Sur le cas de M. Fillon : légalité et morale versus légitimité et stature
Les défenseurs du candidat des « Républicains » ont concentré le débat autour des « affaires » concernant M. Fillon sur des problématiques de légalité[i] (les actes reprochés à M. Fillon ne seraient pas illégaux) et de morale (en politique, la morale du candidat est une question relativement secondaire : ce qui compte c’est le programme et la capacité du candidat à le mettre en œuvre).
Or, le cœur du sujet n’est pas sur ces deux points, mais sur deux autres que M. Fillon a définitivement perdus :
- La légitimité. M. Fillon a élaboré un programme qui promet aux Français du « sang et des larmes »[ii]. Nonobstant l’irréalisme de ce programme (supprimer 500 000 emplois dans un pays qui compte déjà plus de 5 millions de chômeurs, poursuivre la fuite en avant de 35 ans de politiques néolibérales), c’est son droit le plus strict. Mais ce qui est éminemment choquant, c’est qui le fasse en s’octroyant pour luimême et sa famille les plus grands largesses (qu’elles soient légales ou pas, en soit peu importe) avec les deniers publics[iii]. Ceci discrédite toute sa légitimé à mettre en œuvre son propre programme et nul doute que s’il venait à être élu, ce double discours (l’austérité pour les autres, la prodigalité de l’Etat pour lui et les siens[iv]) lui reviendra en boucle ad nauseum ;
- La stature. Ces affaires ont révélé que M. Fillon aimait l’argent. Qu’il n’était pas sans avoir une mentalité de petit bourgeois parvenu qui aime se faire flatter par des « cadeaux » des puissants[v]. Un esprit bas et mesquin. Un tel esprit est évidemment incompatible avec la magistrature suprême (et ce n’est pas parce que d’autres avant étaient dans un tel état d’esprit que cela est devenu compatible !). M. Fillon a été le laquais, pardon le « collaborateur » de Nicolas Sarkozy pendant 5 ans (ce qui devrait aussi faire réfléchir quant à la pertinence de son programme). On sait maintenant aussi qu’il n’est qu’une pâle copie : une sorte de blingbling sans les dorures apparentes[vi].
En dernier recours, les partisans de M. Fillon crient à la cabale médiatico-politique. Ils n’ont probablement pas entièrement tort et cela pose, effectivement, une vraie question quant à la régulation des médias tant on constate à quel point certains d’entre eux roulent ostensiblement pour M. Macron (notamment ceux appartenant à son ami M. Drahi)[vii]. Certes. Mais tout ceci ne retire rien aux faits et, bien évidemment, ne rétablit absolument pas ni la légitimité ni la stature de M. Fillon. Ce n’est pas par rejet du vide de M. Macron (sur ce point lire l’excellente chronique de Jean-Paul Brighelli) que l’on ira se jeter dans les bras du sieur Fillon, ce d’autant moins qu’à quelque iota près leurs programmes[viii] respectifs ne font que trahir la même idéologie libérale-libertaire[ix] (l’un étant juste un peu plus libéral, l’autre un peu plus libertaire).
Ajoutons un dernier point. Depuis la campagne des primaires, M. Fillon drague ostensiblement un électorat oublié (voire méprisé) depuis des décennies : la droite traditionnelle, et plus précisément l’électorat catholique. Mais peut-on réellement croire à la sincérité d’un candidat qui fut souverainiste avec Philippe Séguin jusqu’en 1992[x], libéral-européiste avec Edouard Balladur (1992-95), on-ne-sait-pas-vraiment-quoi avec Jacques Chirac (1995-2002), keynésien avec Nicolas Sarkozy en 2008-2009 puis austéritaire avec le même Sarkozy en 2011-2012 ? Peut-on réellement espérer du changement d’un candidat qui fut de tous les strapontins ministériels[xi] depuis 25 ans et qui a a minima accompagné sinon généré, notamment, la destruction de l’école de la République, la désindustrialisation du pays, l’abandon de sa souveraineté et sa soumission aux logiques de la finance internationale ?
Note de dernière minute sur ce dernier point : François Fillon vient justement d’affirmer que la « sensiblité de Sens commun » n’était pas la sienne ….
[i] On relèvera l’incongruité de certains défenseurs de M. Fillon qui hurlent à l’atteinte à la séparation des pouvoirs et à l’Etat de droit sous prétexte que le pouvoir judiciaire viendrait interférer dans l’élection du chef du pouvoir exécutif alors même que justement, tout le principe de l’état de droit (et de la séparation des pouvoirs) réside dans le fait que les représentants des autres pouvoirs (exécutif et législatif) doivent pouvoir être considérés comme justiciables au même titre que n’importe quel citoyen !
Les mêmes sont par ailleurs beaucoup moins choqués quant à la violation éhontée (et largement passée sous silence) de l’Etat de droit et du principe de séparation des pouvoirs que constitue l’architecture même de l’Union européenne dans laquelle la Commission européenne cumule dans ses mains les trois pouvoirs : législatifs (elle prononce les directives et règlements qui ont force de Loi), exécutifs (elle gère la politique courante et contrôle l’application des directives et règlements) et judiciaire (elle arbitre et inflige les amendes). Et c’est un sujet sur lequel le programme de M. Fillon est, soit dit en passant, bien discret !
[ii] Mais pas exactement pour tous : si M. Fillon est élu, rentiers et patrons des multinationales pourront continuer à profiter encore plus des largesses de l’Etat pendant que ceux qui travaillent et/ou peinent à joindre les deux bouts (les classes moyennes et les classes populaires) devront se serrer encore plus la ceinture.
[iii] Le plus choquant dans ses affaires étant probablement le fait que le clan Fillon ne perçoivent même pas le caractère choquant qu’il peut y avoir pour l’immense majorité des Français qui compte après le moindre euro de voir un prétendant à la magistrature suprême s’attribuer de telles largesses.
[v] Notons que n’importe quel fonctionnaire qui se ferait prendre la main dans un tel « pot de confiture » avec de tels « cadeaux » pouvant laisser supposer qu’il se trouve en situation de prévarication et d’échanges de bons procédés (pour ne pas parler de corruption) se verrait très rapidement au mieux (pour lui) mis à pied et muté, au pire radié des cadres.
[x] Il fit campagne contre la ratification du traité de Maastricht …
[xi] Ministre de l’enseignement supérieur et de la Recherche (1993-95), Ministre des technologies de l’Information et de la Poste (mai 1995- novembre 1995), Ministre délégué à la Poste, aux Télécommunications et à l'Espace (1995-97), Ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité (2002-04), Ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (2004-05), Premier ministre (2007-12).