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L'Oeil de Brutus

L'ALLEMAGNE, CE MODELE BIDON

23 Avril 2013 , Rédigé par L'oeil de Brutus

L'ALLEMAGNE, CE MODELE BIDON

« Il n'y a pas de modèles il n'y a qu'un modèle : il est allemand »i s’exclame Alain Minc, ne faisant que reprendre là la rhétorique habituelle des chiens de garde du néolibéralisme. Sans même s’attaquer au dogmatisme pédant, à la limite de la puérilité, de cette affirmation, il est extrêmement simple de démontrer comment elle ne résiste pas à l’épreuve des faits (mais l’une des caractéristiques majeures des idéologues est de mépriser les faits dès lors qu’ils ne confirment par leurs croyances aveugles).

Car le fameux « modèle allemand » que l’on nous cesse de nous vendre n’est qu’un leurre. La croissance actuelle de l’Allemagne n’est que de quelques dixièmes de points supérieure à la notre (2012 et perspectives 2013)ii, ne faisant en cela que rattraper l’énorme baffe qu’elle s’est prise en 2009 (bien plus que la France)iii : sur les dix dernières années, la croissance allemande n’est pas supérieure à la croissance françaiseiv. Si on s’intéresse à la question du chômage, le marché du travail allemand ne voit arriver que 280 000 jeunes tous les ans, la France 750 000v. Dès lors, il apparaît évident que les problématiques de l’emploi ne sont nullement comparables d’un pays à l’autre. Qui plus est, contraindre des gens à travailler pour 1 euro de l’heure, tel que c’est le cas en Allemagne, cela n’est pas de l’encouragement au retour à l’emploi mais confine à l’esclavagevi. Enfin, et surtout, avec le contexte démographique qui est le sien, dans même pas 20 ans, l’Allemagne (qui sera alors moins peuplée que la France) sera un pays de vieux rentiers autochtones qui payent des immigrés turcs au lance-pierre. Dernier point et non des moindres : le niveau d’endettement de l’Allemagne est à peine inférieur à la Francevii (et encore il est possible que l’Allemagne masque une bonne partie de ses comptesviii) et la situation de ses banques n’est guère reluisanteix.

Dans 20 ans, l’Allemagne sera un nain : une économie dépendante de sa rente aux exportations (et encore cela ne devrait pas durer), sans jeunesse, sans armée, sans diplomatie et avec une société fracturée et une immigration bien plus ingérablex que la notre. La gueule du modèle.

A partir de ces éléments, il devient bien plus aisé de comprendre l’intransigeance actuelle de l’Allemagne de Mme Merkel. Elle sait que le temps joue contre elle. Elle ne peut pas se permettre un endettement excessif car sa démographie ne lui permettra jamais de rembourser. Elle doit impérativement, même si cela sera une impasse à long terme, conserver son modèle mercantiliste (et finalement prédateur pour ses voisins du Sud et pour la Francexi) basé sur les exportations car c’est là la perfusion qui permet à sa population de vieux rentiers de survivre. L’Allemagne s’accroche au présent parce qu’elle sait qu’elle n’a pas d’avenir. A partir de là, tout s’explique : « (L’Allemagne) mène une politique strictement nationale, profite de l'euro qui nous interdit de dévaluer et de faire baisser notre coût du travail, elle renonce au nucléaire au prix d'un partenariat énergétique avec la Russie, en attendant une entente commerciale avec la Chine, le tout sans jamais consulter ses partenaires européens. Avec un allié économique comme l'Allemagne, nous n'avons plus besoin d'ennemi ! »xii. Contrairement à ce que serinent les chiens de garde néolibéraux, protégeant en cela les rentiers allemands mais aussi leurs homologues français qui ont la main sur les principaux médias de notre paysxiii, ce n’est pas la France qui est en position de faiblesse vis-à-vis de l’Allemagne, mais bien l’inverse. Dans 20 ans, la France aura une population toujours relativement jeune qui dépassera celle de l’Allemagne. Notre pays dispose de fleurons qui lui permettent et lui permettront de peser économiquement (en particulier dans l’aéronautique, le spatial, l’énergie, la défense). Il demeure, malgré un marché du travail que l’on persiste à décrire comme rigidifié, l’un des premiers receveurs mondiaux d’investissements étrangers. Son réseau diplomatique est le second de la planète et son armée est (avec celle du Royaume-Uni, mais celle-ci est actuellement en cours de large déclassement) la seule qui compte encore vraiment sur le continent européen. Etc.

