SUPPRESSION DU REDOUBLEMENT : CASSONS LE THERMOMÈTRE, NOUS N’AURONS PLUS DE TEMPÉRATURE
SUPPRESSION DU REDOUBLEMENT : CASSONS LE THERMOMÈTRE, NOUS N’AURONS PLUS DE TEMPÉRATURE
Dans une relative indifférence, l’Assemblée nationale vient de voter la quasi suppression du redoublement scolaire. On relèvera au passage la très molle opposition de la droite décomplexée (UMP) à ce texte présenté par la droite complexée (PS), confirmant ainsi bien leur convergence idéologique.
Plutôt que de s’intéresser aux causes de ces redoublements (méthodes d’enseignement, moyens alloués, autorité professorale – notamment vis-à-vis des parents, dégradations des situations socio-familiales des enfants, etc.), on décide donc de se débarrasser du thermomètre. Ainsi, l’éducation nationale n’aura plus de température et l’on pourra voire les enfants en difficultés accumuler leurs retards et leur mal-être de classe en classe. Avec cette mesure, conjuguée à la suppression des notes, il sera donc possible de poursuivre son cursus scolaire sans absolument aucun lien avec les apprentissages requis. Si on poursuit la logique jusqu’au bout, la France pourra ainsi s’enorgueillir d’ingénieurs incapables de faire une addition ou de professeurs de lettres analphabètes[i]. Et surtout, pire encore, de citoyens qui n’ont aucune conscience de ce qu’est la Cité. Le retour à l’état de nature tant chéris par ces post-rousseauistes libertaires et/ou libertariens.
Car il y a derrière cette mesure une forte consonance idéologique qui s’appuie sur un axiome simple, pour ne pas dire simpliste, hérité d’une lecture potache de Jean-Jacques Rousseau : l’homme naît naturellement bon, c’est la société qui le corrompt[ii]. Supprimons donc toutes les règles sociales, et nous retrouverons donc l’homme dans sa bonté originelle. Il faut une sacrée méconnaissance de l’homme en général, et des enfants en particulier, pour croire à de telles inepties[iii] ! Appliquons donc la même logique à la Justice : on supprimera donc toutes les condamnations judiciaires, nous n’aurons ainsi plus de délinquance. C’est d’ailleurs déjà partiellement le cas lorsque l’on constate qu’une bande de voyous peut, dans une quasi impunité, terroriser tout un train du RER D dans un remake de western de mauvais goût.
Mais l’idéologie s’accommode mal de la réalité. Car la réalité sera toute autre. Les parents un tant soit peu soucieux de l’avenir de leurs enfants et qui en ont les moyens vont vite les retirer de cette usine à ensauvagement qu’est en train de devenir l’école de la République pour les caser dans des écoles du secteur privé où l’on osera encore appliquer certaines normes qui permettent aux enfants d’appréhender leurs relations aux autres et au monde (le rôle premier de l’école) et, accessoirement, d’obtenir une formation qui leur permettra de s’insérer dans la vie professionnelle (le rôle second de l’école). Malgré tout, les libertaires du PS auront, du moins en apparence, assouvis leur idéologie puérile d’enfants attardés et les libertariens de l’UMP seront ravis de voir l’éducation de plus en plus se confortées aux logiques du marchés tout-puissant.
Le même schéma s’applique à la Justice et à la sécurité : au final, les plus aisés pourront se payer la protection de sociétés de sécurité privées, le pillage des rames de RER, c’est pour les gueux[iv].
Libertaires et libertariens sont en pratique dans le même camp, avec le même objectif : massacrer la République.
[i] Ce qui est d’ailleurs depuis longtemps la posture des idéologues pédagogistes qui, à l’intérieur des IUFM, encourageaient les futurs enseignants à en savoir le moins possible pour que leurs futurs élèves puissent le plus intégralement possible « apprendre par eux-mêmes ». Belle liberté que celle d’être ignorant !
[ii] Tous ceux qui ont un tant soit peu feuilleté sérieusement le grand Jean-Jacques savent que sa pensée est autrement plus complexe et qu’il donnait à l’éducation un rôle fondamental dans l’accès de l’individu à l’autonomie au sein de la société.
[iii] Pour se remémorer à quel point l’oligarchie au pouvoir est coupée de la réalité en général, et de celle de l’éducation en particulier, il faut relire cette sentence de Xavier Darcos, ancien ministre (UMP) de l’éducation nationale : « Est-ce qu’il est vraiment logique, alors que nous sommes si soucieux de la bonne utilisation des crédits délégués par l’Etat, que nous fassions passer des concours bac+5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches ? » (cité par Axel Trani, L’Education nationale dans la tourmente des réformes politiques, in L'Etat démantelé, La découverte 2010). Pour ce cher M. Darcos, pourtant père de famille (mais dans ce cas ses enfants n’ont guère du souvent bénéficier de son auguste présence), l’éducation des jeunes enfants consiste donc à changer des couches et les mettre à la sieste, allant même jusqu’à ignorer qu’en maternelle les enfants sont censés avoir acquis la propreté et que, de toute manière, ces tâches ne sont pas dévolues aux enseignants mais à des assistants scolaires.
Voire également sa conception de la culture : « La culture qui caractérise notre époque n’est […] plus un ensemble de normes sociales héritées du passé, mais un secteur économique en pleine expansion, un capitalisme culturel – ou une culture convertie aux logiques marchandes. » (cité par Bénédicte Fournier, Les défis de l’Institut français, Le spectacle du Monde, janvier 2012). Ça se passe de commentaires …
[iv] De la même manière, les méfaits de quelques racailles ensauvagées à l’occasion de la fête du titre du Paris-Saint-Germain ont vite fait de déclencher un vif émoi médiatique au point de saturer les ondes une semaine durant dès lors que ces méfaits ont lieu dans les beaux quartiers de la capitale. Le fait qu’exactement les mêmes méfaits se produisent quotidiennement dans les banlieues, dans lesquelles l’oligarchie politico-médiatique ne met plus les pieds sauf à l’occasion de quelques campagnes électorales dans le cadre d’une espèce de tourisme voyeuriste, ne suscite visiblement l’indignation de personne, ou presque, alors qu’ils pourrissent l’existence de millions de citoyens. Sur le sujet, lire Eric Conan, Pourquoi parle-t-on plus des casseurs quand ils débarquent dans les beaux quartiers ?, Marianne, 17/05/2013.