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L'Oeil de Brutus

CETTE CRISE QUI VIENT

25 Mars 2012 , Rédigé par L'oeil de Brutus Publié dans #Idées

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CETTE CRISE QUI VIENT

 

 

 

 

 

Entre décembre 2011 et mars 2012, la Banque centrale européenne (BCE) a prêté plus de 1 000 milliards d’euros aux banques à un taux de 1%, banques qui elle-même re-prêtent une grande partie de cet argent aux Etats à des taux bien supérieurs (entre 3 et 4% pour la France, et bien plus pour les plus mal notés).

Bien sûr, ce système est déjà en lui-même hallucinant et révoltant, révélant finalement le sens véritable de l’indépendance de la banque centrale : enrichir les banques et mettre le couteau sous la gorge des Etats pour qu’ils arrêtent de se montrer dispendieux pour le service d’un bien commun que les technocrates de la « capitale » européenne méprisent. Ils leur préfèrent les fadaises de l’ordre spontané, de la main invisible et surtout de l’enrichissement d’une minorité oligarchique fort bien représentée par les lobbys de la place bruxelloise[1].

Mais le drame ne s’arrête pas là. Car tel Sisyphe poussant sa pierre pour qu’elle n’en roule que mieux jusqu’au bas de la pente, les institutions européennes, avec toute la complicité des gouvernements, reproduisent exactement les mêmes causes que celles qui ont amenées la crise des subprimes : elles abreuvent les marchés de liquidités jusqu’à l’ivresse. Et cette ivresse finira encore une fois par se transformer en coma éthylique.

La BCE reste en effet fidèle au dogme néolibéral de l’économie de l’offre : il suffit de mettre le maximum de fonds dans les mains des « investisseurs » pour que les entreprises se décident à relancer la production, et donc la croissance, et finalement l’emploi. Sauf que les entreprises ne sont pas toutes aussi dogmatiques[2] : elles ne vont pas se mettre à produire s’il n’y a personne à l’autre bout de la chaîne pour acheter leurs produits. Et c’est bien ce qui se passe : à coups de plans de rigueur et d’écrasement des salaires, les consommateurs européens ne sont plus en mesure de faire appel d’air à la production. Le contexte économique incite donc les entreprises à la prudence et non pas à l’investissement.

Mais alors, où sont donc passés ces 1000 milliards si ce n’est dans l’économie réelle ? C’est très simple : les banques les ont prêtés aux Etats (ce qui leur a donné un bien temporaire bol d’air) ou les ont investis dans la spéculation. Ou encore les deux à la fois en transformant les dettes publiques en produits dérivés complexes qu’elles se refourguent joyeusement les unes aux autres. Et dans le domaine du casino financier, malgré les vagues promesses de bonnes intentions des dirigeants du G20, rien, ou presque, n’a changé : le monde de la finance titrise, spécule et multiplie les produits dérivés comme à la grande époque, le tout bien à l’abri dans les paradis fiscaux. Et comme auparavant, il spécule sur du vent. Les 1000 milliards de la BCE n’ont donc servi qu’à gonfler une nouvelle fantastique bulle financière qui finira bien par nous exploser à la figure. On constatera de plus qu’outre-Atlantique la situation n’est guère meilleure (Lire Un Madoff planétaire).

 

Il ne reste alors qu’à trouver l’aiguille qui fera exploser cette bulle. La dette grecque est bien placée. Entre 2008 et 2012, elle est passée de 113% à 198% du PIB[3]. Ce qui montre bien l’inutilité, la contre-productivité et l’ineptie des multiples plans de rigueur imposés aux grecs. Le défaut partiel que vient de négocier le gouvernement grec devrait la ramener aux alentours de 120%, soit son niveau de … 2008, avant les plans de rigueur. Sauf qu’entre temps, l’économie grecque s’est puissamment contractée sous l’effet de la thérapie de choc néolibérale. Si la Grèce n’était pas en mesure d’honorer ses échéances de crédit en 2008, elle l’est donc encore moins aujourd’hui. Pendant donc que la Grèce s’enfonce dans un gouffre sans fond alliant récession et creusement de la dette, la BCE donne aux banques de quoi continuer à creuser ce gouffre (mais aussi de quoi creuser le gouffre de la dette des autres Etats de la zone euro) tout en spéculant abondamment. Elle ne fait que retarder l’échéance par une fuite en avant hallucinante. Mais un jour la Grèce finira bien par refaire défaut et l’aiguille crèvera la bulle. Après la Grèce, d’autres Etats déjà en difficultés (l’Italie, l’Espagne, le Portugal puis la France) suivront et les banques elles-mêmes finiront en banqueroute. Tous les circuits monétaires seront en encéphalogramme plat.

