FAUT-IL MONETISER LA DETTE ? (partie 3 sur 3)
Retrouver les deux premières parties de cet article sur les liens suivants :
Une autre solution : une réforme en profondeur de l’euro.
Quitte à négocier entre Européens, comme le pousserait un retour aux monnaies nationales, il serait peut-être plus pertinent de porter la réflexion sur une refonte de l’euro qui le ferait sortir de ses vicissitudes originelles. En proposant la transformation du Fonds européen de stabilité financière (FESF) en système bancaire avec réserve illimitée de crédit auprès de la BCE, la France pousse déjà à une solution congrue, bien qu’incomplète, qui ouvrirait effectivement la possibilité de monétiser la dette des Etats et donc de desserrer la pression sur les obligations du Trésor de ces derniers. Mais l’on pourrait être encore plus ambitieux, tout en augmentant les chances d’y gagner les faveurs de l’Allemagne et des thuriféraires de la rigueur budgétaire.
En modifiant ses statuts, la BCE pourrait, à moyen terme, devenir le seul et unique organisme de crédit des Etats. Les deux parties se retrouveraient dans une situation de « gagnant-gagnant » : les Etats pourraient à nouveau emprunter sans intérêts[i] pendant que l’institution européenne aurait un réel contrôle sur leurs dettes puisqu’elle serait la seule autorisée à leur faire crédit. Bien évidemment un tel pouvoir offert aux mains des patrons de la BCE ne saurait se faire en laissant celle-ci sans aucun contrôle démocratique et en pleine technocratie telle qu’elle est aujourd’hui. Alors qu’actuellement son président est dans les faits choisi par les chefs d’Etats et de gouvernements européens puis confirmé par le Parlement européen, il serait bien plus démocratique que l’organe le plus représentatif de l’UE – le Parlement – puisse choisir entre au moins deux candidats. De plus, le candidat élu devrait présenter annuellement la politique monétaire de l’Union aux parlementaires afin que ceux-ci l’approuvent ou exigent une nouvelle copie. Cette politique monétaire pourrait justement s’adapter aux conditions économiques et non demeurer, comme c’est le cas aujourd’hui, un simple dogme anti-inflationniste. En ayant complètement le contrôle de la dette des Etats, la BCE pourrait – enfin ! – leur imposer un seuil maximum d’endettement total inférieur à 60% du PIB. Par contre, la règle bien trop abrupte du seuil des 3% de PIB de déficit annuel mériterait d’être revue puisque de toute façon dès qu’un Etat se retrouverait surendetté la BCE serait en position de lui couper totalement les vivres. Supprimer cette dernière règle récompenserait de fait les Etats les plus vertueux ! En effet, ceux qui auront su profiter d’une amélioration de la situation économique pour se désendetter pourront s’offrir le luxe d’une relance keynésienne, alors que les cigales qui ont continué à s’endetter lorsque la croissance était là n’auront plus que leurs yeux pour pleurer et se trouveront ainsi contraintes à revoir le fonctionnement de leurs finances publiques. Par exemple, Un Etat qui aura su diminuer sa dette à hauteur de 20 ou 30% de son PIB pourra très bien s’accorder un plan de relance de 7 ou 8% du PIB ; celui-ci qui sera déjà à 60% ne pourra rien faire. Les Etats retrouveraient ainsi un vrai rôle contra-cyclique : modestes et très peu interventionnistes en temps de croissance, puissants et aptes à protéger leurs citoyens en période de crise. Ils demeureraient de plus maîtres chez eux tout en étant fermement contrôlés par une autorité européenne, elle-même sous contrôle démocratique.
Bien sûr, un tel système nécessitera de permanentes négociations entre les Etats membres : s’il advient qu’à l’intérieur de la même zone monétaire, l’un emprunte pour 10% de son PIB pendant que l’ autre rembourse pour autant de son PIB, on se trouverait dans une situation de flux monétaires de l’un vers l’autre qui ne seraient pas sans générer des tensions inflationnistes/déflationnistes potentiellement très nuisibles à l’économie de l’ensemble de la zone. C’est donc bien pourquoi la politique monétaire de la zone euro devra être réactualisée annuellement et approuvée par le Parlement.
Qui nécessite d’autres réformes.
Un tel système nécessiterait plusieurs années pour être totalement fonctionnel. Or, la situation actuelle de la zone euro exige des solutions immédiates. Elle passe bien sûr par une refonte de la dette publique (lire dette publique : nos dirigeants doivent prendre leurs responsabilités) et une véritable réforme de la fiscalité (lire pour une réforme radicale de la fiscalité). La BCE pourrait néanmoins participer à cette évacuation massive de la dette existante et de son corollaire, la tyrannie des marchés sur les Etats souverains, en rachetant, par exemple, immédiatement 20% de la dette de tous les Etats de la zone, ce qui entrainerait une dévaluation d’au moins autant de l’euro. Le Royaume-Uni et les Etats-Unis ne se privent pas d’en faire autant régulièrement, ce qui explique que malgré une situation budgétaire et économique probablement bien pire que la plupart des Etats de la zone euro, les agences de notations ne les considèrent pas (ou plutôt pas encore) comme des Etats en faillite.
Dans tout cela, les banques ne sauraient bien sûr pouvoir continuer à jouer sur les monnaies. Le soi-disant « ordre spontané » que devaient produire la création monétaire confiée aux marchés n’a généré que le désordre et l’anarchie spéculative. Il est donc indispensable que les banques parviennent à un taux de fonds propres bien supérieur aux 9% que tentent – difficilement – de leur arracher actuellement les chefs d’Etats de la zone euro. Un seuil, à terme, d’au moins 50% paraît indispensable. Et la seule solution pour atteindre un tel ratio semble bien être de nationaliser les banques, soit par les Etats, soit directement par l’échelon européen.