En pratique, il suffirait d’à peine montrer les crocs pour que Mme Merkel se plie à la volonté française. Nul besoin de jeter la pierre à là chancelière : elle n’est forte que de part la faiblesse, que dis-je la lâcheté, de nos dirigeants qui préfèrent se cantonner à une gestion à la petite semaine et à courte vue, un immobilisme sanctifiant béatement un hypothétique retour de la croissance à coups de pensée magique, le tout emballé dans un faux-semblant d’agitation médiatique stérile.

i Alain Minc, cité par Patrick Brody, A bas les modèles !, Le Monde, 05/03/2012.

ii Au 4 e trimestre 2012, la croissance française (-0,3%) a d'ailleurs été meilleure (ou plutôt moins mauvaise...) que le croissance allemande (-0,6%). De 2002 à 2011, le PIB français est passé de 1452Mds$ à 2773Mds$, soit une progression de 90%, le PIB allemand est passé de 2066Mds€ à 3608Mds€, soit une progression de 74,6%. Source : Google public data.

iii En 2009 : Allemagne -5,13% du PIB, France -3,15%.

iv Philippe Askenazy, Arrêtons le French bashing, Le Monde économie, 21/01/2013.

v Jacques Sapir, “Sur le TSCG”, RusseEurope. Le Carnet de Jacques Sapir sur la Russie et l’Europe (Hypotheses.org), 23 septembre 2012. [En ligne] http://russeurope.hypotheses.org/133.

vi Lire Jacques Santi, L’Allemagne machine à créer des injustices, Marianne, 05/04/2013.

vii En 2012, 83% par rapport au PIB pour l'Allemagne, 90% pour la France.

viii Mathieu Mucherie, Mensonge d'Etat : pourquoi les pays qui proclament faire de l'austérité sont en réalité ceux qui dépensent le plus, Atlantico, 18/01/2013.

ix Jacques Sapir, La crise chypriote, l’Allemagne et la Russie, Russeurope, 22/03/2013 ; Laurent Pinsolle, L’accord scandaleux sur la supervision bancaire de la zone euro, Gaulliste libre, 15/12/2012.

x Entre autres problèmes, l’immigration telle qu'elle se déroule en Allemagne est bien plus endogame qu’en France. Cf. Emmanuel Todd, Après la démocratie, Gallimard 2008.

xi Lire Jean-Luc Gréau, Comment l’endettement public est devenu excessif, Le Forum démocratique, 10/04/2013 ; Jacques Sapir, La zone euro après Chypre, Russeurope, 05/04/2013 ; Pascal-Emmanuel Gobry, Le pays le plus dangereux de la zone euro n’est pas la Grèce, ni l’Espagne mais … L’Allemagne, Atantico, 2501/2013 ; Wolf Richter, Les contribuables encore condamnés à payer pour les banques ? L’union bancaire vue par l’empêcheur allemand de monétariser en rond, Atlantico, 15/12/2012.

xii Emmanuel Todd, interview à Marianne, 16/10/2012.

xiii Lire Serge Halimi, Les Chiens de garde, Raison d'agir 2005 ; voir également le film qui en est tiré). On notera toutefois que le journal Le Monde commence, enfin, à prendre ses distances avec la docte néolibérale sur le sujet, notamment par la voie d’Arnaud Leparmentier, Rêve allemand, cauchemar européen, Le Monde, 27/02/2013.