 

Mais après tout, peu importe d’où viendra l’aiguille qui crèvera la bulle offerte par la BCE. Ce qui importe vraiment, c’est que même lobotomisés à coups de télévision imbécile et repliés sur eux-mêmes par un consumérisme hédoniste, les peuples finiront par refuser la pilule de la rigueur administrés par des médecins-fous qui s’obstinent à faire mourir leurs malades en bonne santé. Ils seront alors sévères avec l’élite qui les a amenés là. Une élite qui n’est plus vraiment une[4]. Une élite qui, tout en méprisant la Cité et les citoyens, n’en a que pour la satisfaction de sa propre cupidité, comme le dénoncent Sophie Coignard et Romain Guibert[5]. Une élite qui a donné le spectacle affligeant d’une démocratie à bout de souffle pendant 5 années de droite libérale « décomplexée » et qui ne fera guère différemment si les prochaines échéances électorales portent au pouvoir son alter-égo soi-disant de gauche[6]. Une élite protégée par un système médiatique qui ne laisse aucune place à une réelle alternative aux dogmes néolibéraux, car élites politiques, économiques, culturelles et médiatiques ont bel et bien fusionné en multipliant les alliances, les connivences, les petits arrangements entre amis et les conflits d’intérêts. Quand l’éthique de responsabilité cède le pas à l’envie, l’arrogance et la cupidité, les maux se confondent avec les vertus et l’oligarchie régnante en vient même à s’offusquer que le bas peuple daigne s’indigner des privilèges qu’elle s’est octroyée. L’argent et les réseaux de connivence donnent tous les droits, pourvu qu’ils en arrivent à l’immobilisme et la préservation des incapables au pouvoir. "Etre gouverné par l'argent organisé est aussi dangereux que par le crime organisé" disait Franklin Roosevelt. Nous y sommes. Contrainte à la fuite en avant, la caste ploutocratique se voile la face en misant tout sur la bêtise des peuples. Quitte ou double à chaque nouvelle crise. « L’élite des responsables politiques agit comme les prêtres d’un culte antique, exigeant que nous nous livrions à des sacrifices humaines pour apaiser la colère des dieux invisibles » disait encore l’économiste Paul Krugman[7]. Mais il finira bien par arriver que nul n’accepte encore de monter se faire tondre sur l’hôtel du néolibéralisme. Alors, avant que l’Histoire s’en charge, les peuples jugeront. Et quand l’élite a abandonné le peuple, quand l’élite substitue à la légitimité méritocratique la confusion des pouvoirs et le mélange des genres, quand elle considère le pouvoir comme une fin en soi et non un service au bien commun, quand le peuple s’en trouve désabusé par la cupidité et le mépris de ses maîtres, sa colère s’exprime malheureusement le plus souvent par l’anarchie violente.

 

 

Origine de l'image : http://www.le-buzz-immobilier.com/2009/11/une-nouvelle-crise-est-possible-0025791

 



[1] Lire Emmanuel Todd, Circus politicus : la comédie démocratique, Marianne, 02/03/2011 et François Ruffin, A Bruxelles, les lobbyistes sont les « garants de la démocratie », Le Monde diplomatique, juin 2010.

[2] Le dogmatisme de la BCE n’est pas forcément pour autant incohérent si l’on considère que l’objectif final est la disparition de l’Etat démocratique et de son corollaire, insupportables aux néolibéraux : le peuple souverain. Au final, tous ces concepts considérés comme surannés (la démocratie, la République, les élections etc…) se doivent d’être remplacés par le marchés tout-puissant et son « ordre spontané » qui ne masque rien d’autre que la tyrannie totalitaire de la ploutocratie financière, dont est d’ailleurs issue le grand patron de la BCE, Mario Draghi, ancien de Goldman Sachs, tout comme les nouveaux chefs de gouvernements imposés sans élections préalables à la Grèce et à l’Italie (respectivement Loukas Papadimos et Mario Monti).

[3] Laurent Pinsolle, La crise de l’euro s’offre un répit, blog gaulliste libre, 14/03/2012.

[5] Sophie Coignard et Romain Guibert, L’Oligarchie des incapables, Albin Michel, 2011.

[7] New York Times, 20/08/2010.

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