PRUDENCE DEVANT L'ARGENT (Les Nouveaux chiens de garde 3/5)
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Prudence devant l’argent.
Il était écrit au programme du Conseil National de la Résistance qu’il serait interdit qu’un même individu possède ou contrôle plus d’un quotidien politique (page 52).
Si, déjà, à elles seules, une quinzaine de familles contrôle environ 35% de la capitalisation de la Bourse de Paris (page 55), MM. Dassault et Largadère contrôlent à eux deux 70% des titres édités en France (page 59). En pratique, la presse devient un vecteur de notoriété et de communication pour des grandes entreprises (page 61), mais aussi un moyen d’étouffement de l’information lorsque celle-ci peut les déranger ; par exemple, le 7/11/1995, le JT de TF1 a ainsi complètement passé sous silence la mise en garde à vue de Patrick Le Lay dans une affaire de pots-de-vin (page 62).
Le pouvoir de l’actionnaire est donc clairement admis, sans aucune pudeur par Franz-Olivier Giesbert : « Ce sont des choses qui arrivent dans tous les journaux (les intrusions des actionnaires pour interdire certains articles). Et ça me paraît tout à fait normal. Tout propriétaire a des droits sur son journal. D’une certaine manière, il a les pouvoirs. Vous me parlez de mon pouvoir, mais c’est une vaste rigolade. Le vrai pouvoir stable, c’est celui du capital » (page 61), mais aussi par des personnages réputés plus subversifs comme Karl Zéro qui avoue que les « interdits (de l’actionnaire) ne lui posent pas de problèmes », et étant donné que, comme la plupart des oligarques médiatiques, il mange (à l’époque) à plusieurs râteliers (Canal plus, Europe 1 + son propre mensuel), il a simultanément comme patrons MM. Messier, Lagardère et Pinault. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que ce soit lui qui attaque « bille en tête » le grand patronat (pages 65-66).
Et quand le politique se joint à cet entremêlement, on se trouve dans une véritable censure qui ne dit pas son nom, par exemple lorsque Edouard Balladur déclare à Catherine Pégard[i] (Le Point) : « Vous comprenez que j’aie fait valoir à votre principal actionnaire (à l’époque Alcatel) que ce n’était vraiment pas la peine d’aller lui décrocher de gros contrats à Pékin si c’était pour lire de tels papiers sur mon voyage dans vos colonnes. » (page 66). Au-delà de cela, ce n’est de toute façon pas la consanguinité qui manque dans le milieu médiatico-politique. Lorsqu’en 2005 Vincent Bolloré prend le contrôle de Havas, on retrouve ainsi au conseil d’administration : Jacques Séguéla (responsable de la campagne de communication de Lionel Jospin), Pierre Lescure (ancien président de Canal Plus et administrateur du Monde) et Laurence Parisot (présidente du Medef) (page 67).
Dans l’oligarchie médiatique, on se fait également fort de souffler dans le sens du vent. Ainsi de Jacques Attali qui en 2000 ne tarissait pas d’éloges pour Jean-Marie Messier pour au moment de la chute de ce dernier se transformer en l’une de ses critiques les plus sévèrement moralisatrice (page 64).
Les autres billets sur cet ouvrage :
2/ Révérence devant le pouvoir.
[i] Celle-ci est d’ailleurs un très bon exemple des mélanges douteux des mondes médiatique et politique et de l’établissement d’une oligarchie sur tous les secteurs de la vie publique : après avoir connu la notoriété avec Le Point, elle rejoint, comme conseillère, Nicolas Sarkozy à l’Elysée dès son investiture (sans doute en récompense de ses bons et loyaux et service dans les colonnes du Point) puis, sentant le vent tourner, elle est parachutée, sans aucune expérience dans le domaine, à la présidence de l’établissement public qui assure la gestion du Château de Versailles.