SUR L’ESCLAVAGE. POUR EN FINIR AVEC LA REPENTANCE.
SUR L’ESCLAVAGE. POUR EN FINIR AVEC LA REPENTANCE.
Dans une sortie confuse dont il en a tristement pris l’habitude le gouvernement Ayrault a évoqué la possibilité d’offrir des réparations aux victimes de l’esclavage[1]. Comme pour tout, on peut largement présager qu’il n’en sortira rien de concret. Mettant en cela leurs pas dans ceux de l’ère Nicolas Sarkozy, les sbires de M. Hollande – et le président de la République lui-même – ont fait de leur stratégie de communication la clé de voute de leur action politique (ou plutôt de leur immobilisme), une fin en soi dans laquelle ne comptent que le tapage et l’agitation stérile en vue d’occuper le terrain médiatique, espérant par là détourner les Français des questions qui comptent (l’emploi, les plans sociaux, l’inégalité, la mise en place d’une tyrannie technocratique, etc.).
Prise au premier degré, cette approche historique de l’esclavage, d’un simplisme effarant, relève d’une profonde inculture, voire de la confusion mentale. Mais au second degré, elle relève de la manipulation des masses afin de culpabiliser celles-ci (tout en flattant une clientèle particulière) dans une volonté d’anomie et de destruction du lien social que constitue la nation, le tout s’inscrivant dans la logique généralisée de l’idéologie ultra individualiste qui vise à consacrer l’individu au dessus de tout et par-dessus tout. Car lorsque l’on s’insère dans le schéma de pensée de l’ensemble du spectre politique néolibéral, les Français sont coupables de tout : pour la gauche libérale (autrement appelée « gauche de droite »), ils sont coupables de leur histoire[1] ; pour la droite libérale, ils sont coupables de leur déclin[2]. Mais des deux côtés, la finalité est la même. Alors que le syndicalisme a été réduit à sa plus simple expression ou à la défense d’intérêts particuliers de corporations, que le militantisme politique est réquisitionné pour les besoins d’appareils de partis oligarchiques et en conséquence vidé de sa substance, que l’idéologie dominante consacre partout l’individu-roi, il reste encore une forme de conscience collective qui résiste : la nation. En la rendant blâmable et des crimes passés et du supposé déclin présent, l’idéologie néolibérale-libertaire espère ainsi éliminer ce qui est peut-être le dernier obstacle à son utopie mondialiste. Et pour la quête de ce phalanstère planétaire combinant tyrannie du laisser-faire des marchés et idéal puéril d’une (pseudo) liberté absolue de l’individu, n’importe quel artifice de sophiste fera l’affaire.
L’imputation exclusive du crime de l’esclavage aux nations occidentales est un de ces artifices. Qu’il en soit bien clair avant d’aller plus loin : l’esclavage est un crime contre l’humanité qui salit à jamais l’âme humaine et il ne s’agit pas ici d’y apporter un quelconque relativisme.
« En histoire comme en physique, ne prononçons que d’après les faits »[3]. Mais les sophistes ne s’embarrassent pas des faits : la fin justifie les moyens, y compris lorsqu’il est nécessaire de travestir la réalité.
