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L'Oeil de Brutus

LA ZONE EURO, LES DESEQUILIBRES DES BALANCES COMMERCIALES ET L’ALTERNATIVE REPUBLICAINE

31 Juillet 2013 , Rédigé par L'oeil de Brutus Publié dans #Idées

LA ZONE EURO, LES DESEQUILIBRES DES BALANCES COMMERCIALES ET L’ALTERNATIVE REPUBLICAINE

LA ZONE EURO, LES DESEQUILIBRES DES BALANCES COMMERCIALES ET L’ALTERNATIVE REPUBLICAINE

Dans sa configuration actuelle, la zone euro est soumise à de forts déséquilibres de ses échanges commerciaux : l’Allemagne – et plus généralement les pays du Nord – connaissent de forts excédents tandis que les pays du Sud, et la France, sont soumis à des déficits commerciaux importants. Cette situation est issue de plusieurs phénomènes, au premier rang desquels on trouve bien sûr des compétitivités différentes (obtenus pour l’Allemagne en compressant les salaires) mais aussi des structures économiques radicalement divergentes (l’économie française étant, par exemple, très dépendante de sa consommation intérieur contrairement à son voisin d’Outre-Rhin).

Il convient alors de se demander quelles sont les conséquences de ces déséquilibres lorsque l’on est plus maître de sa monnaie[i].

Un déficit commercial est tout simplement la constatation que vous avez davantage de capitaux qui sortent du pays qu’il n’en rentre. Cela génère donc une diminution des liquidités en circulation dans le pays en question. Lorsque ce pays est maître de sa monnaie, il peut compenser ce déficit de liquidités en émettant un supplément de monnaie. Si cela peut générer de l’inflation (mais pas forcément), cette création monétaire compense la perte de liquidités, rééquilibre dans un premier temps artificiellement les comptes courants puis conduit à un rééquilibrage effectif de cette balance des comptes courants. En effet, la création monétaire ainsi réalisée constitue en pratique une dévaluation de la monnaie interne qui rend les exportations de ce pays plus compétitives et les importations plus coûteuses, ce qui naturellement conduit à rééquilibrer la balance commerciale. C’est en partie, la politique conduite par les Etats-Unis[ii].

Mais cette politique ne peut pas être conduite à l’intérieur de la zone euro[iii] puisque les Etats ne sont plus maîtres de leurs monnaies. En découle une tension sur les liquidités disponibles à l’intérieur, les uns accumulant les excédents, les autres les déficits. Pendant les premières années de la zone euro, cette tension a été atténuée par le crédit : les économies des Etats déficitaires empruntaient aux économies des Etats excédentaires[iv]. Outre le fait que cela ne résout rien dans la durée, cette pseudo solution accroit encore les déséquilibres : les économies des Etats déficitaires ont un accès plus compliqué, et probablement plus coûteux, au crédit, ce qui accroit encore leur déficit de compétitivité et nécessite encore au coup suivant de faire encore plus de crédit, sachant que ces crédits doivent bien finir par être remboursés… Ajoutons à cela que les déficits commerciaux diminuent les recettes fiscales de l’Etat (le principe des « déficits jumeaux ») qui, dogmatisme de l’orthodoxie budgétaire oblige, s’en trouve contraint (ou plutôt s’estime s’en trouver contraint) à une politique de rigueur budgétaire qui par le biais du multiplicateur keynésien déprime encore plus l’économie. On se trouve alors lancé dans un cercle vicieux déficits commerciaux -> surendettement -> baisse de compétitivité -> déficits commerciaux.

Il y a pourtant bien des solutions pour rompre ce cercle : mettre en place des systèmes de compensation. Le premier d’entre eux serait la mise en place de subventions directes (et non de crédits) aux régions de la zone euro les plus en retard en terme de compétitivité. Toutefois, le coût en serait en énorme[v], sans réelles garanties de résultats et de toute façon politiquement inacceptables pour les dirigeants des pays du Nord vis-à-vis de leurs électeurs, comme le souligne très régulièrement Jacques Sapir sur son blog. On pourrait tout aussi bien admettre la mise en place de taxes sur les produits des pays excédentaires en destination des pays déficitaires (taxes qui viendrait de surcroit abonder le budget de l’UE, ou un budget dédié à l’investissement dans la zone euro). Mais c’est là une manière différente d’appliquer la première solution citée et donc politiquement tout aussi inacceptable, d’autant plus qu’elle va complètement à l’encontre du dogme libre-échangiste qui a complètement sclérosé la pensée européiste.

Autre solution : que les pays excédentaires dégradent d’eux-mêmes leur compétitivité, par exemple en augmentant de manière importante leurs salaires. Si cette solution peut paraître défendable politiquement, elle est totalement inacceptable pour le patronat, tant dans les pays du Nord que dans ceux du Sud, car elle revient à mettre un coup de frein sévère sur leurs marges. Et dans le contexte politique actuel, on voit mal tant Mme Merkel que M. Hollande (LIEN le président des rentiers) s’attaquer aussi frontalement au patronat. Ceci est d’autant plus vrai pour la première qu’une telle mesure ne toucherait pas que le patronat mais une bonne partie des rentiers du capital (les marges des entreprises diminuant, les dividendes versés aux actionnaires et différents fonds de pension en seraient aussi dégradés). Or, avec sa démographie en forme de suicide collectif, n’oublions pas que l’Allemagne est en train de se transformer en pays de rentiers (qui au passage vampirise le reste de l’Europe), cœur de l’électorat du parti de la chancelière. Ce qu’il faut bien finir par admettre, c’est que pour compenser sa démographie déclinante, l’Allemagne mène une politique néo mercantiliste (accumuler les excédents) et non coopérative qui se fait aux détriments de ses « partenaires », à commencer par la France, étrangement muée en mouton bien docile et prêt à se faire tondre[vi].

