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L'Oeil de Brutus

SEGOLENE ROYAL A LA BPI, OU LA REPUBLIQUE DES COPAINS

21 Février 2013 , Rédigé par L'oeil de Brutus Publié dans #Idées

imgscan-contrepoints-2013550-république-des-copines-907x10SEGOLENE ROYAL A LA BPI, OU LA REPUBLIQUE DES COPAINS

 

 

 

Le fait en passe presque pour anecdotique tant il est devenu coutumier des mœurs de l’oligarchie au pouvoir : sans doute en mal d’occupations sur ses terres du Poitou et de reconnaissance après sa déculottée aux législatives, Ségolène Royal s’est fait nommer vice-présidente de la Banque Publique d’Investissementspar son ancien conjoint. Les petits arrangements entre amis, conjoints, ex-conjoints, potes, clients, vassaux et suzerains sont devenus tellement habituels dans une République qui n’en a plus que le nom qu’il semble bien que cela ne choque plus personne.

 

Pourtant, il serait peut-être pertinent de se demander si Mme Royal est la plus compétente à occuper ce poste. Elle est certes énarque et par voie de conséquence polyincompétente à remplir n’importe quelle fonction. Le problème est que dans la myriade de poste qu’elle a occupée durant sa longue carrière politique, en particulier en ce qui concerne les portefeuilles ministériels[1], elle n’a jamais tenu de responsabilités dans le secteur de l’économie, de la finance et encore moins de l’industrie. Quant à sa (courte) carrière administrative, à sa sortie de l’ENA (en 1980), elle avait choisi un poste de magistrat au tribunal administratif de Paris[2], qu’elle a quitté très rapidement (en 1982) pour aller cirer les bottes de Tonton à l’Elysée sur recommandation de Jacques Attali. Bref, quelles que soient ses qualités intrinsèques, Mme Royal ne dispose guère d’une grande expérience pour occuper sa nouvelle fonction et on peut se demander s’il n’existait pas au sein de la haute fonction publique, un cadre mieux placé pour servir en tant que vice-président de la toute nouvelle BPI. La réponse est très certainement oui. Car le poste n’est évidemment pas politique : le gouvernement décide des orientations stratégiques que la BPI met en œuvre. Le gouvernement fait la politique, la BPI l’exécute : le poste est administratif. Mais l’oligarchie au pouvoir est bien décidée à briser la haute fonction publique pour y caser sa clientèle. C’est de toute manière la marque de l’affairisme de l’oligarchie : il se moque des frontières éthiques et mélange sans vergogne politique, administratif, médiatique, industrie, finance, etc. dans une savante orchestration de pantouflages et rétro-pantouflages qui se moque des conflits d’intérêts.

Dans une république « irréprochable » qui raisonne selon le sens du bien commun, le politique et l’administratif devraient clairement être séparés, la haute fonction publique étant justement là pour assurer la continuité du service de l’Etat au gré des alternances. « Bien commun » et « service de l’Etat » sont des notions étrangères à l’oligarchie. Par définition d’ailleurs : l’oligarchie ne sert que ses intérêts. La « République irréprochable » avait été un joli leurre électoraliste de Nicolas Sarkozy. Mais son successeur ne vaut guère mieux. On finirait presque par regretter l’outrance du premier à assumer ses actes en comparaison de la fausse pudeur du second.

 

La question va toutefois au-delà des compétences de l’intéressée. Mme Royal est déjà conseillère régionale et présidente du Conseil régional du Poitou-Charentes, présidente du syndicat mixte du parc interrégional du Marais poitevin et vice-président de l’Internationale socialiste. Là voilà donc avec une quatrième casquette (et il y en a certainement qui ont été oubliées). Ne parlait-on pas d’en finir avec les cumuls des mandats dans un certain programme présidentiel ? N’en parlons plus : c’est déjà officiellement remis à 2017. Autant dire aux calendes grecques. « Mon successeur traitera » … ou pas …

Ici aussi, une autre question s’impose : Mme Royal a-t-elle physiquement le temps de remplir scrupuleusement chacune de ses charges ? La réponse est évidemment non. Mais qu’à cela ne tienne : elle disposera, pour chacune de ses fonctions, d’une myriade de sous-fifres, pardon de petits vassaux, qui s’en chargeront pour elle. Cela s’appelle les cabinets. Et là règle de recrutement est la même : plaire, nourrir son réseau et partager les intérêts du suzerain occupant la charge. C’est en fait un système de pyramidage du clientélisme. On n’est pas très loin de la féodalité.

