Fascisme à outrance (Les Nouveaux inquisiteurs)
Suite d'articles sur les nouveaux inquisiteurs et le terrorisme intellectuel
Est-il encore possible de s'exprimer librement en France ?[i] La question mérité d’être posée tant il est vrai que « l’usage abusif et aveuglant du mot fascisme »[ii] révèle l’incapacité de toute une frange de la classe politico-médiatique à accepter le débat. Née dans les rangs de l’extrême-gauche à une époque, aujourd’hui relativement lointaine où des partis autoritaires et souvent xénophobes se projetaient en partis uniques et dictatoriaux (mais est-ce encore le cas de nos jours en France ?[iii]), l’obsession antifasciste, sous l’impulsion du politiquement correct, a progressivement gagné tout, ou presque, le spectre politique, avec cette « envie que les problèmes d’aujourd’hui soient exactement ceux d’hier et qu’il n’y ait rien de nouveau à penser »[iv]. Or, « ce refus de penser conduit à l’interdiction de penser et de nommer. Grâce à la reductio ad hitlerum, quiconque parle de la patrie, du travail et de la famille est un adepte de Pétain. Quiconque parle des problèmes posés par certains immigrés recommence la Shoah »[v]. Et c’est bien là tout le but : interdire l’accès au débat. Comme les questions économiques, sous l’égide du « TINA », ne se discutent pas (voir les chapitres précédents), il ne reste plus qu’à fermer les questions sociales au nom de la lutte contre l’Hydre et le débat ne pourra se concentrer que sur quelques vagues questions sociétales (et encore, voir les chapitres suivants). Le citoyen n’aura plus alors que le choix entre deux clans de la même dyarchie, affichant consensus sur toutes les questions de fond (l’Europe, la Nation, l’économie, la diplomatie, l’immigration, l’école, etc.) mais instrumentalisant une fausse alternative avec de savantes doses de compassions clientélistes (les clientèles étant les seules variantes des deux clans), étant bien entendu qu’ils ont de toutes façon sciemment abandonné depuis belle lurette tout forme de pouvoir réel (c’est finalement fatiguant à exercer, et bien peu gratifiant au final) aux marchés et aux technocrates.
Une fois ces bases du politiquement correct posées, on peut donc se lancer dans tous les procès en sorcellerie. Deux jeunes rebelles de salon et eux pacotilles peuvent donc se targuer de vouloir interdire de tribune Marcel Gauchet sous prétexte des supposées intentions réactionnaires de celui-ci[vi]. Mieux encore, un ci-devant premier ministre, de « gôche », peut initier un véritable « tir groupé qui relève du procès en excommunication, comme si pointer les dérives dites « réactionnaires » des intellectuels de gauche était désormais devenu un marqueur identitaire d’une gauche labellisée « véritable », mais en état de mort cérébrale, d'asphyxie politique et incapable de penser le progressisme au-delà de quelques questions sociétales et d’indignations relevant du réflexe pavlovien »[vii]. La cible : Michel Onfray. On est décidemment jamais mieux trahi que par les siens. Néanmoins, les sorties de Manuel Valls, ses distributions de bons points et de mauvais aux « intellectuels » qui ont le bonheur de lui plaire (si tant est que l’on puisse qualifier BHL[viii] d’ « intellectuel »), sont finalement un mal pour un bien : elles jettent le masque de la vertu pour que tout à chacun puisse contempler le visage de l’intégrisme intolérant et dogmatique, dont la violence verbale n’est que le dernier refuge d’une incompétence patente et d’une inculture crasse[ix].
Rien d’étonnant à cela alors que, dans des débats autrement plus graves, le « fasciste » des sophistes bien-pensants soit dans le camp exactement opposé au « fasciste », pour le coup bien réel, de la réalité. Le nouveau gouvernement de Kiev, installé après un véritable coup d’état appuyé, sinon fomenté, par les Etats-Unis et l’Union européenne, peut accueillir en son sein d’authentiques néo-nazis[x], dont certains commémorent avec nostalgie les divisons SS ukrainiennes, le politiquement correct a choisi son camp : les « fascistes » sont ailleurs et c’est une véritable traque au prorusse[xi], ou assimilé comme tel (le politiquement correct ne connaît aucune forme de nuance, donc toute critique un tant soit peu appuyée du gouvernement de Kiev est foncièrement de nature pro-russe, donc pro-Poutine – car Russie = Poutine bien sûr ! -, celui-ci, avec guère de nuance, étant évidemment assimilé au fasciste) qui est initiée par toute la bien-pensance[xii].
