DE M. SARKOZY A M. HOLLANDE, OU LA STRATEGIE DE LA REFORMETTE
LA STRATEGIE DE LA REFORMETTE
François Hollande a donc fait son choix : il tentera de rééquilibrer les comptes des caisses d’allocations familiales en modulant le quotient familial pour les foyers les plus aisés. Dans ce domaine, comme dans tous les autres, il fait le choix d’une mesurette en espérant que l’édifice tiendra, bon gré mal gré, tant qu’il sera au pouvoir. Il y a fort à parier que la réforme des retraites qui suivra sera du même acabit. Par cette méthode, où la vision à la petite semaine tient lieu de stratégie et, bien souvent, la communication tient lieu d’action, la majorité en place ne fait que s’inscrire dans la droite (et droite, le mot est vraiment le plus juste ![i]) continuité de ses (peu glorieux) prédécesseurs (Nicolas Sarkozy n’avait-il pas clamé haut et fort qu’il avait sauvé les retraites françaises au moins jusqu’en 2020 ?).
En pratique et quel que soit le sujet (retraites, dette publique, sécurité sociale, allocations familiales, fiscalité, etc.), il y a donc deux éléments fondamentaux que la dyarchie (UMP et PS) au pouvoir n’a toujours pas compris, ou plutôt fait semblant de pas comprendre :
1/ Il y a un déficit qui commande tous les autres, c’est celui de l’emploi. Si toutes les caisses (retraites, sécu, allocations familiales, etc.) sont en déficit c’est qu’il n’y a pas suffisamment de cotisants (de travailleurs) pour les alimenter. Dès lors que le chômage baissera, les comptes de ces caisses retrouveront l’équilibre. Or, en augmentant la pression fiscale, François Hollande (tout comme ses prédécesseurs) diminue la consommation et l’investissement, ce qui, par là même, augmente le chômage et … accroît les déficits. De même en augmentant les durées de cotisations et/ou l’âge de départ à la retraite, les gouvernements successifs accroissent encore la tension sur le marché du travail (en particulier sur les séniors, 50% des plus 50 ans n’exerçant déjà plus d’activités à plein temps) ce qui accroît les déficits des retraites. En conséquence, tant que l’on ne solutionnera pas la question de l’emploi, on ne solutionnera rien du tout. Et ce n’est pas en sortant des recettes vieilles de 30 ans comme les emplois aidés (souvenons-nous des TUC datant de … 1984) qui ont déjà montré leur incurie que l’on aboutira à quoi que ce soit[ii]. Une chose est pourtant avérée : la mondialisation tend à mettre l’ensemble des travailleurs de la planète en concurrence les uns avec les autres. Et ici aussi, la concurrence la plus mortifère pour l’emploi national ne vient pas forcément de là où l’on veut nous faire croire : tant que les travailleurs français seront mis en concurrence avec des Bulgares à 3€ de l’heure (toutes charges comprises), ils seront des millions à rester sur le carreau. Cela fait également trente ans que le parti socialiste nous vend la chimère de l’Europe sociale. Il serait plus que temps d’en dresser le bilan. Et ce bilan n’est même pas au ras des pâquerettes, il faut aller le ramasser dans le crottin d’un cœlacanthe, survivant préhistorique encore inconnu de la science, égaré au fond des fosses Mariannes. Et ce, tout simplement parce que nombre de nos soi-disant « partenaires » ne veulent pas d’une « Europe sociale ». L’Union européenne telle qu’elle est construite aujourd’hui, avec son dogme de la concurrence libre et non faussée, n’est qu’un catalyseur au moins disant social, fiscal, et même, malgré les déclarations de façades, environnemental. A défaut de pouvoir réorienter le chemin pris par la technocratie bruxelloise, il serait temps d’en tirer les conclusions qui s’imposent. Prétendre que dans le contexte européen actuel – comme dans celui d’un avenir à court et moyen terme –, il est possible de remettre la France sur le chemin de l’emploi et de la croissance est l’un des plus honteux mensonges de notre époque et nul doute que les générations futures se demanderont comment nous avons pu faire preuve d’une telle naïveté.
