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L'Oeil de Brutus

LES CONTRE-VERITES DE CHRISTIAN JACOB (ET DE L’UMP) SUR LE PROTECTIONNISME

11 Janvier 2012 , Rédigé par L'oeil de Brutus Publié dans #Idées

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Cet article s’appuie sur une analyse plus approfondie de Gilles Ardinat (Chiffres tronquées pour idée interdite) parue dans l’édition de janvier 2012 du Monde diplomatique.

 

 

 

 

 

 


                       Lors d’un dialogue avec les internautes sur le site du monde le 10 octobre 2011, Christian Jacob[1] affirmait que le protectionnisme conduirait à « une France repliée sur elle-même, avec des frontières fermées, alors que 25% des Français travaillent à l’exportation. »[2]

Confondant sciemment mur et frontière[3], l’argumentaire est classique et simple (sinon simpliste …) : si la France adopte des mesures protectionnistes, en rétorsion ses partenaires commerciaux en feront de même condamnant ainsi ces « 25% de Français » qui « travaillent à l’exportation »[4] au chômage.

Mais d’où viennent ces 25% ?

La plupart des instituts d’étude économique calculent ce qui est nommé le « taux d’ouverture », c’est-à-dire le ratio entre le chiffre d’affaire des produits exportés et le PIB. Pour la France, l’INSEE[5]l’évalue à 25,4% en 2010. Si cet indicateur peut, éventuellement, être intéressant pour comparer l’insertion de différents pays dans la mondialisation, il est beaucoup moins pertinent lorsqu'il s'agit d'étudier la dépendance d’un pays aux exportations. Et pour cause : il compare ce qui n’est pas vraiment pas comparable car le PIB n’est pas une somme de chiffres d’affaires mais une somme de valeur ajoutée[6]. En l’occurrence, il est donc totalement faux de se baser sur ce chiffre pour affirmer qu’un Français sur 4 doit son travail aux exportations. En comparant ce qui est comparable, c’est-à-dire le chiffre d’affaires des exportations et le chiffre d’affaires total des entreprises marchandes françaises[7], Gilles Ardinat obtient un tout autre résultat : 1 Français sur 14 devrait son emploi aux exportations. Plus ironique, si on l’applique le raisonnement de Christian Jacob à Singapour, pays pour lequel le taux d’ouverture avoisine les 200%, on aboutit au résultat aberrant que 2 Singapouriens pour un doivent leur travail aux exportations …

Naturellement, se pose alors la question suivante : Christian Jacob se trompe-t-il par méconnaissance (et, pourrait-on dire, par incompétence) ou manipule-t-il sciemment les chiffres pour conforter les Français sur l’autoroute de la pensée unique libérale ?

 

Mais, la question va également bien au-delà car cet exemple n’est pas isolé. Et est de plus manifeste l’absence de tribune médiatique d’ampleur accordée aux défenseurs d’un protectionnisme raisonné (Laurent Pinsolle, Jacques Sapir, Frédéric Lordon, Emmanuel Todd, Hakim El Karoui, etc.). Les élites antiprotectionnistes continuent donc à nous vendre une mondialisation entièrement soumise au libre-échange. Alors qu’il n’en est rien. Et ce ne sont pas les exemples qui manquent :

-                           La Chine, mais aussi le Japon, les Etats-Unis ou encore le Royaume-Uni jouent sur le cours de leurs monnaies respectives pour favoriser leurs exportations et limiter leurs importations[8].

-                           Le Brésil et l’Argentine ont récemment multiplié les mesures protectionnistes[9].

-                           Par le Buy American Act, les Etats-Unis contraignent fortement les administrations fédérales et locales à privilégier les entreprises américaines. Et lorsqu’il s’agit de préserver l’industrie nationale (par exemple General Motors ou Boeing), l’Etat fédéral n’hésite pas à avoir la main lourde sur les subventions.

-                           La Chine multiplie les restrictions à l’accès à son marché intérieur, ce qui n’est pas sans déclencher – de manière relativement hypocrite – l’ire des Américains[10].

-                           L’Inde a récemment interdit l’implantation de supermarchés et hypermarchés étrangers dans ses villes de moins de 1,5 millions d’habitants, et au-delà de ce nombre, elles ne peuvent le faire qu’à travers un joint-venture dans lequel elles demeurent minoritaires[11].

-                           Etc.

