LE FMI ET SA PATHETIQUE JUSTIFICATION DE LA RIGUEUR GRECQUE
LE FMI ET SA PATHETIQUE JUSTIFICATION DE LA RIGUEUR GRECQUE
Le 24 mars 2012, Olivier Blanchard, chef économiste au FMI, osait sortir sur le site du Huffington Post une justification du traitement choc qu’en compagnie de l’Union européenne et de la BCE il inflige au peuple grec.
Le titre en lui-même ne manque pas d’audace : « Le bien-fondé et l’équité du programme en faveur de la Grèce ». Entendez-bien : « équité ». Il faut tout de même oser le dire quand ceux qui sont le plus mis à contribution sont les chômeurs, les retraités et les fonctionnaires les moins gradés et les bas salaires du privé[1], pendant que les grandes fortunes, notamment les fameux armateurs grecs, peuvent continuer à jouir en toute tranquillité de leur cupidité et contourner l’impôt ! Et on évoquera même pas les banques européennes qui peuvent allègrement emprunter à un taux quasi nul à la BCE pour se faire une joli marge de bénéfice en prêtant à des taux bien plus élevés aux Etats (lire Cette crise qui vient). Ce qui n’empêche tout de même pas, après une baisse du SMIC de 22%, notre cadre du FMI d’affirmer fièrement que « les riches payent effectivement leur juste part ». Décidemment, le FMI et ses acolytes néolibéraux de Bruxelles ont une bien singulière conception de l’équité.
Bien évidemment, tout au long de l’article de M. Blanchar, on retrouve les habituelles ritournelles des dogmes néolibéraux issus du consensus de Washington : « assainir les finances publiques », « réduire le déficit courant » et bien sur le fabuleux veau d’or, la « stratégie d’amélioration de la compétitivité ». Rien de nouveau donc : on nous sert les mêmes platitudes que sortirait n’importe quel étudiant de premier année issu d’un temple de la pensée unique néolibérale.
Toutefois, quelques passages valent le détour pour comprendre à quel point les cadres du FMI ont engoncé leur pensée dans un schéma intellectuel décoléré des réalités.
L’article commence par un moment d’anthologie : « les banques appartiennent à des particuliers, dont beaucoup épargnent pour la retraite et ont vu baisser la valeur de leur participation au capital des banques ».Tremblez donc, simple petit particulier ! Les quelques centaines d’euros que vous avez laborieusement mis de côté sur votre PEL risquent de partir en fumée du fait de l’impéritie des Grecs à accepter la potion miracle que le FMI lui offre si généreusement. Sauf que M. Blanchar oublie quelques faits :
- La France dispose d’un système de retraite par répartitions (qui déplaît certes fortement aux néolibéraux) qui fait que les actifs payent les pensions des retraités.
- La plupart des systèmes d’épargne populaire sont garantis par l’Etat (PEL, CEL) voire directement gérés par la Caisse des dépôts et consignations (Livret A).
- L’immense majorité des Français, des classes populaires aux classes moyennes dites « inférieures », ne possèdent pas d’actions.
Qui sont donc ces malheureux particuliers, à qui appartiennent les banques, qui auraient tant à perdre d’un défaut de la Grèce et d’un effondrement du cours d’action des ces banques au point de voir leurs retraites réduites à peau de chagrin ?
Certes, on y trouvera certainement quelques membres des classes moyennes qui ont diversifié leur épargne en plaçant quelques euros sur un PEA. Mais l’immense majorité des « propriétaires » des banques sont des rentiers qui confient leur fortune à des fonds d’investissements et autres « hedge funds » pour la faire fructifier, bien souvent d’ailleurs sans connaître les joies du travail. Hervé Nathan l’a déjà annoncé haut et fort : la crise de l’euro relève de la guerre des rentiers contre les citoyens[2]. Et surtout, il est totalement fallacieux et malhonnête de faire croire au petit épargnant que la crise grecque menace directement sa modeste épargne (et encore moins sa retraite).
Notre cadre du FMI clame également que « l'austérité budgétaire pesant sur la demande intérieure, la seule façon de rétablir la croissance est de miser davantage sur la demande extérieure pour réduire le déficit courant ». Admettons. Mais comment la demande extérieure à la Grèce pourrait augmenter alors même que les mêmes recettes « miracles » de la rigueur sont appliquées dans à peu près à tous les pays d’Europe et que ceux-ci sont, de très loin, les premiers partenaires commerciaux des Hellènes ? M. Blanchar n’est donc même pas capable de saisir la contradiction profonde qui réside dans ses propres propos, et dans ceux de son officine, à se faire l’apôtre de la rigueur tout en se vouant à la demande de pays extérieurs eux-mêmes soumis à la rigueur.
On pourra passer rapidement sur l’incantation qui relève plus de la théologie (néolibérale bien sûr) que d’autre chose : « Les projets financés sur fonds publics n'auraient guère d'impact sur la croissance à court terme, aggraveraient le déficit budgétaire et ne feraient que retarder l'inévitable ajustement ». Car M. Blanchar ne juge pas utile d’illustrer cette nouvelle incantation ne serait-ce que d’une once d’argumentaire : toute idée de relance keynésienne est bonne à jeter à aux orties. Pourquoi ? Nul besoin de le savoir, le dogme en a décidé ainsi. Circulez, y’a rien à voir !
