LES GABEGIES DES COLLECTIVITES LOCALES
LES GABEGIES DES COLLECTIVITES LOCALES
Les habitués de ce blog se douteront bien que j’ai peu d’affinités avec la ligne éditoriale du magazine Le Point. Son idéologie néolibérale et les arrogances autosuffisantes des Franz-Olivier Giesbert et autres Bernard-Henri Levy suffisent en effet à me hérisser le poil. En outre, entre les multiples publicités en tous genres et les encarts à tout va, plus « people » que journalistiques, on a souvent bien du mal à y trouver une véritable analyse politique de fond et à en faire la différence avec un Paris-Match ou un Gala. Le numéro en date du 13 septembre accordant un dossier aux dépenses des collectivités locales méritent néanmoins de relayer quelques uns des faits qui y sont relatés. Je me suis déjà à plusieurs reprises insurgé contre la manière dont a été conduite la décentralisation dans notre pays en général et la gestion clientéliste et dépensière de nombre des collectivités locales en particulier[1].
Voici donc quelques uns des faits rapportés par cette édition du Point :
- Selon une étude réalisée par le député divers gauche René Dosière, si les communes surveillaient leurs finances, 15 milliards d’euros d’économies seraient réalisables.
- Depuis 1998, les collectivités ont embauché 546 000 personnes (68 000 rien que ces 4 dernières années alors qu’il était question de rigueur), or 135 000 créations de postes seulement seraient dues à des transferts de missions de l’Etat vers les collectivités, ce qui laisse 411 000 créations nettes. Ainsi, la région Ile-de-France ne parvient à justifier que 31% de ses augmentations d’effectifs par les transferts de compétences de l’Etat.
- Le total des budgets de communication des collectivités est évalué entre 6 et 10 milliards d’euros.
- En 2009, la région Ile-de-France a crée le Centre Hubertine-Auclert, un « centre francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes ». Depuis sa création, ce centre aurait reçu 1,795 million d’euros de subventions qu’il redistribue à des associations dont certaines ressemblent fort à des coquilles vides, comme l’Association de solidarité avec les femmes algériennes démocrates, dont le site n’a pas été mis à jour depuis 2006, ou le Club des Africains entrepreneurs dont le blog ne contient qu’une unique note. D’autres associations recevant des subventions paraissent avoir peu de lien avec le sujet du Centre, comme l’Association pour la recherche sur la ville et l’habitat. Malgré tout, le Centre Hubertine-Auclert dispose de 290m² de bureaux pour 5 employés (soit 58 m² par personne, tandis que les normes de l’Etat sont de 12 m² par fonctionnaire) avec un loyer annuel (hors charges) de 110 000€ par an.
- Les surfaces imparties aux bureaux des fonctionnaires de la région Ile-de-France reviennent d’ailleurs régulièrement comme « surprise » des dépenses de cette collectivité. Certaines implantations (par exemple l’immeuble du 7, avenue de Babylone) offrent le luxe de 42 m² de surface de bureau par agent. On peut aussi noter qu’au lieu de se regrouper sur une seule adresse, le siège de la région est éclaté sur 16 sites, dont la majorité dans les quartiers les plus chers de la capitale.
- Les subventions versées souffrent également d’une certaine opacité : en 2010, la région Ile-de-France affirme avoir versé 2,82 millions d’euro au « Lieu du design » tandis que celui-ci affirme n’avoir reçu que 1,7 million d’euros. Interrogé sur l’ensemble des faits relatifs à sa région, M. Jean-Paul Huchon, le président (PS) de la région Ile-de-France n’a pas voulu répondre à la demande d’interview du magazine Le Point.
- Dans un autre article publié dans la rubrique « idées » du Monde (Pour un Etat exemplaire), Patrick Roger souligne également qu’entre 1998 et 2008, les effectifs des intercommunalités ont augmenté de 221% (!). Cette hausse d’effectifs était censée refléter des transferts de compétences et de missions provenant des communes. Sauf que, dans le même temps, les effectifs de ces dernières ont également cru (+13%) ! M. Roger relève également qu’en pleine crise, le régime indemnitaire des exécutifs intercommunaux a augmenté de 27,8% !