En outre, la zone euro ne saurait perdurer dans un tel désordre économique et surtout fiscal. Les Etats membres doivent se fixer un véritable cadre normatif dans lequel ils peuvent choisir leur propre fiscalité. Le secours accordé à l’Irlande a été sur ce point un lamentable précédent. Le soi-disant Tigre celtique a ainsi bénéficié de l’aide européenne alors qu’il ne faisait que récolter les fruits d’une politique ultralibérale de dérégulation favorisant la spéculation et les bulles financières. Bien pire : il a été laissé libre de poursuivre son inacceptable dumping fiscal à l’égard des autres membres que constituent sont taux d’’imposition sur les bénéfices des entreprises presque trois inférieurs à ceux de la France et de l’Allemagne. Autrement dit, nos entreprises paient des impôts qui servent à financer des plans d’aide à un pays qui se refuse à en faire payer aux siennes ….
Est-ce aujourd’hui envisageable ?
Malheureusement le scénario de mise en place d’un tel système est peu probable. Enfermée dans son dogme monétariste et se crainte irrationnelle de l’inflation[ii], l’Allemagne d’Angela Merkel se refuse à toute tentative de monétisation de la dette. A la suite du sommet européen du 26 octobre 2011, elle préfère même voir l’Europe se faire racheter par morceau par la Chine. En effet, du fait de l’abandon d’une grande partie des créances grecques et conjugué eu relèvement de leurs taux de fonds propres, les banques vont se trouver avec un besoin urgent en capitaux frais que les Etats européens ne seront probablement pas en état de lui fournir, sans capacité d’émission monétaire. L’Europe va donc faire appel à la Chine, qui de fait va se retrouver maître de nos banques. Comme ces dernières sont également les créanciers de nos Etats, la Chine va se retrouver en position de créancier principal de l’Europe, et quand il s’agira de renégocier une dette elle ne s’en laissera pas compter … Angela Merkel et tous ceux qui ont refusé de lui tenir tête sont en train de faire de l’Europe un protectorat chinois. L’ironie de la chose, c’est que si la Chine dispose de telles facilités financières ce n’est pas uniquement du fait du dynamisme de son économie mais aussi parce qu’elle a su garder la maîtrise se monnaie et en jouer pour favoriser ses exportations et ne pas être à la merci des marchés. Par attachement au monétarisme, l’Allemagne de Merkel offre sur un plateau la souveraineté des Etats européens à une nation anti-monétariste ! Comme le souligne si bien Valery Giscard d’Estaing, la première économie mondiale met sa tête sur le billot devant un pays au PIB trois fois moindre.
Car quelle sera la suite des évènements ? La Grèce a déjà fait défaut de la moitié de sa dette (A ce sujet, très peu de monde relève l’inefficacité des plans d’austérité infligés depuis maintenant plus de deux ans au peuple grec …). Les banques européennes seront recapitalisées par des capitaux chinois. Mais maintenant, abandonnant la Grèce à son chemin vers le Tiers-monde, comme ils ont par le passé conduit l’Argentine au fond du gouffre, les marchés vont s’attaquer à la dette italienne. Et quand Rome ne sera plus en mesure d’honorer ses engagements il ne sera plus aussi simple d’imposer aux banques l’abandon de 50% de leurs créances, car ce seront les Chinois qui tireront les ficelles et qui imposeront leur bon vouloir au gouvernement italien. Et après l’Italie, à qui le tour ? La France ? Quand il s’agira de quémander aux Chinois l’abandon de 50% de leurs créances, que demanderont-ils ? Le Louvre ? Les Invalides ? L’abandon de notre siège au Conseil de Sécurité ? L’alignement systématique de notre politique étrangère sur la leur ? Et que l’Allemagne ne s’inquiète pas : son tour viendra car sa situation budgétaire n’est guère meilleur que la notre et leurs exportations largement dépendantes de notre consommation.
Ne voyez pas ici un pamphlet contre le retour en force de l’Empire du Milieu. La Chine ne fait que jouer de l’incompétence et la faiblesse de nos dirigeants. Et elle a bien raison. L’Histoire jugera. Et elle n’est pas tendre avec les vaincus.
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[i] Il va de soit que toutes les autorités relevant des Etats (collectivités, sécurité sociale, entreprises publiques … etc.) se retrouveraient sous la même contrainte.
[ii] La crainte irrationnelle de l’inflation pour les Allemandes provient de la République de Weimar mise en place après la 1ère guerre mondiale. A l’issue de ce conflit, la jeune république allemande était contrainte à payer de très forts dommages de guerre aux vainqueurs en mark-or, ce qui vida les coffres de sa banque centrale de ses dépôts de métal précieux. Or, à cette époque, la valeur de la monnaie se trouvait indexée sur les réserves d’or de la banque centrale. Celle-ci se retrouvant à sec, le mark se trouva conséquemment fortement déprécié entrainant une forte inflation totalement non maîtrisée et immaîtrisable et par suite une forte crise économique, encore amplifiée plus tard par la crise financière de 1929 aux Etats-Unis. Cette crise économique fut la lie de tous les extrémismes, à commencer par le nazisme. Les simplets de la lecture politique de l’histoire effectue donc un raccourci direct entre inflation et nazisme, alors que les causes qui ont amenées Hitler au pouvoir sont éminemment plus complexes et ne se limitent d’ailleurs absolument pas au domaine économique.