L’éventualité d’une sortie de la Grèce de la zone euro relève de la même approche : cela couterait trop cher et serait chaotique. Mais selon quels arguments ? Pourquoi ? Mais parce qu’on vous le dit ! Parce que le dogme vous le dit ! Idem : circulez et bienvenu dans le temple de la pensée unique.
De plus, tout au long de l’article, on croit retrouver les plus fabuleux accents de Maggie Thatcher à ses plus grandes heures : « La Grèce n’a pas le choix ». There is no alternative !(TINA) Puisque la pensée unique des technocrates vous le clame si fort : nul besoin de débat, ni même d’argumentation. Toute autre alternative est chimérique. Le Politburo de l’Union soviétique devait sortir le même type de jargon autosuffisant à quelques semaines de sa chute.
Par contre, M. Blanchar est bien silencieux lorsqu’il s’agit d’évoquer ces trois dernières années pendant lesquelles la Grèce à été soumise à sa thérapie de choc, soi-disant pour éponger sa dette. Le bilan est pourtant simple : entre 2008 et 2012, la dette grecque est passée de 113% à 198% du PIB[3]. Ce qui montre bien l’inutilité, la contre-productivité et l’ineptie des multiples plans de rigueur imposés aux grecs. Le défaut partiel que vient de négocier le gouvernement grec devrait la ramener aux alentours de 120%, soit son niveau de … 2008, avant les plans de rigueur. Sauf qu’entre temps, l’économie grecque s’est puissamment contractée sous l’effet de la thérapie de choc néolibérale. Si la Grèce n’était pas en mesure d’honorer ses échéances de crédit en 2008, elle l’est donc encore moins aujourd’hui[4]. Tout cela, M. Blanchar ne l’évoque nullement. Généralement, une intelligence normalement construite apprend de ses erreurs. Pas le FMI. Mais en plus, il se fait fort de s’obstiner dans l’erreur car l’évolution de la situation grecque rappelle sur bien des points l’Argentine de la fin des années 90[5].
Restent alors deux possibilités :
- Soit ces « gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles », pour reprendre les mots de Bernard Maris[6], sont effectivement complètement déconnectés de la réalité (encore une fois, de la même manière que la nomenklatura soviétique à quelques semaines de la chute de l’URSS) et en conséquence lancés dans une fuite en avant digne des Shadocks : si le pompage ne marche pas, c’est que nous avons pas assez pompé.
- Soit, plus probable mais pire encore, l’approche du FMI et de ses complices des institutions européennes, relève d’une stratégie cynique et clairement établie. Confirmant la théorie de Naomi Klein[7], il s’agirait sciemment de démanteler toute forme de solidarité collective et de réduire l’Etat à sa plus simple expression pour que vienne le règne de la tyrannie du marché, qui ne serait qu’une nouvelle forme de totalitarisme (lire Le Totalitarisme néolibéral) qui, comme tous les totalitarismes, ne pourrait dégénérer qu’en un régime au service d’une ploutocratie guidée uniquement par la cupidité[8].
PS : au moment où je termine ces lignes je viens d’entendre Jean-Marc Sylvestre proclamer fièrement sur I-télé : « Le juge de paix de l’élection sera évidemment le marché » (I-télé, 04/04/2012). Cela se passe de commentaire : vous voulez parler de démocratie et de république ?
Origine de l'image : http://sitt.wordpress.com/2011/08/26/grece-la-version-europeenne-de-la-doctrine-du-choc/
[1] 150 000 postes de fonctionnaires vont être supprimés en 5 ans. Le salaire moyen des fonctionnaires passe de 1976€ en 2009 à 1185 euros en 2014 (-40% !). Celui du privé tombera de 1164 euros en 2012 à 990 euros en 2014, le SMIC baissant de 22%, à 586 euros, et même de 32% pour les jeunes, à 511 euros. Source : Laurent Pinsolle, Grèce : l’Europe achète du temps, blog gaulliste libre ; 22/02/2012.
[2] Hervé Nathan, Euro : la guerre des rentiers contre les citoyens, Marianne, 17 juillet 2011.
[3] Laurent Pinsolle, La crise de l’euro s’offre un répit, blog gaulliste libre, 14/03/2012.
[4] Sur le sujet lire Cette crise qui vient.
[5] Roberto Lavagna, Nous avons sauve les gens plutôt que les banques, Libération, 19/02/2012 ; et Maurice Lemoine, Face aux créanciers, effronterie argentine et frilosité grecque, Le Monde diplomatique, avril 2012.
[6] Bernard Maris, Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles, Points 2003. Ma fiche sur cet ouvrage : http://loeildebrutus.over-blog.com/article-lettre-ouverte-aux-gourous-de-l-economie-qui-nous-prennent-pour-des-imbeciles-90310262.html
[7] Naomi Klein, La stratégie du choc.
[8] Lire James K. Galbraith, L’Etat prédateur, Seuil 2009. Ma fiche sur cet ouvrage : http://loeildebrutus.over-blog.com/article-l-etat-predateur-79729723.html