L’intelligentsia européiste au pouvoir a donc décidé d’appliquer le remède (de cheval) inverse : faire monter la compétitivité des pays du Sud au niveau de celle des pays du Nord, ce qui se traduit par une drastique politique de rigueur. Mais, comme je l’ai déjà souligné par ailleurs et outre le fait qu’elle est une course au moins-disant social et fiscal et donc une formidable régression, cette politique est une impasse intégrale en situation de crise économique. Et l’exemple grec, soumis à cette terrible cure depuis maintenant 4 ans, est là pour nous le démontrer : la dette publique continue à augmenter à des seuils hymalayesque pendant que le PIB continue de se contracter et que les exportations peinent à décoller.

On peut donc remuer le problème dans tous les sens, l’euro dans sa configuration actuelle de monnaie unique, n’est pas viable (lire Comprendre la non-viabilité de la zone euro), n’en déplaisent aux grands prêtres mayas Draghi, hurlant à « l’irréversibilité de l’euro »[vii], et Hollande, psalmodiant au « retour de la croissance », le tout en sacrifiant des chômeurs sur l’Autel de la Rigueur. L’euro finira donc pas tomber de lui-même, non comme un fruit mûr, mais comme un fruit pourri dès sa conception. C’est d’ailleurs en pratique déjà le cas pour Chypre. Reste alors à voir de quelque manière : une solution négociée qui permettra une transition la moins douloureuse possible, ou l’implosion généralisée qui ouvrira la porte à toutes les anarchies, voire tous les extrémismes. Car il faut bien l’admettre : persévérer dans la voie actuelle, dans une irrationalité confinant au mysticisme des religions les plus sectaires, revient à doper le Front National à l’EPO au point de faire passer Lance Amstrong pour un adepte de la randonnée dominicale à bicyclette. Et au rythme où l’on va, et c’est une bien dramatique conclusion, force est d’admettre que c’est le parti de Mme Le Pen qui finira par nous sortir de cette aberration qu’est l’euro, mais ceci avec des effets collatéraux dramatiques pour le pacte social et la République. Il est donc plus que temps, contrairement à ce qu’affirme Frédéric Lordon dans un papier par ailleurs très instructif[viii], de mettre un terme à un clivage droite-gauche obsolète pour que les Républicains de tous bords se réunissent afin que la seule alternative au néolibéralisme européiste, qui nous conduit droit au précipice, ne soit pas l’extrémisme identitaire du FN.

[i] L’Equateur, qui avait choisi la voie de la dollarisation intégrale de sa monnaie, constitue un exemple très instructif sur les conséquences de l’abandon complet de la souveraineté monétaire. Lire Financement soutenable et création monétaire en régime de dollarisation : le cas de l'Equateur, Jean-François Ponsot, Les économistes atterrés, 29/03/2012.

[ii] A l’inverse, pour éviter une réévaluation du Yuan, la Chine thésaurise ses excédents en dollars, tout particulièrement en Bons du Trésor américains. En pratique, Chine et Etats-Unis pratiquent donc un jeu de dupes : les seconds cherchent à dévaluer leur monnaie en jouant de la planche à billet pendant que les premiers contrent cet effet en sortant au maximum des circuits monétaires cette monnaie nouvellement émise. Ce jeu de dupe à évidemment un grand perdant, l’Europe, et ce système de déséquilibre permanent ne sera pas non plus sans générer de graves difficultés à plus ou moins long terme.

D’une manière plus générale, de telles politiques menées unilatéralement et de manière snon coopératives peuvent dégénérer en « guerre des monnaies ».

[iii] D’une manière plus générale, à l’issue de la 2e guerre mondiale, les keynésiens avaient bien compris que les déséquilibres commerciaux étaient à l’origine de la plupart des déséquilibres économiques, eux-mêmes sources de déséquilibrent sociaux pouvant nourrir les extrêmes. C’était tout le sens de la Charte de La Havane , malheureusement laissée lettre morte.

[iv] Cela ne concerne pas seulement les Etats mais tous les acteurs de l’économie, d’où, par exemple, le surendettement des banques espagnoles.

[v] Jacques Sapir évalue les transferts nécessaires aux 4 pays les plus en difficultés (Grèce, Portugal, Italie, Espagne) aux environs de 250 milliards d’euros par an pendant 10 ans ! cf. Jacques Sapir, Quel futur pour la zone Euro?, Russeurope, 26/04/2013.

[vi] Et il n’y a ici aucune germanophobie : une simple constatation que, pragmatique, l’Allemagne défend bien mieux ses intérêts que la France, accrochée à son rêve européiste suranné (mais qui fait bien les affaires de son oligarchie au pouvoir).

[vii] Le Monde, 21 juillet 2012.

[viii] On lira avec intérêt les réponses apportées à cet article de Frédéric Lordon par Jacques Sapir et Laurent Pinsolle.

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