« Ne pas taxer les riches », « il faut préserver les investisseurs » : LES MENSONGES DE LA POLITIQUE DE L’OFFRE.
« Ne pas taxer les riches », « il faut préserver les investisseurs » : LES MENSONGES DE LA POLITIQUE DE L’OFFRE.
C’est un autre dogme de la religion néolibérale : il ne faut pas taxer les riches car ils sont une source d’investissements qui permet de doper la croissance, ce qui produit de l’emploi et donc, in fine, enrichit les pauvres. La sourate de « la politique de l’offre ». Car le néolibéralisme est une religion et ses psalmodies ne résistent pas à l’examen des faits.
1/ Telle qu’elle est structurée actuellement, l’économie (réelle) n’a que peu besoin de l’épargne.
En effet, en raison d’exigences en fonds propres ridiculement basses (moins de 10 %), les banques ont une capacité de création monétaire quasi illimitée. Elles ne sont plus dans un rôle de mise en relation des épargnants et des demandeurs de crédit. L’entrepreneur qui a besoin d’investissements n’a ainsi plus besoin qu’une banque lui prête ce qu’un « riche » veut bien investir et a mis en dépôt pour ce faire auprès d’elle. La banque crée l’argent de ce crédit ex nihilo.
De l’autre côté, les « investisseurs » se concentrent sur des produits financiers complexes crées par les banques d’investissement dans le seul but de créer de l’argent avec de l’argent, sans lien avec l’économie réelle. Et pout preuve : ces « investisseurs » exigent couramment de faramineux rendements (parfois jusqu’à 20% par an) que seraient bien incapables de donner n’importe quelle entreprise dans la durée. Celles-ci se détournent donc d’eux et de leur vampirisme court-termiste comme l’a démontré Frédéric Lordon (Et si on fermait la Bourse …, Le Monde diplomatique, février 2010). Certaines d’entre elles vont même jusqu’à créer leur propre banque afin de bénéficier du crédit facile (et gratuit …) de la création monétaire[1]. Il faut dire que cette situation monétaire ubuesque donne un avantage concurrentiel extravagant aux banques. Mais cela, la Commission européenne, pourtant si attachée à son dogme de la concurrence « libre et non faussée », n’en a cure[2]. Comme le relève Sylvain Derèse : « Cette idéologie n'a donc plus pour but l'enrichissement de l'ensemble via les acteurs de l'économie, mais bien l'enrichissement des acteurs de l'économie via l'ensemble »[3].
2/ Le mythe de l’offre qui crée la demande.
C’est un autre poncif néolibéral : il suffit de dynamiser l’offre (en défiscalisant les potentiels investisseurs, c’est-à-dire de manière plus triviale baisser les impôts des plus riches) pour relancer la demande. C’est là un joli tour de magie. Comment en effet de nouveaux produits, issus de la « destruction créatice » et du nez des investisseurs, pourraient-ils rencontrer une demande devenue atone par l’écrasement des salaires des consommateurs ?
Faut-il alors pour autant exclusivement se concentrer sur la demande ? Bien sûr que non. Outre les effets d’évasion de la consommation (achats de produits importés), en période de crise une relance exclusivement concentrée sur la demande risquerait de n’entrainer qu’une hausse de l’épargne des particuliers (par crainte de l’avenir) et des opérations de désendettement privés s’il n’y a pas en face d’offres suffisamment conséquentes de nouveaux produits et services. L’impact sur l’emploi serait là aussi négligeable.
C’est donc ici que la politique de grands travaux initiés par le président Roosevelt lors du New Deal, même si elle a eu ses limites, prend tout son sens : elle dynamise simultanément l’offre (les nouveaux chantiers) et la demande (les salaires des emplois nouvellement créés). Une telle politique conserve tout son sens aujourd’hui et les possibilités de manquent pas : grand plan de constructions immobilières, rénovation des transports inter-urbains qui en ont bien besoin (notamment en Ile-de-France), investissements dans les technologies d’avenir (biotechnologies, nanotechnologies, centrales au thorium, etc.), généralisation des réseaux en fibre optique, etc. Mais voilà, pour conduire une telle politique faut-il encore être maître de sa monnaie …
3/ Faut-il alors taxer les riches ?
Le pourtant bien libéral Nicolas Baverez le reconnaît lui-même : « Les stratégies de dérégulation et de baisse des impôts, loin de favoriser l'offre productive, ont encouragé la désindustrialisation et l'économie de bulles »[4]. Il ne s’agit pas pour autant de mettre en place une fiscalité confiscatoire : il est juste et normal que celui qui sait mettre à profit ses compétences puisse en récolter les fruits. Par contre, que le travail d’un homme puisse valoir des milliers de fois le travail d’un autre est un non-sens social.
L’approche est pourtant simple, il suffit de s’en référer aux articles 13 et 14 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, inscrite en préambule de notre Constitution : les citoyens contribuent à l’effort collectif « à raison de leurs facultés »[5]. C’est donc là que prend son sens la notion de progressivité de l’impôt tant mis à mal ces dernières décennies comme l’ont relevé Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez[6]. Ce n’est certes pas de la part du gouvernement Ayrault qu’il faudra attendre une avancée significative dans ce domaine. Ne touchant ni les sportifs, ni les artistes, ni les revenus du capital, l’usine à gaz de la tranche des 75%[7]s’inscrit dans la continuité de l’action gouvernementale : du vent[8]. Et sa symbolique confine à la puérilité. En fin de compte, M. Hollande ne fait que mettre ses pas dans celui de son prédécesseur : de l’agitation stérile, la flamboyance (ou le « bling-bling » selon le point de vue) en moins.
Une vraie réforme de la fiscalité, permettant simultanément de renflouer les caisses de l’Etat et d’agir positivement sur l’économie, se doit d’agir en profondeur sur l’ensemble des dispositifs fiscaux. En tout état de cause, les psalmodies en faveur de la politique de l’offre et de la défiscalisation des plus riches relèvent de sophismes mensongers qui peuvent eux-aussi s’inscrire dans la logique de culpabilisation du peuple, cachant mal les conflits d’intérêts ou les prises d’intérêts particuliers.
[1] Christophe Moussu, Quand les entreprises créent leurs banques pour se protéger des ravages du système financier, Atlantico.fr, 28/06/2012.
[2] Lire Philippe Herlin, La gigantesque distorsion de concurrence au profit des banques, Atlantico.fr, 30/03/2012.
[3] Sylvain Derèse, La négation de la collectivité, Le Monde, 03/01/11.
[4] Nicolas Baverez, Refonder la politique économique, Le Monde, 24/10/2011.
[5] On peut d’ailleurs s’étonner que l’aberrante fiscalité que nous subissons n’ait pas encore été mise en défaut par un recours au Conseil constitutionnel.
[6] Lire également Pour une réforme radicale de la fiscalité.
[7] On relèvera que, contrairement à certaines désinformations, il ne s’agit pas de taxer l’ensemble des revenus de ceux qui gagnent plus de 1 million d’euros par an, mais uniquement la part des revenus supérieure (tranche marginale) à 1 million d’euros. Ainsi, avant l’application de cette réforme un contribuable gagnant 1,2 million d’euro paye (hors les multiples dispositifs d’optimisation fiscale) 478 361,88 euros d'impôts sur le revenu. Après application du taux marginal de 75% (et toujours sans optimisation fiscale) 580 361,85 euros. Cf. Samuel Laurent, Tranche d’imposition à 75% : ce que signifie la proposition de M. Hollande, Le Monde, 28/02/2012.