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K
Certaines de vos affirmations me semblent erronées. Certes la croissance de l'Allemagne et de la France sont à peu près équivalentes sur les 10 dernières années mais comme dans le même temps, la population de la France a beaucoup plus augmenté, le PIB par habitant de la France ne représente plus que 89% de l'allemand contre 95% à la fin des années 1990. Par ailleurs, l'immigration en Allemagne est surtout en provenance d'Europe et c'est une immigration du travail. Son immigration lui posera donc moins de problème qu'à la France, qui subit surtout une immigration africaine (beaucoup plus éloignée culturellement) par regroupement familial et pour percevoir les aides en tout genre. L'Allemagne peut résoudre une partie de son problème démographique avec une forte immigration européenne, meme si ça ne suffira sans doute pas. Enfin, pour ce qui est du travail à 1 euro de l'heure, je pense que c'est un cas bien particulier qui ne reflète pas les rémunérations généralement pratiquées utre Rhin. Bien cordialement
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L
Merci pour votre commentaire.<br /> Effectivement la richesse produite par habitant de la France par rapport à l'Allemagne a reculé. Mais cela revient en fait simplement à la question initiale de la démographie : sur le long terme, vaut-il mieux avoir une population de riches rentiers ou une population de jeunes avec certes des difficultés à les insérer dans le marché du travail ?<br /> sur l'immigration, je vous invite à lire Emmanuel Todd, Après la démocratie. Si effectivement, l'immigration en Allemagne est davantage une immigration de travail, elle s'insère cependant beaucoup moins dans la population (cf. les chiffres sur les mariages mixtes). En outre, l'immigration est très largement fantasmée et instrumentalisée en France. Enfin, je ne suis pas sûr qu'il soit plus difficile pour un ressortissant d'une ancienne colonie française de s'intégrer en France que pour un truc ou un bulgare en Allemagne (ne serait-ce que de part la langue).<br /> Les &quot;one euro job&quot; n'ont rien d'exceptionnels, tout comme d'une manière générale les salariés low cost. cf. http://www.marianne.net/L-Allemagne-ou-le-dogme-du-salarie-low-cost_a228835.html <br /> <br /> Bien cordialement.
A
analyse bidon d'une gauche qui emploie n'importe quel argument pour continuer son entreprise de prédation de la société française<br /> en effet, il n'est pas besoin de se raccrocher aux branches des failles allemandes qui ne sont pour rien dans l'incurie des politiques de notre pays,<br /> ces politiques qui refusent de toucher au &quot;modèle français&quot; d'un état-providence en ruine à force d’être pompé par une bande de vampires qui n'entendent pas lâcher leur proie de sitôt<br /> cet etat-providence à la française qui est ce qui se fait de mieux comme exemple d'un pays dont les institutions, les médias, l’Éducation, la justice et les cerveaux politiques sont entièrement gangrenés par idéologie socialo-marxiste<br /> aller chercher un Minc et en plus le taxer de &quot;neo-liberalisme&quot; est la plus grande stupidité qui soit et elle ne peut étonner au moment où la gauche en perdition cherche n'importe quel prétexte pour se dédouaner!<br /> merkel est ou n'est pas ce qu'on veut, elle n'est pour rien dans la situation désastreuse de notre pays!
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L
Et bien ... voilà un contre-argumentaire pertinent et constructif ... : A aucun moment vous ne prenez ne serait-ce qu'un seul de mes arguments pour tenter de démontrer que j'ai tort. <br /> Je ne vois pas d'ailleurs ce qui vous permet de me classer à gauche et pour vous faire une meilleur idée je vous invite à lire d'autres articles de mon blog.<br /> Par ailleurs, je ne prétends nullement que notre pays n'a pas besoin de réforme, bien au contraire (je vous invite là aussi à lire mes autres articles, par exemple celui-là : http://loeildebrutus.over-blog.com/article-propositions-citoyennes-pour-la-france-mis-a-jour-2-mai-2012-104450138.html ). Je dis simplement que s'inspirer du &quot;modèle&quot; allemand serait une énorme bêtise. <br /> Quant à Alain Minc, je vous laisse bien entendu libre de le placer dans votre panthéon. Je vous invite simplement à lire ce qu'il a pu écrire par le passé - ce qui permet de mesurer combien il passe son temps à se planter (mais faites attention : vous pouvez tomber sur un plagiat pour lequel il a déjà été condamné) - et voir comment il transforme les médias en instrument de propagande (en particulier Le Monde). Sinon, Alain Minc est bel et bien un &quot;néolibéral&quot; et si vous le désirez je pourrais même prendre le temps de vous expliquez pourquoi.<br /> Je vous laisse également libre bien sûr du choix de vos qualificatifs, en particulier celui de &quot;socialo-marxiste&quot;. J'attire simplement votre attention sur le fait que votre rhétorique est exactement du même type que celle de ceux que vous prétendez combattre (eux parlerait sans doute de la &quot;mentalité petite bourgeoise&quot; des Français). Comme quoi les extrêmes se rejoignent et s'il y a bien un point sur lequel elles sont toujours d'accord c'est pour trainer notre pays dans la boue.