Le parti socialiste revendique 170 000 adhérents : si on fait le compte du nombre d’élus[3]sous l’étiquette PS, de leurs membres de cabinet, des salariés du parti et de ceux qui d’une manière ou d’une autre (notamment au sein des collectivités) doivent leur emploi à leur affiliation politique, on ne doit pas être très loin de ce chiffre. Le parti socialiste n’est pas (plus ?) un parti de militants mais de clients. Ne vous inquiétez pas : c’est la même logique à l’UMP.

 

Bien peu s’interrogent également sur le rôle exact de cette nouvelle création de François Hollande qu’est la BPI. Il y a 5 ans Nicolas Sarkozy nous avait lancé avec force publicité le Fonds stratégique d’investissement (FSI), lui aussi censé appuyer nos entreprises. Le FSI existe toujours … à l’intérieur de la BPI ! Et tous deux sont adossés à la Caisse des dépôts et consignations qui, quasiment depuis sa création en 1816, a déjà un rôle de soutien de l’économie et de l’industrie nationales. En fait, pas grand-chose de nouveau sous les tropiques de l’oligarchie si ce n’est la création de nouvelles entités dans lesquelles on peut caser les copains en manque de mandats électoraux. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le triptyque qui constitue la direction de la BPI : outre Ségolène Royal, on trouve à la présidence Jean-Pierre Jouyet[4] que l’on finira par qualifier de Talleyrand financier tant il sert tous les gouvernements, et à la direction Nicolas Dufourcq, ancien directeur adjoint de cabinet de René Teulade – un proche de François Hollande – qui a multiplié les pantouflages et rétropantouflages entre le public (cabinet ministériel, Inspection des finances, BPI) et le privé (France Telecom, Wanadoo, Capgemini).

 

Mais ne tirons pas trop sur l’ambulance Ségolène Royal : elle n’est qu’un exemple parmi d’autres. Que dire, aussi, de la nomination de Jack Lang à la tête de l’Institut du monde arabe, à un âge (73 ans) auquel il commence à être raisonnable de s’occuper de ses petits-enfants et d’écrire ses mémoires ? C’est une autre marque de l’oligarchie : elle n’en a jamais assez et ne consens guère à laisser la place aux plus  jeunes, sauf, bien sûr, lorsqu’il s’agit d’affidés (et encore …).

Origine de l'illustration : http://www.contrepoints.org/2013/02/19/115658-segolene-royal-la-republique-des-copains 

[1] Ministre de l’environnement du gouvernement Bérégovoy (1992-93), ministre déléguée à l’enseignement scolaire (1997-2000) puis ministre déléguée à la famille et à l’enfance (2000-2002) du gouvernement Jospin.

[2] A noter que par le jeu des équivalence de diplômes, Ségolène Royal a pu devenir avocate au barreau de Paris et officier au service du cabinet Teitgen, spécialisé dans les contentieux d’affaires, tout en continuant à exercer ses mandats publics, risquant ainsi sans vergogne de se trouver le nez en plein conflit d’intérêt si jamais l’une des lois sur lesquelles elle avait à se prononcer pouvait aller dans le sens (ou à contresens) des intérêts d’un client de son cabinet d’avocats.

[3] Sans compter les conseilleurs municipaux (qui pour l’immense majorité ne sont pas rémunérés et pour une bonne partie élus sans étiquette), la France compte environ 80 000 élus. Au vu des derniers résultats électoraux et des modes de scrutin, on peut estimer qu’un bon tiers d’entre eux sont issus du PS.

[4] Jean-Pierre Jouyet est issu de la même promotion de l’ENA que François Hollande. Il a été chef de cabinet de Jacques Delors à la Commission européenne, directeur adjoint du cabinet de Lionel Jospin lorsqu’il était premier ministre, directeur du Trésor (2000-2004), secrétaire d’état chargé des affaires européennes du gouvernement Fillon, directeur de l’autorité des marchés financiers (nommé par Nicolas Sarkozy). Il a également fait quelques incartades dans le privé : avocat associé au cabinet Jeantet Associés (1995-97) et président de la banque Barclays (2005). En dehors de la présidence de la BPI, il préside également la Caisse des dépôts et consignation, est membre de l’Institut du Bosphore et du comité de parrainage du collège des Bernardins tout en présidant le conseil d’administration de l’Institut Pasteur. Il participerait également aux fameux dîners donnés par Le Siècle et à certaines conférences du Bilderberg et de la Trilatérale (cf. http://loeildebrutus.over-blog.com/article-l-oligarchie-ou-la-superclasse-invisible-le-siecle-la-trilaterale-bilderberg-circus-politicus-115180945.html).

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