2/ Quel que soit le domaine dans lequel on se situe, les multiples mesures qui sont prises et qui s’additionnement les unes aux autres ne font qu’opacifier le système, et ce faisant le rende à la fois inefficace et injuste. Inefficace parce qu’elles sont par nature incapables de saisir la logique d’ensemble et entraînent le plus souvent des effets pervers qui annulent les effets bénéfiques qu’elles sont censées produire. Les niches fiscales en sont un exemple typique. Essentiellement créées pour générer un effet incitatif dans un secteur particulier, elles deviennent rapidement un simple dispositif d’optimisation fiscale qui permet aux plus riches (entreprises comme particuliers) de se soustraire à l’impôt[iii]. C’est ici qu’apparaît le caractère foncièrement injuste des politiques suivies. « Plurimae leges pessima Respublica[iv] » avaient coutume de dire les Romains. En additionnant mesures sur mesures, la dyarchie au pouvoir en a rendu le droit français, quel que soit son domaine (fiscalité, droit du travail, droit privé, entreprises, etc.), complètement illisible sauf pour un avocat spécialisé. Et qui peut se payer un avocat spécialisé ? « Nul n’est censé ignoré le Loi » était semble-t-il un des grands principes de la République, mais il semble bien que, dans les faits, la justice française (au sens large) soit bel et bien devenue vénale.
Alors pourquoi s’obstiner dans cette voie ? Les déclinistes, amis des oligarques, dans leur habituel mépris de la France, objectent que sont les Français qui sont imperméables et rétifs à toute forme de réforme d’envergure. Pourtant, Nicolas Sarkozy, avec sa (pseudo) réforme des retraites, et François Hollande, avec le mariage gay, ont tous deux mis dans la rue des millions de manifestants sans que soient remis en cause leurs textes législatifs. Il n’est pas ici question d’une incapacité de la France à se réformer ou d’un manque de courage politique de ses dirigeants.
François Hollande avait, semble-t-il, pourtant très bien perçu la nécessité d’une complète remise à plat de notre système fiscal, s’appuyant sur les travaux de Landais, Piketty et Saez[v]. Et nul doute qu’initiée sur la lancée des premières semaines de son quinquennat, une telle réforme aurait pu aboutir. Pourquoi n’en a-t-il rien fait ? Pourquoi depuis son élection se contente-t-il de nous balancer quelques pourcents par ci, quelques baisses par là en se disant que dans les faits ce sera relativement indolore (ce qui n’est pas complètement faux) ?
Sans doute, parce que, pour reprendre Emmanuel Todd[vi], il n’est qu’un nain. Mais aussi, sûrement, parce que l’opacité actuelle profite bien à une minorité oligarchique qui sait rester proche des arcanes du pouvoir[vii].
[i] C’est ainsi que, à raison, Jacques Sapir ne distingue plus que la droite décomplexée – l’UMP de M. Copé – et la droite complexée – le PS de M. Hollande - .
[ii] Au passage, toutes ces recettes qui consistent, d’une manière ou d’une autre, à subventionner les emplois peu qualifiés encouragent les entreprises à embaucher à bas salaires et tirent donc l’ensemble des salaires vers le bas.
[iii] C’est ainsi que Liliane Bettencourt, femme la plus riche de France, est soumise à un taux d’imposition réel de … 13%. CF. Laurent Neumann, Femme la plus riche du monde: Liliane Bettencourt ne connaît pas la crise !, Marianne, 5 mars 2013.
[iv] Plus il y a de lois, pire est l’Etat.
[v] Sur le sujet, lire également pour une réforme radicale de la fiscalité
[vi] Emmanuel Todd, Goodbye Hollande ! ; Marianne, 12 mai 2013.
[vii] Lire également François Hollande, dis-mois qui te conseille, je te dirai qui tu es.