LE CARACTERE NON SCIENTIFIQUE DES SONDAGES (MANUEL ANTI-SONDAGES)
MANUEL ANTI-SONDAGES, la démocratie n’est pas à vendre !
Alain Garrigou et Richard Brousse
La ville brûle, 2011.
Cet article reprend mes notes de lectures de cet ouvrage. Il ne dispense en rien de s'y plonger !
Déjà paru :
Historique et propos liminaire
En préambule, on peut déjà constater que, tout en prétendant avoir recours à des méthodes scientifiques, les instituts de sondages et les médias font tout pour écarter les universitaires et les scientifiques des débats sur les sondages. Qui a déjà vu un universitaire présenter une critique des sondages à travers un grand média, qu’il soit télévisuel, radiophonique ou écrit (page 13) ? Les réalisateurs des sondages se sont donnés le nom d’ « instituts », ce qui leur confère une stature scientifique et les assimile à une structure académique (quoiqu’il y ait bien des « instituts de beauté »). Pourtant, les instituts de sondages sont tous des entreprises, très souvent cotées, et à ce titre, la recherche scientifique et académique ne saurait être leur but premier qui ne peut être que le profit (pages 25-26). Ainsi, les sondages se sont d’eux-mêmes réduits, dans la quasi-totalité des cas, à des questions fermées (par exemple sur une élection on doit choisir parmi une liste donnée de candidats, sans possibilité d’en donner un autre), mettant de côté les questions ouvertes. La raison en est simple : les questions fermées coutent moins cher aux instituts de sondage (page 45).
Les sondages partent d’une croyance bien naïve : celle que pour savoir ce que les gens pensent ils suffirait de leur demander … (page 22). Mais, les gens mentent ! Pourtant, « ils (les sondeurs) se sont persuadés que les sondages sont la démocratie. Que celle-ci devienne un marché sur lequel l’opinion est une marchandise, est sans doute l’idée qu’ils ont de la démocratie » (page 123). Car pour les « instituts », les sondages sont avant tout un business.
En outre, la qualité même de la manière dont est faite un sondage est très souvent mise en défaut : les enquêteurs sont le plus souvent peu ou pas formés, ils doivent trimer couramment pendant dix questionnaires auprès de dix sondés pour en obtenir un seul complet, ils sont payés au rendement ce qui les encourage à abattre une grande quantité de questionnaires sans se poser de questions sur la fiabilité des réponse du sondé (page 22). Au final, les enquêteurs (qui agissent maintenant presque toujours depuis des centres de téléphonie) ont de multiples raisons de mal faire leur travail : ce dernier est mal rémunéré et précaire, ils sont payés à la pièce avec des objectifs presque inatteignables et ils doivent absolument obtenir des réponses de la part des sondés (ce qui les amène à utiliser toutes sortes d’artifices : supplications, ruse sur l’existence d’une case « ne se prononce pas », « oubli » de la question à laquelle l’enquêteur répondra de lui-même) (pages 47-48). Les sondages nagent de plus en plaine opacité : les instituts refusent régulièrement de divulguer leurs méthodes de travail et il est devenu impossible de faire une enquête au sein de leurs centres d’appels (page 144).
Les sondages produisent également le plus souvent de simples artéfacts :
- Au bout d’un questionnaire qui dure de longues minutes, le sondé peut très bien répondre n’importe quoi pour en finir le plus vite possible (pages 23-24), et ce d’autant plus que l’on constate qu’il faut environ 10 appels téléphoniques pour parvenir à obtenir un questionnaire complet (page 68).
- Les sondages sont généralement présentés comme n’importe quelle autre information. Pourtant, en eux-mêmes, ils ne sont pas une information factuelle puisqu’il a fallu poser une question pour « savoir » (page 41).
- Les sondages produisent ainsi des opinions qui n’existeraient pas sans eux. Lors d’une consultation électorale, le votant à le tend de prendre des éléments et de murir son choix. Autrement dit, l’opinion électorale est une opinion réfléchie et mobilisée. C’est tout le contraire du sondage qui pose tout de blanc une question à un sondé qui doit répondre instantanément sans avoir eu de temps de réfléchir à la question posée, voire qu’il ne se poserait jamais si le sondeur n’était intervenu (page 41). On remarque de plus que la plupart des sondages publiés donnent un résultat extrêmement faible de « sans réponse » ou « ne se prononce pas ». Tout le monde aurait-il donc une opinion sur tout ? Non, l’explication est simple : une fort proportion de sans réponse discréditerait le sondage, les sondeurs ont donc des consignes très strictes pour obtenir des réponses de la part des sondés (page 49). De la même manière, on peut constater que les sondages n’évoquent que très rarement, pour ne pas dire jamais, les taux d’abstention (page 80).
- La manière dont la question est posée agit également fondamentalement sur le résultat du sondage. Il est d’usage que les questions des sondages soient précédées d’une introduction présentant – succinctement – la problématique. Or, à l’aide d’un exemple sur le traitement du chômage, on s’aperçoit qu’en modifiant cette introduction, un tiers des sondés changent leur réponse (page 82).
Au final, donc, le sondage crée une opinion qui n’existe pas (page 146). Cela n’empêche pas les sondeurs de ne douter d’aucun sophisme : « ce ne sont pas les sondages qui se sont trompés, c’est tout simplement l’opinion qui ne cesse d’évoluer de jour en jour » s’exclamait ainsi Pascal Perrineau (INA) au journal de 20 heures de France 2 le 24 avril 1995 (page 149).