Ce sont cependant les suites de l’attentat contre le journal Charlie Hebdo qui ont montré jusqu’à quel point – pour l’instant, c'est-à-dire en attendant « mieux » - pouvait monter l’intolérance idéologique de cette bien-pensance. Que l’on soit choqué par la violence faite à des vies humaines, d’une part, et par la remise en cause intrinsèque de la liberté d’expression que représentaient les actes de MM. Coulibaly et Kouachi, d’autre part, est pour le moins « normal » dans une démocratie humanisme. Et l’on était effectivement en droit d’attendre que tout Français qui assume l’histoire, l’héritage et les valeurs de son pays le soit. Mais que l’on intime, de manière plus ou moins sous-entendue, l’ordre d’adhérer à la ligne éditoriale d’un « journal » qui ne survit que sur la base d’une satyre provocatrice, marque d’un faux anticonformisme (qui n’est finalement que terriblement conformiste à l’ère d’un temps qui a fait de la transgression une norme), en est une autre. Or, comme le souligne fort justement Frédéric Lordon[xiii], tout le mouvement « Je suis Charlie » a reposé sur cette ambiguïté, dont il ne s’est jamais vraiment extrait. « Qui fait l’ange, fait la bête ». C’est donc alors que, sous couverts des plus hautes vertus de la tolérance, on a vu apparaître, jusqu’aux sommets médiatico-politiques, l’intolérance la plus abjecte. On a alors osé, par un véritable stratagème rhétorique orwellien, appeler Voltaire à la rescousse pour bâillonner toute forme d’expression discordante de la pensée unique. On a pu ainsi entendre une ci-devant soi-disant « journaliste », en charge du service politique de plus grande chaîne du « service » « public » télévisuel, Nathalie Saint-Cricq pour ne pas la nommer, clamer qu’il ne « faut pas faire preuve d’angélisme. C’est justement ceux qui ne sont pas “Charlie” qu’il faut repérer, ceux qui, dans certains établissements scolaires ont refusé la minute de silence, ceux qui “balancent” sur les réseaux sociaux et ceux qui ne voient pas en quoi ce combat est le leur. Eh bien ce sont eux que nous devons repérer, traiter, intégrer ou réintégrer dans la communauté nationale »[xiv]. Mais l’on avait encore rien vu. Car le ministre de l’Education nationale lui emboîtait rapidement le pas : « il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves, et nous avons tous entendu les “oui je soutiens Charlie, mais…”, les “deux poids deux mesures”. “Pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ?” Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école qui est chargée de transmettre des valeurs »[xv]. Mettez ces mots dans la bouche de Pol Pot ou dans celle d’un Mao de la Révolution culturelle, vous n’aurez pas grand-chose à y changer ! Le bien-pensance ne veut voir dépasser aucune tête[xvi]. Qu’on n’ose même pas la plus petite once de remise en cause : ici, il n’y a pas de « pourquoi »[xvii] !
« Néo fachos » au pire (pour ceux qui expriment leur opposition depuis toujours), « gauchos réac » au mieux (pour les « traitres » à qui l’on conserve encore une certaine (pseudo) amitié ou que l’on espère peut-être encore voir rejoindre le camp du Bien)[xviii], tout opposition à l’ordre libéral-libertaire se trouve cantonné entre ces deux bornes. Une fois arrivé là, rien d’étonnant donc, à ce qu’un journaliste bien en cour au sein de l’oligarchie (en l’occurrence Jean-Michel Apathie, mais à sa décharge il ne fait exprimer là tout haut, ce que nombre de ses membres murmurent de plus en plus haut) en viennent à interdire de se présenter aux élections ceux que sa haute et souveraine bien-pensance aura jaugé comme « inutiles »[xix].
