L'ALLEMAGNE, CE MODELE BIDON
« Il n'y a pas de modèles il n'y a qu'un modèle : il est allemand »i s’exclame Alain Minc, ne faisant que reprendre là la rhétorique habituelle des chiens de garde du néolibéralisme. Sans même s’attaquer au dogmatisme pédant, à la limite de la puérilité, de cette affirmation, il est extrêmement simple de démontrer comment elle ne résiste pas à l’épreuve des faits (mais l’une des caractéristiques majeures des idéologues est de mépriser les faits dès lors qu’ils ne confirment par leurs croyances aveugles).
Car le fameux « modèle allemand » que l’on nous cesse de nous vendre n’est qu’un leurre. La croissance actuelle de l’Allemagne n’est que de quelques dixièmes de points supérieure à la notre (2012 et perspectives 2013)ii, ne faisant en cela que rattraper l’énorme baffe qu’elle s’est prise en 2009 (bien plus que la France)iii : sur les dix dernières années, la croissance allemande n’est pas supérieure à la croissance françaiseiv. Si on s’intéresse à la question du chômage, le marché du travail allemand ne voit arriver que 280 000 jeunes tous les ans, la France 750 000v. Dès lors, il apparaît évident que les problématiques de l’emploi ne sont nullement comparables d’un pays à l’autre. Qui plus est, contraindre des gens à travailler pour 1 euro de l’heure, tel que c’est le cas en Allemagne, cela n’est pas de l’encouragement au retour à l’emploi mais confine à l’esclavagevi. Enfin, et surtout, avec le contexte démographique qui est le sien, dans même pas 20 ans, l’Allemagne (qui sera alors moins peuplée que la France) sera un pays de vieux rentiers autochtones qui payent des immigrés turcs au lance-pierre. Dernier point et non des moindres : le niveau d’endettement de l’Allemagne est à peine inférieur à la Francevii (et encore il est possible que l’Allemagne masque une bonne partie de ses comptesviii) et la situation de ses banques n’est guère reluisanteix.
Dans 20 ans, l’Allemagne sera un nain : une économie dépendante de sa rente aux exportations (et encore cela ne devrait pas durer), sans jeunesse, sans armée, sans diplomatie et avec une société fracturée et une immigration bien plus ingérablex que la notre. La gueule du modèle.
A partir de ces éléments, il devient bien plus aisé de comprendre l’intransigeance actuelle de l’Allemagne de Mme Merkel. Elle sait que le temps joue contre elle. Elle ne peut pas se permettre un endettement excessif car sa démographie ne lui permettra jamais de rembourser. Elle doit impérativement, même si cela sera une impasse à long terme, conserver son modèle mercantiliste (et finalement prédateur pour ses voisins du Sud et pour la Francexi) basé sur les exportations car c’est là la perfusion qui permet à sa population de vieux rentiers de survivre. L’Allemagne s’accroche au présent parce qu’elle sait qu’elle n’a pas d’avenir. A partir de là, tout s’explique : « (L’Allemagne) mène une politique strictement nationale, profite de l'euro qui nous interdit de dévaluer et de faire baisser notre coût du travail, elle renonce au nucléaire au prix d'un partenariat énergétique avec la Russie, en attendant une entente commerciale avec la Chine, le tout sans jamais consulter ses partenaires européens. Avec un allié économique comme l'Allemagne, nous n'avons plus besoin d'ennemi ! »xii. Contrairement à ce que serinent les chiens de garde néolibéraux, protégeant en cela les rentiers allemands mais aussi leurs homologues français qui ont la main sur les principaux médias de notre paysxiii, ce n’est pas la France qui est en position de faiblesse vis-à-vis de l’Allemagne, mais bien l’inverse. Dans 20 ans, la France aura une population toujours relativement jeune qui dépassera celle de l’Allemagne. Notre pays dispose de fleurons qui lui permettent et lui permettront de peser économiquement (en particulier dans l’aéronautique, le spatial, l’énergie, la défense). Il demeure, malgré un marché du travail que l’on persiste à décrire comme rigidifié, l’un des premiers receveurs mondiaux d’investissements étrangers. Son réseau diplomatique est le second de la planète et son armée est (avec celle du Royaume-Uni, mais celle-ci est actuellement en cours de large déclassement) la seule qui compte encore vraiment sur le continent européen. Etc.
En pratique, il suffirait d’à peine montrer les crocs pour que Mme Merkel se plie à la volonté française. Nul besoin de jeter la pierre à là chancelière : elle n’est forte que de part la faiblesse, que dis-je la lâcheté, de nos dirigeants qui préfèrent se cantonner à une gestion à la petite semaine et à courte vue, un immobilisme sanctifiant béatement un hypothétique retour de la croissance à coups de pensée magique, le tout emballé dans un faux-semblant d’agitation médiatique stérile.
i Alain Minc, cité par Patrick Brody, A bas les modèles !, Le Monde, 05/03/2012.
ii Au 4 e trimestre 2012, la croissance française (-0,3%) a d'ailleurs été meilleure (ou plutôt moins mauvaise...) que le croissance allemande (-0,6%). De 2002 à 2011, le PIB français est passé de 1452Mds$ à 2773Mds$, soit une progression de 90%, le PIB allemand est passé de 2066Mds€ à 3608Mds€, soit une progression de 74,6%. Source : Google public data.
iii En 2009 : Allemagne -5,13% du PIB, France -3,15%.
iv Philippe Askenazy, Arrêtons le French bashing, Le Monde économie, 21/01/2013.
v Jacques Sapir, “Sur le TSCG”, RusseEurope. Le Carnet de Jacques Sapir sur la Russie et l’Europe (Hypotheses.org), 23 septembre 2012. [En ligne] http://russeurope.hypotheses.org/133.
vi Lire Jacques Santi, L’Allemagne machine à créer des injustices, Marianne, 05/04/2013.
vii En 2012, 83% par rapport au PIB pour l'Allemagne, 90% pour la France.
viii Mathieu Mucherie, Mensonge d'Etat : pourquoi les pays qui proclament faire de l'austérité sont en réalité ceux qui dépensent le plus, Atlantico, 18/01/2013.
ix Jacques Sapir, La crise chypriote, l’Allemagne et la Russie, Russeurope, 22/03/2013 ; Laurent Pinsolle, L’accord scandaleux sur la supervision bancaire de la zone euro, Gaulliste libre, 15/12/2012.
x Entre autres problèmes, l’immigration telle qu'elle se déroule en Allemagne est bien plus endogame qu’en France. Cf. Emmanuel Todd, Après la démocratie, Gallimard 2008.
xi Lire Jean-Luc Gréau, Comment l’endettement public est devenu excessif, Le Forum démocratique, 10/04/2013 ; Jacques Sapir, La zone euro après Chypre, Russeurope, 05/04/2013 ; Pascal-Emmanuel Gobry, Le pays le plus dangereux de la zone euro n’est pas la Grèce, ni l’Espagne mais … L’Allemagne, Atantico, 2501/2013 ; Wolf Richter, Les contribuables encore condamnés à payer pour les banques ? L’union bancaire vue par l’empêcheur allemand de monétariser en rond, Atlantico, 15/12/2012.
xii Emmanuel Todd, interview à Marianne, 16/10/2012.
xiii Lire Serge Halimi, Les Chiens de garde, Raison d'agir 2005 ; voir également le film qui en est tiré). On notera toutefois que le journal Le Monde commence, enfin, à prendre ses distances avec la docte néolibérale sur le sujet, notamment par la voie d’Arnaud Leparmentier, Rêve allemand, cauchemar européen, Le Monde, 27/02/2013.