Mais ce sont encore les dépenses « somptuaires » qui laissent le plus pantois :
- 267 millions d’euros ! C’est le coût du musée des Confluences à Lyon, alors que le coût initial en 2000 était estimé à 61 millions d’euros. Et les travaux ne sont pas terminés …
- Le Languedoc-Roussillon s’avère être une région particulièrement prodigue. Il a ainsi ouvert sa 5e maison à l’étranger (après Bruxelles, New York, Shanghai et Londres, celle de Milan ayant rapidement été fermée) à … Casablanca. Coût de l’opération : 750 000€ pour un coût de fonctionnement annuel cumulé des 5 maisons de 3,5 millions d’euros. En attendant, les visiteurs quotidiens de certaines de ces maisons se comptent sur les doigts d’une main, le Languedoc-Roussillon est la 19e (sur 22) région exportatrice française et elle n’a pas ouvert de maison en Allemagne, son principal partenaire économique étranger alors que le Maroc ne représente que … 1,3 % de ses exportations. Qu’à cela ne tienne ! Une nouvelle maison du Languedoc-Roussillon se prépare à ouvrir ses portes sous un autre ciel ensoleillé : celle de Sao Paulo au Brésil !
Petit détail croustillant : avant l’ouverture de la maison de Casablanca, la région ne disposait pas de liaison aérienne avec le Maroc. Pour ce faire, le conseil régional s’est engagé à verser 700 000 € sur 3 ans à la compagnie Air Arabia pour diffuser un spot publicitaire vantant les mérites de la région sur sa toute nouvelle ligne …. Casablanca-Montpellier. Mais, détail gênant : le comité régional du tourisme ne dispose d’aucune information sur la fréquentation touristique de la région en provenance du Maghreb …
- L’agglomération de Perpignan ne craint pas le sur-encadrement : on y compte 42 vice-présidents d’agglomération, rien que ça ! Le Code des collectivités préconise pourtant de limiter ce nombre à 15. Mais il faut dire que chaque (heureux) élu se voit recevoir une indemnité de 1625€ mensuel (en plus de ses autres indemnités d’élus). Et certains titres laissent songeur : « Vice-président chargé des sentiers de randonnée » ou encore « Vice-président chargé de l’enseignement musical » ….
Lorsqu’on les interroge sur l’augmentation de leurs dépenses, les élus locaux ont coutume de rapidement rétorquer que, contrairement à l’Etat, ils ne peuvent voter un budget en déficit. L’argument est totalement fallacieux : les collectivités ont certes interdiction de voter un budget de fonctionnement en déficit, mais cela ne concerne en aucun cas le budget d’investissement pour lequel nombre d’entre elles ne se privent pas de s’endetter. Ainsi, dans la pratique les ressources propres des collectivités (essentiellement les impôts locaux) ne servent qu’à alimenter leur fonctionnement courant tandis que leurs investissements sont financés par des subventions des échelons supérieurs et …. le crédit. C’est ainsi que le premier poste de dépense de l’Etat, devant l’Education nationale, le remboursement de la dette et la Défense, est … les transferts au profit des collectivités (75 milliards d’euros). En outre, et pour revenir à la rhétorique des collectivités soi-disant vertueuse car déjà soumises à une « règle d’or » on pourra faire remarquer que n’importe quel comptable un tant soit peu astucieux arrivera à vous faire passer du fonctionnement pour de l’investissement (ou inversement)[2].
La décentralisation telle qu’elle a été menée dans notre pays n’a conduit qu’à une démultiplication des lieux de pouvoir, pouvoirs qui se sont eux-mêmes mués en simples moyens de distribution des prébendes et petits plaçous au mépris de l’intérêt collectif. Le cumul des mandats et la professionnalisation de la politique en ont rajouté une couche, comme le relève le député René Dosière : « Députés et sénateurs ont davantage en tête les intérêts de leurs circonscriptions que ceux du pays dans son ensemble. Il faut en finir avec le cumul des mandats[3] ».
Alors que les missions, y compris ses missions régaliennes, de l’Etat tendent à se réduire comme peau de chagrin pour le plus grand profit d’intérêts privés, alors que notre système de protection sociale est mis à mal, et pendant qu’à contrario ces collectivités ne cessent de prendre de l’ampleur (au moins budgétaire), il est temps de nous poser une question simple : quelle doit être notre priorité ? Assurer la protection sociale des générations à venir, employer des professeurs à l’éducation de nos enfants, des médecins et des infirmières à nous soigner, des policiers et des militaires à nous protéger ? Ou alors continuer à voir grossir des collectivités hypertrophiées employant des bataillons de fonctionnaires territoriaux à des missions floues et morcelant l’unicité de la République en une multitude de territoires où se monnayent les faveurs de petits notables ?
Oriine de l'illustration : http://www.lecri.fr/categorie/les-dossiers-du-cri
[1] Cf. :
- Réflexions sur le rapport de la Cour des comptes.
- Dette publique : nos dirigeants doivent prendre leurs responsabilités
[2] Par exemple, la location d’une voiture sera considérée comme du fonctionnement ; son achat comme de l’investissement, même si in fine sa fonction est la même.
[3] Le Point, 13 septembre 2012.