Toujours aussi marquant dans ses anticipations, Georges Orwell avait, dès 1946[xx], annonçait que « le mot "fascisme" a désormais perdu toute signification et désigne simplement "quelque chose d'indésirable"»[xxi] …
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[i] Est-il encore possible de s'exprimer librement en France ?, Dominique Jamet, Atlantico.fr, 18-févr-12.
[ii] Petit rappel entre amis : le fascisme, c'est quoi ?, Atlantico.fr, André Sénik, 08/06/2013.
[iii] Concrètement Marine Le Pen (et ses sbires) se rêve-t-elle vraiment en Mussolini à la française, dissolvant toute forme d’opposition et imposant sa vision de la société d’autorité à tous les Français ? On peut raisonnablement en douter. Non : le FN n’est pas un parti « fasciste », c’est une autre forme d’extrême-droite, banalement populiste, vaguement xénophobe (pour la majorité de ses membres, ce qui lui permet de drainer l’extrême minorité d’imbéciles qui croit encore à la différenciation des races), foncièrement opportuniste. Un simple avatar de poujadisme.
[iv] Andé Sénik, ibid.
[v] Id.
[vi] Edouard Louis: Plus rebelle que moi, tu meurs !? Régis Soubrouillard, Marianne, 05-août-14 ;
Débattre en France, Joseph Macé-Scaron, Marianne, 09-août-14
[vii] Michel Onfray, le nouveau paria de la gauche, Régis Soubrouillard , Marianne, 21-sept-14.
[viii] Lire BHL, Le seigneur et maîtres des faussaires, L’œil de Brutus, 15/10/2012.
[ix] Manuel Valls, les intellectuels et l'inculture triomphante, Vincent Tremolet de Villers, Figarovox, 20-mars-15.
Valls : la modernité comme alibi commode pour refuser de débattre et de réfléchir, Laurent Pinsolle, Gaulliste libre, 25-oct-14.
[x] Sur le sujet, lire l’excellent série de billets réalisées par Olivier Berruyer sur le site Les Crises, en particulier :
[INCROYABLE] L’ambassadeur ukrainien en ALLEMAGNE ne voit pas trop de problèmes à utiliser des combattants néo-nazis…, Olivier Berruyer, Les Crises, 20-févr-15.
Pendant ce temps là en Ukraine…, Olivier Berruyer, Les Crises, 22-janv-15.
[xi] Lie les papiers de Jacques Sapir sur son blog Russeurope, en particulier :
Un scandale, Jacques Sapir, russeurope, 25-janv-15.
Nouvelles du Donbass, Jacques Sapir, russeurope, 02-févr-15.
Peut-on sauver l’accord de Minsk? , Jacques Sapir, russeurope, 14-févr-15.
[xii] Halte à la chasse aux "prorusses" !, Roland Hureaux, Marianne.
[xiii] Charlie à tout prix ?, Frédéric Lordon, repris par Les Crises, 13-janv-15.
[xiv] Journal de 13h de France 2, 12/01/2015.
[xv] Mme Vallaud-Belkacem, Assemblée Nationale, 14/01/15.
[xvi] Charlie, je ne veux voir dépasser aucune tête, Alain Gresh, Blog Le Monde diplomatique, 20-janv-15.
[xvii] « Hier ist kein warum » (Ici, il n’y a pas de pourquoi), Noëlle Cazenave-Liberman, Les Crises, 30-janv-15.
[xviii] Néos fachos et gauchos réacs, Jean-Paul Brighelli, Bonnet d’âne, 04/10/2014.
[xix] Jean-Michel Aphatie, la démocratie et les « candidats inutiles », Julien Salingue, Acrimed.org , 03-févr-12.
[xx] Georges Orwell, La politique et la langue anglaise, avril 1946, cité par Pierre-André Taguieff, La Revanche du nationalisme , PUF 2015
[xxi] Sur le sujet, lire La "renaissance du fascisme", une illusion tenace, Marianne, 05 Avril 2015.