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L'Oeil de Brutus

LE CHEMIN DE L’ESPERANCE

19 Février 2012 , Rédigé par L'oeil de Brutus Publié dans #Lectures

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LE CHEMIN DE L’ESPERANCE

Stéphane Hessel & Edgar Morin

Edition de référence : Fayard, 2011.

 

 

1/ LES AUTEURS.

Stéphane Frédéric Hessel, né le 20 octobre 1917 à Berlin, est un diplomate et militant politique français. Combattant de la France libre pendant la Seconde Guerre mondiale, puis déporté à Buchenwald, il a été secrétaire de la commission ayant élaboré à l'ONU la Déclaration universelle des droits de l'homme. Il est également écrivain et poète.

Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/St%C3%A9phane_Hessel

Edgar Nahoum, dit Edgar Morin, né à Paris le 8 juillet 1921, est un sociologue et philosophe français. Il définit sa façon de penser comme « co-constructiviste » en précisant : « c’est-à-dire que je parle de la collaboration du monde extérieur et de notre esprit pour construire la réalité ».  Il obtient une licence en histoire et géographie et une licence en droit (1942), et entre alors dans la Résistance de 1942 à 1944, comme lieutenant des Forces françaises combattantes. Il y joue un rôle actif et rencontre notamment François Mitterrand. Il adopte alors le pseudonyme de Morin, qu’il garde par la suite. À la Libération, il écrit L’An zéro de l’Allemagne où il décrit la situation du peuple allemand de cette époque. Ce livre a été apprécié en particulier par Maurice Thorez qui l'invite à écrire dans la revue Les Lettres françaises. À partir de 1949, il s’éloigne du Parti communiste français, dont il est exclu peu après, en tant que résistant antistalinien. En 1955, il anime un comité contre la guerre d'Algérie.  Il entre au CNRS (1950). Il s'intéresse très vite aux pratiques culturelles qui sont encore émergentes et mal considérées par les intellectuels : L'Esprit du temps (1960), La Rumeur d'Orléans (1969). Il cofonde la revue Arguments en 1956. Il fonde (codirecteur de 1973 à 1989) et dirige le CECMAS (Centre d'études des communications de masse), qui publie des recherches sur la télévision, la chanson dans la revue Communications qu’il dirige et qui paraît encore aujourd’hui. Durant les années 1960, il part près de deux ans en Amérique latine où il enseigne à la Faculté latino-américaine des sciences sociales. Aujourd'hui directeur de recherche émérite au CNRS, Edgar Morin est docteur honoris causa de plusieurs universités à travers le monde. Son travail exerce une forte influence sur la réflexion contemporaine, notamment dans le monde méditerranéen et en Amérique latine, et jusqu'en Chine, Corée, Japon. Il a créé et préside l’Association pour la pensée complexe, l'APC.  Il a apporté son soutien à la candidature de Christian Garino, candidat à l'investiture du mouvement Esperanto-Liberté pour l'élection présidentielle française de 2007. Il considère le monothéisme comme un « fléau de l'humanité » et apprécie le bouddhisme, entre autres, car c'est une religion sans dieu.

Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Edgar_Morin

 

2/ L’OEUVRE.

 

Avec Indignez-vous[1], Stéphane Hessel avait réalisé un pamphlet simple et engagé dans lequel il appelait la jeunesse française à s’indigner de toutes les injustices. Par des valeurs fortes et des idées simples (que certains qualifieront de simplistes), Hessel voulait mettre fin à la passivité et l’individualisme qui tarit l’engagement collectif au sein de notre société. Il y espérait un sursaut d’une jeunesse qu’il sent désabusée et sans idéaux. Les principaux motifs d’indignation de Stéphane Hessel sont le démantèlement du modèle social issu de la Résistance, le sort indigne fait aux Palestiniens, l’indifférence généralisée, le consumérisme aveugle encouragé par les médias de masse … etc.

Ses détracteurs pouvaient mettre en avant la posture émotionnelle, le manque de réalisme et surtout de propositions alternatives de « l’indignation » en tant que seule posture.

