FAUT-IL MONETISER LA DETTE ? (1ère partie)
La crise des dettes souveraines en Europe faire apparaître une myriade de transferts, emprunts, dettes, crédits, garanties en milliards d’euros qui laisse pantois. Mais d’où vient tout cet argent ? La réponse est simple : de nulle part.
Un pouvoir régalien aux mains d’intérêts privés.
Depuis le début des années 70, les Etats ont progressivement abandonné le droit –pourtant régalien – de battre monnaie aux banques privées. Et celle-ci en usent et abusent. De la Libération à 1973, l’Etat empruntait non pas sur les marchés mais auprès de la Banque de France, organisme lui-même étatique. En pratique, cela revenait pour la Banque de France à battre monnaie pour prêter gratuitement à l’Etat. L’article 25 de la loi 73-7 du 3 janvier 1973 modifie les statuts de la Banque de France en lui interdisant de prêter au Trésor Public[i]. L’Etat (donc le contribuable) doit alors se retourner vers les banques privées pour financer ses déficits et … payer des intérêts auxquels il n’était pas soumis auparavant. Mais le transfert de souveraineté ne s’arrête pas là. Progressivement, tout au long des années 80, la mode néolibérale aidant, les banques sont délivrées de leurs obligations et les marchés dérégulés (notamment à l’initiative de plusieurs ministères socialistes …). La conséquence principale en est que les banques ne sont plus contraintes qu’à posséder un taux de fond propres ridiculement bas (quelques pourcents). Qu’est-ce que cela signifie ? Tout simplement, que lorsqu’une banque vous prête 100 000€ ; elle ne les a pas, ni elle, ni même au nom de ceux qui lui ont déposé leur épargne. Elle n’est censée en posséder que son ratio de fonds propres : C'est-à-dire que s’il est de 5%, elle n’a en dépôt que 5000€ pour les 100 000€ qu’elle met à votre disposition. Les 95 000€ restant sont de la création monétaire. Cette création monétaire ne s’arrête d’ailleurs pas : sans le savoir vous allez vous y mettre aussi en payant les intérêts de cet emprunt. C’est exactement le même dispositif qui se passe lorsque l’Etat emprunte aux banques. Mais le système ne s’arrête pas là.
La titrisation à l’œuvre.
Car une fois qu’elle a prêté cet argent « fictif », la banque s’empresse de transformer ces créances en titres (la « titrisation ») en général les plus complexes possibles (en mélangeant plusieurs créances totalement différentes l’une de l’autre et en les indexant à plusieurs monnaies différentes par exemple) pour refiler la patate chaude à ses voisins. Les adeptes du « tout-libéral » vous expliqueront que ces mécanismes permettent de répartir les risques et sont donc sources de sécurité …. Mais, bien sûr ! : C’est exactement le même dispositif qui a été réalisée avec les dettes des ménages américains et conduit à la crise des subprimes. La répartition des risques est en fait la « systémisation » des risques, en ce sens que les difficultés de l’un peuvent se peuvent se répercuter sur tous les autres et mettre en péril tout le système. Et depuis rien n’a changé. Les banques ont même pu passer au degré supérieur : elles peuvent jouer avec les dettes des Etats. Et ne s’en privent pas.
Un système fondamentalement vicié.
Et après tout, comment leur donner tort ? Imaginez que vous, en tant qu’acteur privé, vous ayez le droit pour chaque euro que vous possédez d’en prêter 50 à votre voisin, sans aucun autre dépôt de garantie, et qu’en plus vous pouvez vendre cette créance à un autre voisin pour vous retrouver avec un billet de 50€ dans les mains. Vous vous en priveriez ?[ii]
Auparavant, les Etats garantissaient les émissions de monnaie par les métaux précieux qu’ils avaient en dépôt dans leur coffre. Bien évidemment, ils trichaient un peu en jouant sur le fait qu’il ne viendrait simultanément pas à l’idée de tout le monde de venir à la Banque de France pour demander à échanger ses billets contre leur équivalent en or[iii]. Mais globalement, la monnaie disposait d’une garantie. Les ressources en métaux précieux étant limitées, les Etats ont progressivement abandonné ce système pour, après la deuxième guerre mondiale, s’indexer sur le dollar qui lui-même demeurait la seule monnaie indexée sur les réserves d’or de la banque fédérale américaine[iv]. Les difficultés budgétaires des Etats-Unis, notamment du fait de la guerre du Vietnam, les ont contraint à abandonner cette parité dollar-or.
On pouvait encore se dire, à ce moment là, que la monnaie était garantie par la capacité des Etats à lever des impôts. Mais lorsque l’émission monétaire est confiée aux banques et que, simultanément leurs contraintes de fonds propres sont réduites à la portion congrue, quelle est la garantie apportée ? Aucune. Rien. Nada. Le néant. La porte ouverte à toutes les situations ubuesques. Ainsi, à l’aube de la crise des subprimes, le ratio dette/épargne des ménages américains était de presque 300 pour 1. C’est-à-dire que pour un dollar qu’un ménage américain épargnait auprès d’une banque, celle-ci en prêtait 300. Nul besoin d’être un grand économiste pour comprendre qu’un tel système ne peut que générer d’énormes bulles dont l’explosion ne peut que dégénérer en crise systémique mondiale.
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[i] On remarquera également que cette loi a été votée sous le mandat de Georges Pompidou, proche des milieux d’affaires et ancien employé de … la banque Rothschild.
[ii] Le vice du système va encore plus loin avec les CDS (credit default swap) qui sont un système d’assurance de défaut d’un créancier. Lorsque le débiteur fait défaut, l’assurance vous rembourse à sa place. Sauf que sur les marchés, pour acheter un CDS vous n’avez pas besoin d’être détenteur d’une créance en rapport. Comme si vous pouviez prendre une assurance incendie sur la maison de votre voisin. Ça donne quand même furieusement envie d’y mettre le feu ! Les détenteurs de CDS peuvent donc très bien simultanément vendre à découvert la dette correspondante (c’est-à-dire vendre des titres de dettes « fictifs » qu’ils ne possèdent pas) pour faire baisser le cours de celle-ci et en conséquences augmenter les taux d’intérêt exigés du débiteur jusqu’à ce que celui-ci se retrouvent dans l’impossibilité d’honorer ses échéance. Le détenteur du CDS touche alors non seulement sa prime d’assurance pour le défaut de l’emprunteur mais en plus empoche un joli pactole en rachetant sa vente à découvert des titres de créances …. Le tout sans jamais avoir souscrit à un seul titre de dette !
[iii] Au Moyen-âge, les rois faisaient de même en coupant leurs pièces de monnaies avec des métaux vils ou en leur donnant un poids légèrement inférieur à leur valeur.
[iv] Accords de Bretton Woods.
[i] On remarquera également que cette loi a été votée sous le mandat de Georges Pompidou, proche des milieux d’affaires et ancien employé de … la banque Rothschild.
[ii] Au Moyen-âge, les rois faisaient de même en coupant leurs pièces de monnaies avec des métaux vils ou en leur donnant un poids légèrement inférieur à leur valeur.
[iii] Accords de Bretton Woods.