 

D’une manière générale, tous les grands partenaires commerciaux de l’Europe sont protectionnistes[12].  L’Europe est donc bien le seul « idiot du village planétaire »[13] à ouvrir ses frontières à tous les vents et se faire tondre la laine sur le dos. On peut donc bien se demander pourquoi elle est la région du monde qui souffre de la croissance la plus atone et surtout … à qui cela profite-t-il ? Certainement pas à nos emplois[14].

 

 

 



[1]Président du groupe de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP) à l’Assemblée Nationale.

[2] Le MEDEF (Mouvement des entreprises de France) utilise exactement le même type d’argumentaire.

[3] Sur le sujet, lire Régis Debray, Eloge des frontières. Mes notes sur cet ouvrage : http://loeildebrutus.over-blog.com/article-eloge-des-frontieres-82266267.html

[4] On remarquera au passage que, comme à chaque expression de pensée unique, la pensée opposée est enfermée dans une simplification outrancière. Ainsi, par exemple, pour la majorité des antiprotectionnistes, il semblerait que les barrières douanières soient les seuls et uniques moyens de protectionnisme et que celui-ci ne puisse être mise en place que de manière unilatérale sans aucune concertation avec les partenaires commerciaux.

[5]Institut nationale de la statistique et des études économiques.

[6] Pour faire comparaison simple, pour votre boucher qui vend un steak, le chiffre d’affaire est le prix auquel il vous le vend, le « PIB » est le bénéfice qu’il en retire. Si l’on veut avoir un indicateur pour savoir à quel point votre boucher est dépendant de vos achats, il conviendrait soit de diviser le total de ce que vous dépensez annuellement chez lui par le total de son chiffre d’affaire, soit le total des bénéfices qu’il retire de vos achats par le total de ses bénéfices. Mais en aucun cas, on ne mélangerait les deux.

[7] Hors agriculture et secteur financier.

[8] En pratique toutes les Nations qui ont conservé la maîtrise de la monnaie pratiquent la monétisation et font varier le cours de leurs monnaies. Et contrairement à ce que l’on tend à nous faire croire, dans ce registre, la zone euro est sur la planète une bien solitaire exception (hors pays sous tutelle monétaire …).

[9] Lire Laurent Pinsolle, Les victoires du protectionnisme en Amérique du Sud, Blog gaulliste libre, 3 octobre 2011.

[10] Lire Dana Rohrabacher, China undermining economic recovery and U.S. security, The Washington Times, 5 octobre 2011. Lire également Karel de Gucht, La Chine ne remplit pas les critères d’une économie de marché, Les Echos, 9 novembre 2010.

[11] Lire Patrick Plunkett, 2012 : le retour du refoulé, Spectacle du monde, janvier 2012.

[12]Camille-Cerise Gessant, Les partenaires commerciaux de l’UE restent protectionnistes, Euractiv.fr, 26 octobre 2010.

[13]L’expression est d’Hubert Védrine.

[14] Des éléments de réponse par Stéphane Madaule, Ce que cache l’unité entre entrepreneurs allemands et français sur l’euro, LeMonde.fr, 4 juillet 2011.

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J
<br /> En fait, il n'est pas faux de dire que beaucoup de salariés français dépendent de l'exportation et, plus encore, de dire que beaucoup de devises rentrent en France (insuffisemment pour empêcher<br /> la spirale de l'endettement public mais suffisemment pour maintenir celle-ci à un niveau soutenable encore il y a quelques semaines) mais il faudrait ajouter que beaucoup de salariés ont de facto<br /> déjà perdu leur emploi, notamment suite aux délocalisations.<br /> <br /> <br /> Il semble cependant que, sous la pression probable des députés de "Droite Populaire", l'UMP en ait pris conscience puisque la "TVA sociale" constitue le premier élément de rétablissement d'un<br /> certain protectionnisme, probablement insuffisant pour mettre fin aux délolocalisations mais, sachant que la plupart des produits de consommation sont importés aujourd'hui, suffisants pour sauver<br /> notre système de protection sociale grâce à ces produits d'importation.<br /> <br /> <br /> Et plus encore, on peut imaginer que les recettes supplémentaires (dont une partie seraient inévitablement utilisés au renflouement des déficits publics) permettrait des politiques sociales<br /> intelligentes et individualisés comme l'aide à l'"emploi" dans des entreprises de développement durable dans des régions en "souffrance" (exemple : une meilleure indemnisation pour des personnes<br /> travaillant dans la fabrication de panneaux solaires dans le Nord-Est de la France)<br />
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