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L'Oeil de Brutus

LA COMMISSION EUROPEENNE ENTRE DENI ET DISCOURS DE POLITBURO

20 Juillet 2012 , Rédigé par L'oeil de Brutus Publié dans #Idées

Europe

 

 

LA COMMISSION EUROPEENNE ENTRE DENI ET DISCOURS DE POLITBURO

 

 

 

Le 9 juillet 2012, Olli Rehn, vice-président de la commission européenne chargé des affaires économiques et monétaires, s’exprimait dans les colonnes du Monde pour, comme après chaque sommet européen « de la dernière chance »[i], crier victoire. Et comme après chaque sommet européen, on y retrouve le même discours confondant d’autosatisfaction, voire d’auto-persuasion, qui confine à la propagande. “Si Goebbels ressuscitait aujourd’hui, il ne pourrait qu’admirer l’habileté et l’ampleur des bobards de propagande fabriqués par ses émules modernes » avait osé affirmer l’écrivain russe Alexandre Zinoviev. Au rythme où ils vont, les eurocrates vont bel et bien finir par lui donner raison.

 

Car que trouve-t-on dans cette tribune de M. Rehn ?

« Le nouveau Mécanisme de Stabilité Européen (MES) sera en mesure de recapitaliser directement les banques, sans que ses prêts n'alourdissent encore le fardeau de la dette des pays » clame le commissaire aux affaires économiques monétaires. C’est entièrement faux. Avant le dernier sommet européen, le MES n’avait effectivement pas autorisation de se porter directement au secours des banques en difficultés. Pour ce faire, l’Etat dont les banques étaient au bord de la faillite devait dans un premier temps les renflouer puis, ses propres comptes se retrouvant eux-mêmes dans le rouge, faire appel au MES pour éviter sa propre mise en faillite. Avec le dernier accord européen, les banques peuvent sauter la case Etat et directement faire appel au MES. Sauf que l’argent du MES ne sort pas de nulle part (en particulier le MES ne peut faire appel à la création monétaire de la BCE) : ses fonds sont apportés par les Etats membres. En conséquence et en pratique, lorsque les banques espagnoles vont faire appel au MES pour se recapitaliser, ce sont tous les Etats – et donc les contribuables – de la zone euro qui en seront de leur poches. Autrement dit, lorsque le MES va apporter 100 milliards d’euros aux institutions bancaires de la péninsule ibérique, la France devra derrière assurer sa quote-part, soit une garantie de 20 milliards d’euros (l’équivalent du tiers de son budget de l’éducation nationale …), ce qui alourdira d’autant le fardeau de sa dette. Chaque contribuable français va donc prochainement faire un chèque de plus de 400€ aux banquiers espagnols. Et, conjointement à une hausse de vos impôts, on vous expliquera ensuite que le déficit abyssal de notre Etat nous contraint à faire des sacrifices sur nos services publics, nos retraites, notre système de santé, notre sécurité, notre défense, etc. … Mais tous ces sacrifices ne sont donc ils là que pour renflouer l’irresponsabilité du monde de la finance ?

 

Dans le paragraphe suivant, M Rehn nous annonce que la Commission travaille à un mécanisme de surveillance bancaire. On est heureux de l’entendre. Mais on a surtout le sentiment d’entendre une promesse d’ivrogne qui après chaque biture clame que, c’est sûr, celle là, c’était la dernière. Car la régulation des banques nous est promise depuis la faillite de Lehman Brothers en 2008. Depuis, 4 années se sont écoulées. Et qu’est-il advenu ? Pour ainsi dire rien. A été confié au comité dit « Bâle 3 » le soin d’organiser de nouvelles règles prudentielles pour les banques. Mais ce comité est essentiellement constitué de banquiers ! « Etre gouverné par l’argent organisé est aussi dangereux que de l’être par le crime organisé » disait Franklin Roosevelt. Aujourd’hui, c’est comme si nous avions confié au crime organisé le soin de légiférer lui-même les règles concernant ses propres trafics.

Comme une antienne, M. Rehn nous promet la régulation du secteur bancaire. Mais qu’a-t-il fait depuis 4 ans ? Quel est son bilan ? Car dans le même temps, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, pourtant réputés si libéraux et dépendants de leur secteur financier, ont agi. Outre-Atlantique, le Dodd-Franck Act entrera ainsi en vigueur le 21 juillet prochain. S’il ne rétablit pas entièrement le Glass Steagall Act (séparation nette des banques d’affaires et des banques de dépôt), il fait peser tout de même sur le secteur financier un certain nombre de contraintes, notamment sur la gouvernance des firmes cotées (vote des rémunérations par les actionnaires), l’encadrement des produits dérivés (qui doivent passer par des chambres de compensation) et la limitation des activités spéculatives à hauteur de 3% des fonds propres des banques[ii].