Il est manifeste que les Européens ont été esclavagistes et que de plus, en particulier aux 18e et début du 19e siècles, ils ont profité de leurs supériorités techniques et organisationnelles pour faire de la traite des Noirs un phénomène de déportation de masse. Toutefois, la question de l’esclavage à travers l’histoire ne saurait être réduite à une vue simpliste et réductrice d’une exploitation des Noirs par les Blancs. Car la vérité est bien que jusqu’à l’évènement des Lumières, la quasi-totalité de l’humanité a été esclavagiste. Depuis que l’Homme a émergé des confins d’Ethiopie ou de Mésopotamie, il s’est ingénié à asservir son prochain. Dans ce domaine, la question « raciale » est secondaire. Même s’il a pu être plus « commode » de traiter en inférieurs des hommes et femmes d’ethnies ou de couleurs différentes, la dialectique de l’esclavage ne s’y résume pas. Elle relève d’une logique d’exploitation de certains hommes par d’autres (et le plus souvent des vaincus par les vainqueurs, sans considération de couleur ou d’ethnie). Et jusqu’au 19e siècle, cette abominable dialectique paraissait on ne peut plus « normale » à la quasi-totalité de l’humanité, sans distinctions de couleurs, d’origines ou d’ethnies, au point même que des penseurs parmi les plus illustres ont cru nécessaire de la justifier philosophiquement[4]. Aux quatre coins de la planète et de l’Histoire, Perse, Mongols, Chinois, Aztèques, Incas, Grecs, Romains, Byzantins, Arabes, Ottomans ont réduit leurs semblables en esclavage. Et si l’on se réfère uniquement à l’Afrique subsaharienne, selon l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau, 11 millions de Noirs ont été réduit en esclavage par les Européens, 14 millions ont été victimes de la traite intra africaine, et 17 millions de la traite orientale vers les pays de religion majoritairement musulmane[5]. En Europe même, le servage féodal (en vigueur en Russie jusqu’en 1917 tout de même !) a été un système d’asservissement de masse qui a concerné des dizaines de millions d’être humains.
Focaliser la question historique de l’esclavage sur la traite négrière des occidentaux est donc un grave contre-sens historique. Cependant, l’ineptie des sophistes ne s’arrête pas là. Comme le relève Jean Sévilla : « L’histoire n’est pas une religion. (…) L’histoire n’est pas la morale. L’historien n’a pas pour rôle d’exalter ou de condamner, il explique. L’histoire n’est pas l’esclave de l’actualité. L’historien ne plaque pas sur le passé des schémas idéologiques contemporains et n’introduit pas dans les évènements d’autrefois la sensibilité d’aujourd’hui. L’histoire n’est pas la mémoire. (…) L’histoire tient compte de la mémoire, elle ne s’y réduit pas. L’histoire n’est pas un objet juridique. Dans un Etat libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judicaire de définir la vérité historique[6] ».Juger le passé selon des critères politiques, moraux, mentaux et culturels d’aujourd’hui relève donc non seulement de l’anachronisme. Et circonscrire un phénomène historique pour le focaliser sur un seul point est la marque d’un esprit réducteur qui gomme la complexité du passé avec un ou deux facteurs explicatifs pour qu’ils occupent tout le champ de la connaissance[7].
En conséquence, il n’appartient certainement pas au politique de prononcer un jugement sur l’histoire. Ce n’est ni dans son rôle, ni dans ses compétences. L’histoire n’est pas un tribunal de commerce dans lequel on distribue les bons et les mauvais points, les dommages et intérêts aux supposés héritiers des victimes et les coups de triques aux présumés descendants des oppresseurs. A contrario, il est du devoir du politique de veiller au présent pour pouvoir le projeter sur l’avenir. Et sur ce point il est bien silencieux lorsqu’il s’agit, justement, sur le thème de l’esclavage en particulier (mais sur bien d’autres en général) de s’intéresser aux supposées méthodes confinant à l’esclavagisme d’une entreprise appartenant au fameux Bernard Henri-Levy qui leur est si proche[8], ou encore de dénoncer les révoltantes conditions d’asservissement des immigrés clandestins exploités par la mafia calabraise en Italie[9] (ces deux points étant loin d’être des phénomènes isolés). Mais il est vrai que ces cas sont autant de témoins à charge de l’ordre (ou plutôt du désordre) de l’idéologie mondialiste.
[1] Lire La Haine de la nation.
[3] René Chateaubriand, Etudes sur la chute de l’empire romain.
[4] Cf., par exemple, Aristote, Les Politiques, Livre I, chapitre 2 et Montesquieu, L’esprit des Lois, chapitre « de l’esclavage des nègres »
[5] Cité par Jean Sévilla, Historiquement incorrect, Fayard 2011, pages 102-103.
[6] Jean Sévilla, Historiquement incorrect, Fayard 2011, pages 13
[7] Id.
[8] Lire Pascal Boniface, Les intellectuels faussaires, chapitre BHL, le seigneur et maître des faussaires, Jean-Claude Gawsewitch 2011.
[9] Christophe Ventura, Immigrés dans les rets de la mafia calabraise, Le Monde diplomatique, novembre 2010.