L'OLIGARCHIE DES INCAPABLES
L’OLIGARCHIE DES INCAPABLES
Sophie Coignard et Romain Gubert
Edition de référence : Albin Michel, 2012.
Cet article est à insérer dans une série d’articles s’appuyant sur mes notes issues des la lecture de L’Oligarchie des incapables, de Sophie Coignard et Romain Gubert. Il ne dispense bien sûr en rien de la lecture de cet excellent ouvrage qui permet de bien comprendre comment une partie significative de notre « élite » a abandonné le service du bien commun.
Retrouvez la liste des articles en bas de page.
1/ LES AUTEURS.
Sophie Coignard est grand reporter au Point. Elle s’était déjà rendu célèbre en dénonçant les dérives de la République à travers, notamment, L’Omerta française (1999) et La Nomenklatura française (1986), tous deux écrits en collaboration avec Alexandre Wickham. Elle a également mené de nombreuses enquêtes sur l’influence de la franc-maçonnerie en France.
Romain Gubert est journaliste au Point.
2/ L’OEUVRE.
L’Oligarchie des incapables dresse un portrait à charge accablant des élites françaises qui ont oublié l’intérêt général et conservent comme seul moteur une cupidité sans borne. Dans cette course effrénée à l’argent, tous les conflits d’intérêts sont bons à prendre et cette élite se comporte en prédateur, tant dans le milieu de l’entreprise qu’à travers l’Etat qu’elle ne conçoit plus que comme un moyen d’assouvir ses propres besoins, rappelant en cela L’Etat prédateur de James K. Galbraith[i]. On y relève de plus une présence très marquée des réseaux franc-maçon, là aussi uniquement à des fins personnelles. L’Oligarchie des incapables démontre bien comment l’élite française n’en est plus une mais est devenue simplement une classe dominante qui asservit l’intérêt général à ses propres intérêts, entravant toute réforme qui pourrait lui nuire et générant ainsi l’immobilisme, sans doute bien plus que le légendaire regimbement des Français aux réformes. Mais ce qui frappe sans doute le plus, c’est la complète absence d’éthique de la plupart de ses membres.
En outre, non contents de cet asservissement de l’intérêt général, les membres de l’oligarchie se montrent en bien des domaines incompétents sans pour autant que cela nuise à leur maintien au sein de l’élite dirigeante.
3/ DEVELOPPEMENT.
On pourrait croire que cette « oligarchie des incapables » a trouvé son accomplissement lors du mandat de Nicolas Sarkozy, mais il ne faut pas inverser la problématique : M. Sarkozy n’a pas mis en place une oligarchie qui tisse sa toile depuis des décennies, son rapport décomplexé à l’argent, aux réseaux et aux copinages n’est en fait qu’un symptôme du délitement du sens du service publique et l’intérêt général au profit de l’argent roi (page 9). Car aujourd’hui, « La société française est dominée plus que dirigée par une petite oligarchie, sûre d’elle, qui ignore en général ce qui se fait à l’étranger, qui mouline toujours les mêmes projets de réformes en cherchant un ministre crédule pour les porter et qui, malgré ses discours pontifiants, ne sait plus gouverner ».C’est ce qui explique que l’Etat se retrouve en quasi-faillite, que les principales administrations sont en situation de blocage et surtout que les Français en viennent à se décourager de leurs dirigeants. Au centre de toutes ces dérives : la passion de l’argent-roi (page 10).
Dans les années 60, le sociologue Charles Willis différenciaient trois types d’élite dans la société : économique, politique et militaire. Pour que la société fonctionne, il faut que les intérêts de ces trois élites ne soient pas mêlés et qu’elles se contrôlent l’une l’autre afin d’assurer un équilibre au fonctionnement de la démocratie. Aujourd’hui, les communicants ont remplacé les militaires mais surtout les trois élites se sont mélangés mettant à bas tout système de contrôle entre elles et remettant gravement en cause l’équilibre démocratique (pages 10-11).
L’élite française est de plus confrontée à une grave tare : son incapacité à se renouveler qui fait que, endogame, elle est de plus en plus coupée du peuple (page 12).
La logique de réseau est omniprésente au sein du fonctionnement de la société française. Le problème est que cette logique de réseau n’est en rien faite pour servir l’intérêt général. Ainsi, par exemple, le recteur de l’Académie de Paris (pour bien placer ses enfants) et le directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) (pour bénéficier des meilleurs soins) sont parmi les hauts responsables de l’administration les plus sollicités pour obtenir des faveurs (pages 15-16).
Lorsqu’il s’agit de fiscalité, cette logique de réseau fonctionne bien sûr à plein. Ainsi, jusqu’en septembre 2010 existait au sein du ministère du budget une cellule spéciale pour les gros contribuables ayant des démêlés avec le fisc. Lorsqu’Eric Woerth était ministre, Patrice de Maistre n’hésitait pas à y faire appel pour ses amis (voir dans les prochains articles). Cette cellule aurait également été fort utile pour Karl Lagerfeld¸ proche de Dominique Strauss-Khan, lorsque ce dernier était ministre (pages 25-26).
Pour retrouver les autres articles sur L'Oligarchie des incapables : cliquer ici.
[i] James K. Galbraith, L’Etat prédateur, Seuil 2009. Ma fiche sur cet ouvrage : http://loeildebrutus.over-blog.com/article-l-etat-predateur-79729723.html