En s’associant avec Edgar Morin pour rédiger Le Chemin de l’espérance, on pouvait espérer que Stéphane Hessel prolongerait le succès initial d’Indignez-vous dans une réflexion plus profonde. Il n’en n’est rien. A coups d’incantations émotionnelles et d’utopisme altermondialiste, on reste coi devant une telle propagande gauchiste post-soixanthuitarde. Bien sûr on y décèle une indéniable générosité, mais il est tout de même affligeant que ceux qui dénoncent avec tant de force l’individualisme forcené et l’idéologie néolibérale ne se rendent même pas compte que, de par leur propre idéologie libertaire, ils en sont en fait,  depuis maintenant 40 ans,  les complices – certes involontaires – et les premiers responsables de leur victoire.

 

Les auteurs restent ainsi convaincus que « la mondialisation constitue à la fois le meilleur et le pire de ce qui a pu advenir à l’humanité » (page 11), sans même relever que celle-ci prend ses racines dans les tréfonds de l’Histoire. Ils songent ainsi à l’avènement d’une Terre-Patrie qui ne nierait pas pour autant les patries singulières (page 11). Il faudrait donc à la fois mondialiser et démondialiser : d’un côté en développant les solidarités mondiales, de l’autre en préservant le local, le régional et le national, en particulier dans leurs dimensions culturelles (page 12). De même, « plutôt que d’opposer l’étendard de la croissance à celui de la décroissance, le temps est venu de dresser la liste de ce qui doit croître et de ce qui doit décroître » (pages 13-14). Logiquement, pour cela, il s’agirait de mettre en place une gouvernance mondiale (page 15) tout en dénonçant le politique asservi à l’économisme (page 19) et en refusant le matérialisme (page 20) qui ont tous deux conduit à la dégradation du lien social et des services publics (pages 21-23). Ainsi, le bien-vivre s’en trouve confondu avec le bien-être matériel, négligeant le bien-être affectif, psychique et moral (pages 26-27).

Jusqu’à approximativement la moitié de l’ouvrage, le constat des deux intellectuels engagés est après tout relativement aisé à partager. Mais lorsqu’ils commencent à émettre leurs solutions, l’idéologie reprend le dessus. Les idées de créer des Maisons de la Fraternité (page 29) et d’instituer un Service civique de la fraternité (page 30) sont, sommes toutes, sympathiques. Mais les auteurs en reviennent rapidement à la spirale culpabilisatrice des européens, responsables de tous les maux de la planète en raison de la colonisation (et du néocolonialisme), et victimaire vis-à-vis des immigrés (pages 31-32).

Face à la désagrégation de l’éduction, tout ce qu’ils ont à proposer se résume à l’enseignement de l’informatique et de l’art (page 33) et la mise en place d’un conseil d’éthique visant à promouvoir, entre autres, la philosophie … confucéenne (pages 34-35). L’approche de pensée extrême-orientale a certes son intérêt. Mais nos enfants n’auraient-ils pas plutôt intérêt à comprendre en premier lieu comment Platon, Aristote, Saint-Augustin, Montaigne, Montesquieu, Voltaire, Rousseau et bien d’autres ont bâti la pensée humaniste qui fait nos valeurs ? On retrouve bien là une certaine forme de honte et de haine de soi. In fine, Morin et Hessel ne cultivent pas le relativisme culturel : bien au contraire ils considèrent leur culture comme inférieure aux autres. Non content d’être libertaires alliés objectifs du néolibéralisme, ce faisant ils se font également ennemis des Lumières (pas un seul des penseurs des Lumières n’est cité dans l’ouvrage) et alliés objectifs de la réaction romantique, comme l’a déjà dénoncé Finkielkraut[2].

Probablement également apôtres de l’individualisation des cursus scolaires prônée par les pédagogistes[3], les auteurs prônent une individualisation de la retraite (page 36) : chacun partirait à la retraite selon ses vœux et après un contrôle de ses capacités physique et mentales. Se rendent-ils seulement compte de l’utopie absolue de leur proposition ?

Pour lutter contre les inégalités, en lieu et place de mesures concrètes, ils proposent de créer de multiples conseils, sans détailler leur fonctionnement ni leur élaboration (pages 44-45) :

-          un conseil permanent de lutte contre les inégalités, qui surveillerait les revenus ;

-          un conseil permanent chargé d’inverser le déséquilibre capital-travail ;

-          un conseil permanent traitant des transformations sociales et humaines.

