LA FONCTIONNAIROPHOBIE : Sur les effectifs de la fonction publique (1/4).
LA FONCTIONNAIROPHOBIE
« Avoir un ennemi est le bien le plus précieux, il nous donne un point d’appui. »
Alexis Jenni, L’Art français de la guerre, page 322.
Cette série de billets s’appuie sur un article (ou plutôt sur la contradiction d’un article) écrit par M. Eric Verhaeghe et paru sur Atlantico.fr (Ce que le projet de loi de finances révèles sur le poids réel de la fonction publique sur le budget de la France) pour tordre le cou à un certain nombre de préjugés sur la fonction publique.
Sommaire :
1/ Sur les effectifs de la fonction publique.
2/ Les revenus et la parité au sein de la fonction publique.
3/ La fonction publique et la société française.
4/ L’idéologie néolibérale et son bouc émissaire
1/ Sur les effectifs de la fonction publique.
D’ordinaire, j’apprécie beaucoup les articles de M. Eric Verhaeghe et le cite d’ailleurs régulièrement dans mes parutions du Vieux Cordelier. Non que je partage forcément ses idées et ses convictions, mais force est d’admettre qu’il sait sortir du cadre de la pensée dominante pour faire des constats pertinents et proposer des solutions innovantes qui ont le méritent de pouvoir animer le débat et le sortir de la fange dans laquelle la médiocrité médiatique dominante tant à se complaire. Le tout servi par une plume vive et alerte, ce qui ne gâche rien.
C’est pourquoi l’une de ses dernières parutions m’a pour le moins interloqué par ses préjugés et partis pris : « Ce que le projet de loi de finances révèle sur le poids réel de la fonction publique sur le budget de la France ». Le titre se suffit à lui-même : la fonction publique, donc les fonctionnaires, serait la principale responsable de la situation catastrophique de nos finances publiques.
Il ne s’agit pas ici de prendre un parfait contre-pied de cette théorie en affichant une complaisance sans borne pour une fonction publique idyllique. Celle-ci, notamment au niveau territorial, a un urgent besoin de réformes qui sortent des approches purement comptables et technocratiques (comme la RGPP) pour que nos services publics demeurent une véritable force au service des citoyens et des entreprises. Mais entre prôner une réforme de la fonction publique et en donner une vision caricaturale et déformée à des fins idéologiques, il y a un pas. Et il semblerait bien que M. Verhaeghe ait franchit ce pas.
Ainsi, dès le second paragraphe de son article, il évalue le secteur public à 6,74 millions, soit un cinquième des actifs. Le problème est que la méthode de calcul qui lui permet d’aboutir à ce résultat est pour le moins contestable. Il y inclut ainsi les emplois aidés (143 000) mais sans donner le périmètre de ce qu’il entend par « emplois aidés ». Dans cette même logique, on pourrait aussi très bien inclure tous les emplois bénéficiant d’allégements de charge (tous ceux qui sont au SMIC et légèrement au-dessus), ce qui permettrait de trouver probablement quelques millions de « fonctionnaires » de plus. Dans le même ordre d’idées, sont également inclus les salariés d’organismes privés à financement public (648 000). Ces salariés sont pourtant bel et bien régis par un statut privé (on y retrouve, par exemple, les enseignants des écoles sous contrat). On ne saisit pas bien la logique qui veut ici que l’on allège le poids de l’Etat tout en considérant que dans le « calcul de ce poids » on y compte les missions de service public que l’Etat a délégué au secteur privé … Et si l’on poursuit, cette logique jusqu’au bout alors pourquoi ne pas y inclure, par exemple, l’ensemble des cliniques privés et des professions médicales libérales qui dépendent pour l’essentiel du financement public assuré par la sécurité sociale ? Et si l’on doit s’en tenir au « financement public », on pourrait également rajouter les salariés d’entreprises bénéficiant du subventionnement, direct ou indirect, de l’Etat ? Après tout, les emplois relevant du crédit impôt recherche pourrait également y être adjoint … Dernier point, sur ce sujet, M. Verhaeghe adjoint au secteur public les salariés des entreprises publiques (588 000), sans là aussi définir le périmètre dont il est question. Les sociétés anonymes dont des parts sont détenues par l’Etat entrent-elles dans ce calcul[i] ?
Bref, on le voit bien : pour mettre à l’index la fonction publique (le titre parle bien du « poids réel de la fonction publique »), tous les artifices semblent bons pour en surestimer le poids y compris en mélangeant allégrement les notions de services publics et de fonction publique.
Mais ce là que le premier point. Dans la suite de l’article, M. Verhaeghe souligne quelques augmentations d’effectifs, certes bien surprenantes en période de rigueur et de disette budgétaire, au sein de quelques collectivités. Je le rejoins bien sur ce point. Mais c’est la conclusion qu’il en tire qui laisse pantois : « Une fois de plus, ceux qui imaginent que l’Etat est le meilleur gardien de l’égalité dans notre pays trouveront dans ces chiffres de quoi les faire méditer longuement sur leurs certitudes intimes ». On peut certes s’élever contre les augmentations déraisonnées d’effectifs au sein des fonctions publiques, mais que vient faire la notion d’égalité la dedans ?
1/ Sur les effectifs de la fonction publique.
2/ Les revenus et la parité au sein de la fonction publique.
3/ La fonction publique et la société française .
4/ L’idéologie néolibérale et son bouc émissaire
source de l'illustration : http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/racisme-anti-fonctionnaire-s-des-60108
[i] Sur se sujet, il serait bien plus pertinent de s’interroger sur le périmètre des entreprises qui doivent relever, d’une manière ou d’une autre, du contrôle de l’Etat, notamment dans le domaine des monopoles naturels mais aussi dans celui des entreprises stratégiques (par exemple le secteur de l’armement ou des telecoms).