LA JUSTICE EN PERIL
Cet article est à insérer dans une série d’articles s’appuyant sur mes notes issue des la lecture de L’Oligarchie des incapables, de Sophie Coignard et Romain Gubert. Il ne dispense bien sûr en rien de la lecture de cet excellent ouvrage qui permet de bien comprendre comment une partie significative de notre « élite » a abandonné le service du bien commun.
L’exemple de la ville d’Orléans, « laboratoire de la tolérance zéro », montre comment la politique du chiffre met en péril le fonctionnement de la justice. Les objectifs chiffrés font qu’il faut instruire et juger les affaires le plus rapidement possible. Ainsi, les petits trafiquants de drogue qui se font arrêter avec une quantité plus ou moins importante de produits stupéfiants passent systématiquement en comparution immédiate pour être envoyés sous les verrous le plus rapidement possible. Sauf que dans cette approche rien n’est fait pour remonter les filières (page 213).
La convention de l’OCDE sur la corruption internationale a été intégrée au droit français en 2000. Depuis, deux condamnations mineures ont été prononcées dans l’hexagone contre, dans le même temps, 48 en Allemagne, 88 aux Etats-Unis et 39 en Italie. La France, pourtant l’un des principaux exportateurs mondiaux d’armement – un marché hautement gangréné par la corruption[i] -, serait-elle épargnée par la corruption comme elle l’a été par le nuage de Tchernobyl (pages 213-214) ?
A défaut de supprimer les juges d’instruction, il y a plus simple : les contourner. Ainsi à Paris et à Nanterre, où atterrissent la plupart des dossiers politico-financiers, le parquet fait trainer en longueur les enquêtes préliminaires afin de ne pas faire appel à un juge d’instruction. Au tribunal de Paris, les effectifs de la section financière sont passés de 46 à 39 et ceux des juges d’instruction réduits de 25%. Même la Direction des affaires criminelles et des grâces de la Chancellerie finit par s’en émouvoir : « La quasi-totalité des parquets signalent le manque criant de services et unités qualifiés pour diligenter les procédures pénales en matière économique et financière » (page 216). Et l’idéologie s’en mêle : depuis 2010, la société CapGemini est mandatée pour faire appliquer à la Justice française les normes de management et d’organisation de secteur marchand. Le néolibéralisme appliqué à la Justice … (page 217). Bien évidemment, ces normes rendent bien trop coûteuses – et donc illégitimes – les procédures et investigations longues et couteuses, comme souvent celles qui ont rapport avec les compromissions inavouables (page 218).
La loi du 29 juillet 2009 met encore plus en danger le travail des magistrats : elle leur interdit des lieux désormais sanctuarisés sous le sceau du secret défense (et non plus seulement des documents comme c’était le cas auparavant). Plus fort encore : la liste des lieux concernés est tenue secrète et modifiable à loisir par arrêté du Premier ministre (pages 219-221).
La suite dans quelques jours.
[i] Lire Jean Guisnel, Armes de corruption massive¸ La découverte 2011