Revenant sur le sujet de l’éducation (pages 46-47), ils clament à nouveau haut et fort leur attachement au dogme pédagogiste, se voilant la face que les terribles méfaits qu’il a produit ces dernières décennies : « la missions fondamentale de l’enseignement secondaire est de permettre aux jeunes générations, à l’âge plastique (sic) et décisif de l’adolescence, d’affronter les problèmes de leur vie de personne, de citoyen et de Terrien (on ne parle même plus d’homme mais de « Terrien » …). En ce sens, les enseignements doivent aborder les problèmes globaux et fondamentaux de nos vies et de notre époque, ce qui implique la coopération des savoirs disciplinaires demeurés séparés les uns des autres. »

Le paragraphe sur l’Université permet d’atteindre des sommets de phraséologie idéologiste puisqu’il s’agirait pour elle de « fournir une culture métaprofessionnelle, de caractère trans-séculaire, englobant l’autonomie de la conscience […]. Cette culture, qui dépasse les formes éphémères du hic et du nunc[4], doit pourtant aider les citoyens à mieux vivre leur destin hic et nunc. […] Il en s’agit pas seulement de moderniser la culture ; il s’agit aussi de culturiser la modernité » (page 49). Les auteurs confirment, de même que pour l’enseignement secondaire, leur refus des disciplines scolaires car, pour l’Université, il s’agit de « reconnaitre la nécessité de l’interdisciplinarité en attenant qu’on reconnaisse celle de la transdisciplinarité ». Cette transdisciplinarité permettrait de « substituer une pensée qui relie à une pensée qui disjoint, et cette reliance requiert que la causalité unilinéaire et unidirectionnelle soit remplacée par une causalité en boucle, multiréférentielle, que la rigidité de la logique classique soit corrigée par une dialogique capable de concevoir les notions à la fois complémentaires et antagonistes. » (page 51).  On ne peut que rester béat devant une telle logorrhée de novlangue à faire pâlir d’envie un rééducateur maoïste.  On pourrait croire que je pousse à la caricature, voire à l’outrance, lorsque je compare les auteurs à des rééducateurs maoïstes. Que l’on pousse la lecture de leur opuscule un peu plus loin (page 56), et l’on verra qu’il s’agit bien de la « réforme de la pensée politique » !

La conclusion sonne alors comme un aveu : Morin et Hessel s’y réclament ouvertement de la « source libertaire », la « source socialiste », la « source écologique » et … la « source communiste » (pages 59-60).

Qu’on se le dise donc bien : sous couvert d’idées généreuses, la pensée maoïste – soixanthuitarde – libertaire n’est pas morte dans notre pays. Si on y adjoint les travaux de Terra Nova et du Club Jean Jaurès[5], elle demeure même proche de la gauche libérale qui a tant de problème avec la République. D’ailleurs, il me semble bien que le mot n’apparaît pas une seule fois dans l’ouvrage de Hessel et Morin.





[1] Stéphane Hessel, Indignez-vous, Indigènes 2010.

[2] Alain Finkielkraut, La défaite de la pensée, Folio 2008. Ma fiche sur le sujet : http://loeildebrutus.over-blog.com/article-la-defaite-de-la-pensee-83432198.html

[3] Comme le relève si bien Jean-Paul Brighelli sur son blog : comment peut-on sérieusement envisager, pour l’Education nationale, 12 millions de parcours différenciés qui seraient rigoureusement suivis ? http://bonnetdane.midiblogs.com/

[4] Location latine : « ici et maintenant ».

[5] Lire Yohann Duval, Tous aux abris : la gauche a-républicaine revient, blog de Yohann Duval, 8 février 2012.

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R
<br /> Il ne manquait à cet ouvrage qu'une déclinaison en action concrète...<br /> <br /> Ce manque est comblé, avec le projet "Roosevelt 2012" que Stéphane Hessel et Edgar Morin viennent de lancer avec quelques autres personnalités.<br /> <br />  Il s'agit d'inciter le futur président français à mettre en oeuvre, immédiatement après son élection, 15 réformes radicales pour :<br /> <br /> - stopper net la crise en quelques mois<br /> <br /> - créer 2 MILLIONS d'emplois CDI temps plein en 5 ans sans ruiner l'état ni les entreprises<br /> <br /> - Et globalement faire naître une nouvelle société démocratique au niveau européen<br /> <br /> http://www.roosevelt2012.fr/<br /> <br /> Avec le soutien également de :<br /> - Curtis Roosevelt, petit fils de l'ancien président américain Franklin Roosevelt<br /> - Fondation Danielle Mitterrand<br /> - Fondation Abbé Pierre<br /> - Génération Précaire<br /> - Michel Rocard<br /> - Pierre Larrouturou<br /> - Lilian Thuram<br />
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