QUAND LA GAUCHE SE REVEILLERA ...
QUAND LA GAUCHE SE REVEILLERA
Je ne suis pas de gauche. Ni de droite non plus, d’ailleurs. En bon gaullien, je considère que la politique de la France doit savoir se situer au-dessus des querelles de partis. Mais force néanmoins est de reconnaître que ceux-ci doivent être à même d’animer le débat politique pour faire naître les idées qui feront la France de demain. Ce qu’ils ne font plus. Et depuis longtemps.
La gauche porte ici une large part de responsabilité, car, depuis la Révolution française, c’est essentiellement elle qui a construit le schéma politique de notre pays. La gauche portait les propositions de progrès, du moins ce qu’elle estimait être le progrès, et la droite agissait en réaction en dénonçant ce qu’elle n’estimait pas être du progrès. Initialement républicaine (ce qu’elle a aujourd’hui complètement oublié), la gauche est devenue socialiste (ce qu’elle a aussi oublié). En réaction, initialement monarchiste, la droite s’est tout au long de ces deux siècles cherchée un créneau d’opposition en se définissant tour à tour (et souvent un peu tout cela à la fois) conservatrice (en réaction au progressisme de la gauche), nationaliste (en réaction à l’internationalisme socialiste), catholique (en réaction à l’anticléricalisme des radicaux) ou libérale (en réaction au collectivisme).
Or, aujourd’hui la France n’a plus de gauche. Tout à chacun peut en effet constater que le Parti socialiste conduit aujourd’hui une politique encore plus libérale et moins keynésienne que celle précédemment conduite par M. Sarkozy[i]. A la droite décomplexée (UMP) a succédé une droite complexée (PS). Pour reprendre Régis Debray, « On parle de gauche, comme on parle du nez pour conquérir la place, ensuite on tranche à droite pour y rester »[ii]. Les caciques du PS rétorqueront qu’ils demeurent en pointe sur les questions sociétales en présentant le mariage gay comme une avancée sociétale dans la lignée de la légalisation du divorce, de l’avortement voire de l’abolition de la peine de mort. Sauf que, outre les considérations philosophiques de la question du mariage gay qui ont été largement méprisées tout au long du débat qui a précédé son adoption, il ne s’est agit ici nullement de mettre fin à des emprisonnements arbitraires de personnes selon leurs orientations[iii] ou de permettre à une catégorie de disposer librement de leurs personnes et de leurs corps. N’oublions non plus qu’en termes de soi-disant « avancées » soi-disant « sociétales », la gauche n’a pas le monopole : la théorie du genre a été introduite à l’école par M. Luc Chatel sous un gouvernement de droite. En tout état de cause, mis en face de la pléiade de renoncements de M. Hollande, c’est une bien maigre réforme. Le PS est bien le parti des 170 000 traîtres. Et ne parlons même pas de la dimension éthique et morale ou du rapport à l’argent : le parti de Jaurès et Blum est devenu le parti de Cahuzac et DSK. Le parti qui fait cadeau aux banques de 25 milliards d’euros de l’épargne des Français.
Reste alors le Front de Gauche … qui porte bien mal son nom. En tentant l’impossible grand écart entre les libertaires à la mode mai-68 et les républicains de gauche déçus par le PS, le parti de Jean-Luc Mélenchon se promet lui-même à la stérilité. Dans les faits, il n’est donc aujourd’hui qu’une espèce d’opposition interne de principe au parti au pouvoir, brouillonne, peu audible et obnubilée par la préservation de ses petits prébendes locaux lors des prochaines échéances électorales, notamment les municipales de 2014, à l’occasion desquelles il n’hésitera pas à s’allier à la droite complexée (le PS). M. Mélenchon aurait un tant soit peu de cohérence avec le programme affiché lors des dernières présidentielles, il aurait coupé les ponts depuis longtemps avec le PS de la même manière que, comme le remarque Jacques Sapir, il mettrait un terme à son européisme béat. Mais ce n’est pas le cas. Aussi, pour se donner l’illusion d’exister, le FDG se lance-t-il dans l’invocation d’une VIe République qui n’est qu’une IVe République restaurée agrémentée d’une petite sauce de démocratie participative qui la rendra encore plus instable et donc encore plus soumise aux jeux des partis et à la politicaillerie clientéliste.
Mais en face, on n’est guère mieux loti. Ce qui est bien logique : hors la parenthèse gaulliste (qui – contrairement à ce qu’aiment à présenter, pour se rassurer, les vieux thuriféraires de la lutte des classe - n’était pas vraiment de droite, du moins dans ses fondements), la droite ne s’est construit que par réaction face à la gauche. Et comment pourrait-elle se construire si pour se faire elle doit s’appuyer sur le néant ? C’est ainsi que l’on retrouve aujourd’hui à droite un méli-mélo douteux qui essaye de boire à tous les râteliers : libéralisme bobo à la sauce NKM, vague posture droite traditionnelle et plus ou moins démocrate-chrétienne à la Jupé ou à la Fillon, relents nauséabonds d’alliance avec l’extrême-droite à la mode Copé. L’UMP a bien réussi à accoucher d’un ersatz de doublon de centre-droit, l’UDI, mais le seul point de convergence de celui-ci semble être le rejet ou la déception du sarkozysme. Aussi pour ne pas trop couper les ponts avec ce bel héritage, a-t-il placé à sa tête un clone de l’ancien président : plus obnubilé par sa carrière politique que par le bien commun et cultivant des liens obscurs avec l’affairisme sauce Tapie.
Et de temps en temps, on invoque bien de Gaulle, mais on se demande bien pourquoi et qu’est-ce qui dans les idées (ou plutôt les non-idées) de la droite d’aujourd’hui pourraient se revendiquer de la vision de la France du général.
Dans tout cela, on se trouve donc dans un vide abyssal de la pensée politique à travers lequel seuls les libéraux-libertaires, devenus majoritaires dans les deux principaux partis[iv], arrivent à tirer leur épingler du jeu. Avec en arrière fond, les lobbys, les communautarismes de toutes sortes et les clientèles qui tirent les ficelles.
De toute cette fange alliant bassesses et médiocrités, il y en a bien quelques uns à chercher à nous en sortir (les derniers chevènementistes encore vivants, DLR, voire le MODEM). Mais l’oukase lancé sur la démocratie par la dyarchie au pouvoir est, pour l’instant, un puissant blocage aux alternatives qu’ils tentent de proposer. Il n’est cependant pas dit que cela dure (les élections européennes de 2014 seront un excellent test). Et surtout il faut espérer que cela ne dure pas. Car au petit jeu actuel, c’est le Front national qui tirera le mieux les marrons du feu.
De temps à autre, certains analystes osent exiger un « droit d’inventaire du sarkozysme », mais cette nécessité du droit d’inventaire est sans doute encore plus prégnante à gauche. Et il serait temps que les Français qui se disent encore sincèrement « de gauche » se rendent compte à quel point le PS, mais aussi le Front de gauche, les méprisent et ne jouent qu’à la reproduction de leurs mandats de petits notables. Bien loin du bien commun, de la République, de la Nation et du peuple.
[i] Les deux se rejoignant dans un clientélisme effréné, à la simple différence que les clientèles visées ne sont pas les mêmes.
[ii] Régis Debray, Rêveries de gauche.
[iii] M. Mamère et le couple qu’il avait illégalement marié ont-ils été, ne serait-ce qu’un instant, menacés d’emprisonnement ?
[iv] Et n’hésitant pas à recourir à l’arbitraire pour faire taire toutes vélléités de débat interne, comme le prouvent les dernières évolutions pathétiques du PS.