 

La Commission européen se satisfait également que « les dirigeants de la zone euro se sont engagés à utiliser efficacement les instruments qui sont déjà à leur disposition afin de stabiliser les marchés ». On est ravi de l’entendre. Auparavant, les dirigeants européens disposaient donc d’instruments pour stabiliser les marchés mais les utilisaient pas …. Mais en fait … quels sont ces instruments ? La tribune ne le précise pas ….

 

M. Rehn appelle ensuite à la « la poursuite des réformes afin de lutter contre la segmentation du marché du travail avec un examen approfondi de certains aspects de la législation sur la protection de l'emploi ». Comprenez bien entre les lignes : il s’agit bel et bien de faire sauter les réglementations de protection l’emploi. Adieu donc CDI[iii], indemnités chômage, encadrement des licenciements ? Car l’idée est bien là : pour concurrencer le travailleur chinois, il faut bien que le travailleur européen se mette à son niveau.

Ainsi donc la Commission d’un côté promet pieusement de réguler le secteur financier (et ne le fait pas) et de l’autre de déréguler l’emploi  (et on peut être sûr que s’ils le peuvent, ils passeront à l’acte : regardez la Grèce). Encore une fois, ceci est parfaitement cohérent avec les mesures d’ensemble de l’Union européenne : une Union au service des rentiers, contre les citoyens.

 

La tribune du commissaire aux affaires économiques et monétaires finit en apothéose : « La Commission veillera au respect de ces recommandations de manière régulière ». Comprenez : elle ira taper sur les doigts des vilains Etats qui ne respectent pas les dites recommandations. Mais qui est la Commission ? Qui a voté pour en élire ses membres ? Pas les citoyens. Bel exemple de démocratie. Mais ne nous leurrons pas : ces fameuses recommandations ne sont issues que des conclusions du Conseil européen, elles-mêmes édictées par les chefs d’Etats et de gouvernements. Lorsque les dirigeants français se lamentent contre les diktats de Bruxelles, ils font preuve d’une vaste hypocrisie, car les « recommandations de la Commission » ne sont issues que de conclusion de sommet auxquels ils ont participé ! Ainsi, comme le souligne Marc Laimé, François Hollande a bel et bien signé les conclusions très néolibérales du dernier sommet.

« Tel est le dilemme de la gauche : combattre ou trahir » disait Benoît Hamon, porte-parole du parti socialiste[iv]. François Hollande a clairement fait son choix. Et quand on sait qui l’entoure, ce n’est pas une surprise.

 

La déclaration de M. Rehn ne pouvait finir que sur un feu d’artifice : « Notre message est donc très clair : l'euro est irréversible et nous sommes pleinement engagés à le rendre durable pour tous ses membres ». Ainsi donc, l’euro est « irréversible » ? La Commission se prendrait-elle pour Dieu le père ? N’a-t-elle donc pas saisi que la monnaie unique n’est qu’une construction politique humaine et que jusqu’ici dans l’Histoire, aucune de ces constructions n’a été éternelle ? La Commission ferait bien de méditer la fameuse phrase de Marcel Pagnol : « Tout le monde savait que c’était impossible. Il est venu un imbécile qui ne le savait pas et qui l’a fait. »

« L’irréversibilité de l’euro » nous fait nager en pleine eschatologie néolibérale. Où sont les arguments de l’irréversibilité de l’euro tant de fois clamée ? Dans les invocations divinatoires des eurocrates. Assistant au discours de départ de la BCE de Jean-Claude Trichet, le député européen Pascal Canfin avait été interloqué par le même discours de propagande : « On se croirait au Politburo de l’Union soviétique quelques mois avant sa chute. C’est la répétition d’un même discours, du même jargon déconnecté de la réalité[v]. »

A quand la chute ?

 

 

 



[i] En attendant le prochain sommet « de la dernière chance » qui immanquablement se produira à la rentrée.

[ii] Cf. Le Monde, 17 juillet 2012.

[iii] Contrat à durée indéterminée

[iv] Benoît Hamon, Tourner la page, Flammarion 2011, cité par Ibrahim Wade, Le Règne des agences de notations, Manière de voir, mars 2012.

[v] cité par Antoine Dumini et François Ruffin, Enquête dans le temple de l’euro, Le Monde diplomatique, novembre 2011.

 

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