FAUT-IL MONETISER LA DETTE ? (partie 2 sur 3)
Retrouver la première partie de cet article : http://loeildebrutus.over-blog.com/article-faut-il-monetiser-la-dette-1ere-partie-86654950.html
Comment l’euro est venu aggraver les choses
Dans un système déjà anarchique, l’euro est venu en rajouter une louche. Comme cela est régulièrement dénoncé, la zone euro ne dispose pas des cohérences économique et fiscale nécessaires à la mise en place d’une monnaie unique. Mais là n’est pas le plus grave en termes d’ordre –ou plutôt de désordre – monétaire. L’euro et la banque centrale européenne (BCE) ont été crées et institutionnalisés selon le dogme néolibérale monétariste, c’est-à-dire que la monnaie n’a aucun rôle macroéconomique[i] et que son rôle doit arbitrairement se limiter à juguler l’inflation. Nonobstant l’énorme cadeau que fait aux rentiers une telle politique, ce dogme ajoute au désordre monétaire. Bien évidemment, les Etats qui ne pouvaient emprunter auprès de leur propre banque centrale ne peuvent toujours pas le faire auprès de la BCE[ii]. Par ailleurs, la politique anti-inflationniste de la BCE, non seulement pénalise lourdement nos exportations[iii], mais en plus empêche la dévalorisation induite par l’inflation des actifs financiers et donc la dévalorisation de la dette dans le temps.
L’échec du monétarisme
Outre son caractère fondamentalement antidémocratique, la politique monétaire de ces 40 dernières années en France et en Europe, conjuguée aux multiples autres dérégulations, est en train, de par la crise actuelle, de signer son lamentable échec. Les Etats-Unis de Reagan et le Royaume-Uni de Thatcher s’y étaient également essayé mais ont vite compris l’impasse de tels choix. De nos jours, ces deux Etats, pourtant parmi les plus libéraux de la planète, n’hésitent pas à jouer de leur monnaie[iv]. Le Japon et à peu près toutes les puissances émergentes, à commencer par la Chine et le Brésil, font de même. Même si sous la contrainte des évènements la BCE a quelque peu assoupli ses positions[v], l’Europe demeure le dernier « idiot du village planétaire »[vi] à rester accrochée à sa chimère monétariste. Et les marchés savent en profiter : pourquoi donc s’acharnent-ils autant contre la zone euro alors que d’autres Etats (les Etats-Unis, le Japon ou encore le Royaume-Uni) ont des situations budgétaires bien plus tendues ? Tout simplement parce qu’ils savent que s’ils spéculent à la baisse sur les obligations de ces Etats, les banques centrales de ces derniers interviendront massivement pour les contrer et qu’à ce jeu les banques centrales sont bien plus fortes.
Le retour au Franc : une fausse bonne idée ?
Dans ce contexte, l’abandon de l’euro et le retour à la monnaie nationale émise par une banque centrale nationale sous contrôle politique pourrait faire figure de panacée : L’Etat pourrait à nouveau emprunter sans payer de taux d’intérêts et déclencher une inflation maîtrisée qui desserrerait l’étreinte sur les dettes (publiques comme privées) tout en favorisant l’investissement. Il pourrait même se donner le luxe de faire dans la désinflation compétitive pour favoriser les exportations[vii]. Les adversaires du retour au Franc rétorquent que cela ne résoudrait finalement pas le problème de notre dette qui est émise en euros. Ce qui est effectivement, au moins en partie, vraie. La sortie de la zone euro entrainerait probablement une dévaluation du franc par rapport à l’euro et notre dette étant libellée dans cette dernière monnaie elle ne ferait de ce fait que mathématiquement augmenter. Toutefois, cet argumentaire ne va pas jusqu’au bout de sa logique. La sortie de la zone euro de sa 2e économie la plus importante – la France – en entrainerait très probablement son explosion : tous les autres pays connaissant des difficultés à rembourser leur dette en feraient de même. Ne demeureraient alors dans la zone euro que 3 ou 4 pays, dits « vertueux », regroupés autour de l’Allemagne dans une zone monétaire qui ne seraient en fait qu’une zone Mark élargie. Face aux dévaluations des sortants de la zone euro – représentant la plus grandes parties des clients de leurs exportations – l’Allemagne et consœurs seraient confrontées à une forte chute de leurs exportations et en conséquence à une récession économique extrêmement importante sauf … si eux-mêmes décident de quitter la zone euro pour pouvoir dévaluer. L’euro ayant alors disparu, libre à chacun de renégocier sa dette dans sa monnaie nationale.
Le retour au Franc dispose donc bien d’atouts intéressants, mais il n’en reste pas moins dangereux car il pourrait conduire l’ensemble des pays d’Europe, et par ricochet l’ensemble de la planète, à faire la course à la dévaluation compétitive qui provoquerait une inflation cette fois-ci complètement immaîtrisable. Ainsi, ce retour à la monnaie nationale ne peut se faire que dans un cadre murement négocié entre les Etats membres. Ce ne serait ni plus ni moins qu’un retour au système monétaire européen (SME).
Une autre solution : une réforme en profondeur de l’euro.
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[i] Sur l’activité, le chômage, l’emploi, la consommation, l’investissement, les revenus …. Etc.
[ii] Cependant, pour desserrer l’étreinte auprès des dettes souveraines, la BCE consent à racheter, en seconde main, les bons du trésor des Etats les plus endettés. Mais comme ses statuts le lui interdisent, elle ne peut directement souscrire à ces bons du Trésor. Elle desserre donc provisoirement la pression mais finalement, de fait, cautionne le désordre monétaire. Triste aveu d’un lamentable échec.
[iii] Pendant que Chinois et Américains n’hésitent pas à jouer sur le cours de leur monnaie pour favoriser les leurs.
[iv] Ce qui n’exclut pas non plus, dans les formes les plus extrêmes, de profondes crises à venir : l’émission plus que massive de dollars par la FED risque fort un jour ou l’autre de transformer les billets de George Washington en monnaie de singe.
[v] Les statuts de la BCE lui interdisent d’acheter directement des bons du Trésor des Etats membres. Aussi, pour les Etats les plus en difficultés, les rachète-elle en seconde main auprès des banques qui auront bien voulu y souscrire à un taux prohibitif.
[vi] Pour reprendre le bon mot d’Hubert Védrine.
[vii] La pratique unilatérale de la désinflation compétitive est néanmoins extrêmement dangereuse : elle risque d’entrainer tous les Etats à le faire pour soutenir la concurrence, lançant ainsi le monde dans une spirale inflationniste sans fin jusqu’à implosion.