Les "Ministères du monde" (Circus Politicus, partie 3/14)
CIRCUS POLITICUS
Christophe Deloire, Christophe Dubois
Albin Michel 2012.
Cette série d’articles visent à faire paraître les notes de lecture de cet ouvrage. Elle n’en dispense nullement de la lecture !
Sommaire :
13/ Les politiciens français et l’Europe
14/ De l’usage des sondages dans le monde politique français
Les « ministères du monde ».
« Vous pouvez dire qu’il existe des îles de gouvernance dans le système international » (page 95). De quoi parle ainsi Joseph Nye, l’ancien président du Conseil national du renseignement des Etats-Unis ? Pas de l’ONU ou de ses organismes affiliés, mais de l’Union postale universelle, de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, de l’Autorité internationale des fonds marins, de l’Organisation de l’aviation civile internationale, de l’Organisation maritime mondiale, du Fonds monétaire international, etc. Qu’on en commun toutes ces organisations ? Elles sont quasi inconnues de l’immense majorité des citoyens alors qu’elles ont une influence prépondérante sur leur vie quotidienne (page 95). Ainsi, de 2007 à 2011, le parlement français a du entériner 300 lois (!) décidées par ces institutions (page 96).
L’organisation mondiale du commerce (OMC) dispose certes d’un nom relativement connu. Mais que connaît-on de son fonctionnement ? Combien de Français ignorent que son président, Pascal Lamy, est un ancien du parti socialiste, avec lequel il conserve de grandes affinités[i] ? Et il le déplore lui-même : si dans les puissances émergentes ou dans le Nord de l’Europe, on parle couramment de l’OMC, c’est loin d’être le cas en France (en Italie et en Espagne de même) (page 90). M. Lamy réalise une profession de foi démocratique de son institution. Son argument ? Ses prises de décisions s’appuient sur le principe du consensus entre ses membres. Mais la réalité est nettement plus nuancée : les Etats les plus puissants peuvent faire pression sur les plus faibles (et ne s’en privent probablement pas), ils ont les moyens de suivre simultanément tous les dossiers (ce qui n’est pas le cas des autres qui doivent quand même se prononcer ou, si ce n’est pas le cas, la décision est admise sans leur avis). Sentant la légèreté de son argument, notamment du fait que les représentants des Etats à l’OMC sont des hauts fonctionnaires parfois bien éloignés des pouvoirs politiques (voire plus bas), M. Lamy ose un concept : « la transitivité démocratique », c’est-à-dire que celui qui est mandaté par un élu légitime devient de facto lui-même légitime et … ainsi de suite. C’est ainsi que le ministre français du commerce (qui, lui, possède pour le coup un mandat du parlement) n’a aucune influence au sein de l’OMC : pour les membres de l’Union européenne, les négociations sont menées par un commissaire européen. Mais de toute façon cela ne doit pas le changer de ses réunions bruxelloises : les décisions du Conseil des ministres du commerce de l’UE sont directement préparées par le très discret comité 133, composé de fonctionnaires de la Commission (pages 90-91). A bout d’arguments, M. Lamy finit pas lâcher : « La souveraineté aujourd’hui, c’est souvent le monopole de l’incohérence » (page 98). Mais que vaut la démocratie sans souveraineté ?