Les méthodes de redressement, qui consistent à corriger les « mensonges » des sondés (par exemple une certaine proportion de personnes n’osant avouer qu’elles votent Front national) est également un autre sujet hautement polémique sur les sondages. Ne serait-ce que pour une raison : les instituts de sondage ne les communiquent jamais ! En fait, ces « corrections » ne s’appuient sur aucune méthode scientifique et les sondeurs eux-mêmes finissent souvent par admettre qu’ils se basent sur leur intuition ou leur expérience des sondages. Ceci est d’autant plus aberrant que ces méthodes de redressement n’existent que pour les sondages électoraux, pas pour les autres. Les gens ne seraient-ils amenés à mentir que lorsqu’il s’agit d’élections politiques et à être toujours sincères pour toutes autres questions ? Bien sûr que non. La raison est là aussi simple : les sondages électoraux passent ensuite sous les fourches caudines du résultat réel de l’élection, pas les autres sondages. Mais si on constate déjà des marges d’erreur importantes sur les sondages électoraux qui sont pourtant corrigés, combien énorme doit être cette marge sur les autres sondages ! (page52).
Les sondeurs établissent également une causalité douteuse entre un évènement et l’opinion : grâce à un discours ou un fait particulier, un politique peut ainsi perdre ou gagner des points dans les sondages selon les discours des sondeurs. Mais qu’est-ce qui prouve que c’est ce fait qui a entrainé cette évolution et non un autre (pages 56-57) ? En fait, ils en viennent à fonctionner comme les augures des sociétés les plus archaïques (page 58).
On peut aisément mettre à mal la fiabilité des sondages en les comparant les uns aux autres. A la même date, il est ainsi extrêmement courant de trouver des écarts de 15 points entre deux sondages identiques sur les fameuses « côte de popularité ». Dans ces cas, qui a le bon « échantillon représentatif » ? Le sondage fait pour Le Figaro ou celui pour Libération (dont d’ailleurs on constate que le résultat du sondage est bien souvent en cohérence avec la ligne éditoriale de la publication ….) ? (page 63). Un exemple : le 14 septembre 2009, un sondage de Libération affirme que 58% des personnes interrogées jugent le bilan de Nicolas Sarkozy négatif ; le même jour, dans Les Echos, 52% des personnes interrogées sont satisfaites de son bilan (page 64).
La détermination des échantillons représentatifs, sur lesquels les instituts communiquent fort peu, peu également être sujette à caution. Les sondeurs considèrent ainsi que les personnes qui refusent de répondre aux sondages n’affectent pas la représentativité. Mais pourquoi ces personnes ne seraient-elles pas plus majoritaires dans tel ou tel groupe socioculturel, dans tel ou tel groupe de niveau scolaire ou dans tel ou tel groupe d’affinités politiques ? « On a au contraire toutes les raisons de penser que les dispositions politiques et morales sont très différentes selon que l’on accepte une sollicitation à s’exprimer au nom de la démocratie ou qu’on la refuse, souvent au nom de la démocratie (page 68). En outre, la représentativité du sondé ne s’appuie que sur ses propres dires, et il peut très bien mentir, par exemple en se rajeunissant ou en s’arrogeant un niveau scolaire qu’il n’a pas (ce dernier point semble tellement banal que les sondeurs auraient renoncé à prendre le niveau scolaire comme critère de représentativité) (page 69). Et même de manière encore plus simple : l’immense majorité des sondages étant réalisés par téléphone, qu’est-ce qui prouve que c’est bien M. Dupont qui répond et pas un des enfants, un cousin ou un ami de passage (page 70) ? Cette difficulté est encore plus avérée pour les sondages réalisés en ligne (page 120).
Les sondages réalisés en ligne sur internet vont encore plus loin dans l’approximation : ils recrutent leurs sondés en promettant des points pour obtenir des cadeaux ou encore des participations à des loteries. Par ces biais, ils n’attirent finalement essentiellement que des joueurs ou des militants voulant faire valoir leurs avis. Peut-on espérer une quelconque représentativité de cette manière (page 70) ? On s’aperçoit d’ailleurs qu’une majorité d’internautes admet mentir pour maximiser ses chances d’obtenir un gain, un cadeau ou un bon de réduction (page 120). Néanmoins, l’IFOP lui-même admet que mettre fin à la gratification tuerait le sondage en ligne (page 121). Et lorsqu’on interroge les instituts de sondage sur le risque d’apparition de sondés plus ou moins professionnels, ils rétorquent que chaque sondé ne peut être inclus dans un panel que deux ou trois par an. Sauf qu’ils n’en ont aucun moyen de contrôle et sont donc incapables de le prouver (ne serait-ce parce qu’un sondé peut très bien participer à deux ou trois panel de chaque institut) (page 125).
Pour ce qui est de la partie militant, les résultats obtenus par le Front national sur ce type de sondage est grandement illustratif de la faillite de ce système : pour les sondages par téléphone, les critères de redressement des résultats de ce parti sont un véritable casse-tête (de nombreux sondés n’osant admettre leur sympathie pour un parti d’extrême-droite) alors qu’à l’inverse, sur internet, les militants du FN se mobilisent massivement pour faire monter les scores de leur parti (page 120).
L’imposture des sondages ne s’arrête pourtant pas aux aberrations quantitatives, car avec le temps les sondeurs, en « interprètes – autoproclamés – de l’opinion » qu’ils sont, se sont mués en analystes de la vie politique. Et dans ce registre, la fantaisie confine au je-m’en-foutisme : nos imposteurs – quantitatifs et qualitatifs – font montre d’un culot sans limite lorsqu’ils osent expliquer une évolution d’un côte de popularité à coups de 14 juillet, vacances estivales, état de santé, etc… (pages 80-81).
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