et néanmoins réels – du débat sur la règle d’or se fondent sur des manœuvres bassement politiciennes. Sur le sujet, lire L’express du 24 août 2010 :http://www.lexpress.fr/actualite/politique/regle-d-or-budgetaire-comment-l-ump-veut-pieger-le-ps_1023673.html.

[14] Lire par exemple Michel Revol, Les élus gardent leurs avantage, Le Point, 11/07/2011, http://www.lepoint.fr/politique/les-elus-conservent-leurs-avantages-11-07-2011-1351445_20.php .

[15] Cf. Thomas Pikkety, Emmanuel Saez, Camille Landais, Pour une révolution fiscale. Mon article sur cet ouvrage : http://loeildebrutus.over-blog.com/article-pour-une-revolution-fiscale-75061097.html .

[16] La création du RSA visait, notamment, à mettre fin à cette multitude d’aides aux sans emploi. Ici aussi la réforme s’est muée en réformette et de nombreux subsides perdurent. La proposition de M. de Villepin de créer un seul et unique revenu citoyen en supprimant toutes les autres allocations (à l’exception des allocations familiales) mériterait approfondissements et réflexions. En tous cas bien plus que l’effet d’annonce qu’à voulu en faire la plus grande partie de la grande presse, décidemment incapable de jouer son rôle d’éducation et d’information du citoyen.

[17] Dans certains ministères, la RGPP aboutit à un système plus onéreux que le précédent … Lire Cécile Crouzel, Des ministères très généreux avec leur personnel, Le Figaro, 26/06/2011. http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2011/06/26/04016-20110626ARTFIG00241-des-ministeres-tres-genereux-avec-leur-personnel.php

[18] La réforme des collectivités territoriales initiée par M. Sarkozy ne résout rien : les départements (et donc leurs coûts de fonctionnement) continuent à exister. Cette réforme n’a fait que valider institutionnellement le cumul des mandats entre conseiller général et conseiller régional.

[19] Dominique de Villepin, Le cri de la gargouille.

[20] Voir mon article sur l’éthique de la responsabilité en politique : http://loeildebrutus.over-blog.com/article-ethique-de-la-responsabilite-1-redefinir-la-corruption-67019223.html .

[21] Dominique de Villepin, Le cri de la gargouille.

[22] Sur le sujet, lire également : Jean-christophe Le Duigou, Réhabiliter l'impôt, dissiper les faux-semblants, Le Monde diplomatique, mars 2011 :   http://www.monde-diplomatique.fr/2011/03/LE_DUIGOU/20240

[24] Lire l’article de Laurent Pinsolle sur le sujet : Laurent Pinsolle, notre fiscalité est plus régressive que progressive, Marianne, 05/05/2011 : http://www.marianne2.fr/Notre-fiscalite-est-plus-regressive-que-progressive_a205796.html

[27] Sachant de plus que pour gagner 200 000€/mois, il faut être footballeur ou rentier du capital. Ce genre de profession est-il si « pénible » et si « socialement utile » pour justifier d’être rémunéré 100 fois plus qu’un professeur ou une infirmière ?

[28] Laurent Pinsolle relève bien que notre fiscalité est actuellement très avantageuse pour les plus riches. Lire Laurent Pinsolle, La France un enfer fiscal pour les rires ? à d’autres … , Marianne, 28/10/2010 : http://www.marianne2.fr/La-France-un-enfer-fiscal-pour-les-riches-A-d-autres_a199005.html

[29] Source : Le Monde, 11/10/2010, Millionnaires : la France se classe au 3e rang mondial : http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/10/11/millionnaires-la-france-se-classe-au-3e-rang-mondial_1423376_3224.html#ens_id=1423386

[30] Et dans ce domaine, les progrès sont bien maigres : lire Katia Weidenfeld, Les incohérences de la politique fiscale française, Le Monde, 18/08/2011 http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/08/18/y-a-t-il-une-politique-fiscale-en-france_1560390_3232.html  

[31] La niche Copé exonère de taxe sur la plus-value les reventes de filiales (soi-disant pour éviter les délocalisations, on a bien du mal à comprendre la logique du dispositif …). Son coût est évalué à 6 milliards € / an.

[33] Cette inflation n’était d’ailleurs pas en soit le fruit d’une émission excessive de monnaie mais bien davantage induite par le paiement en or des énormes dommages de guerre de l’Allemagne, déjà ruinée, aux vainqueurs de la premières guerre mondiale. L’Allemagne s’est alors retrouvé vidée de ses réserves en or, sur lesquelles étaient indexées la valeur de sa monnaie qui de fait s’est transformée en monnaie de singe. On voit donc bien que ce mécanisme n’a pas grand-chose à voir avec une émission raisonnée et maîtrisée de monnaie par une banque centrale.

[35] La BCE a déjà racheté, en faible quantité, des obligations grecques mais en proportion largement insuffisante pour résoudre le problème.

[36] Lire Martin Wolf, Le choix cornélien de Berlin, Le Monde, 19/09/2011 : http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/09/19/le-choix-cornelien-de-berlin_1574161_3232.html

[37] Comme le souligne Emmanuel Levy, ce chiffre peut très largement être relativisé.  Lire Emmanuel Levy, La libération fiscale le nouveau concept des anti-fiscalistes, Marianne, 30/07/2011 : http://www.marianne2.fr/La-liberation-fiscale-le-nouveau-concept-des-anti-fiscalistes_a208873.html

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