L’INSOUTENABLE LEGERETE DE L’ETRE
L’INSOUTENABLE LEGERETE DE L’ETRE
Milan Kundera
Edition de référence : Folio, 2009.
1/ L’AUTEUR.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Milan_Kundera
2/ L’OEUVRE.
L’insoutenable légèreté de l’être est ouvrage bouleversant sur la complexité de la vie. Kundera y développe les multiples facettes de l’existence autour d’un drame majeur : le conflit entre la pesanteur du corps terrestre et la légèreté de l’âme céleste, à tel point que parfois cette dernière s’absente – et alors nous redevenons une bête –, tandis que lorsque, par instant, l’âme se détache du corps nous nous retrouvons dans une espèce d’apesanteur, entre ciel et terre. Et ce sont les sentiments les plus forts qui révèlent cette dualité de l’être (page 64). Peut-être alors le paradis (ou le bonheur) serait-il de trouver le moyen d’abandonner cette dualité (page 432) ?
Cette dualité se retrouve également dans l’attachement ou le non attachement aux principes. Dans sa pesanteur, l’être se raccroche à des principes (en général moraux et extérieurs à son individualité) pour conserver un sens à sa vie. A contrario, lorsque l’être s’attache à la légèreté, il refuse les principes (à la limite même les siens) pour se consacrer à la jouissance de son âme : à l’extrême, il en devient un pur individu hédoniste (comme Sabina dans le roman).
3/ DEVELOPPEMENT.
Kundera introduit son œuvre sur une interrogation : l’éternel retour ou le recommencement de l’histoire (ou plutôt des histoires). Cet éternel retour, est et surtout doit, absolument être un leurre : s’il existait, tout serait écrit d’avance (et donc pardonné) et en conséquence tout serait cyniquement permis (page 14). Mais alors, si tout est vécu une unique fois et sans préparation, que peut valoir la vie ? Une sorte d’esquisse qui ne deviendra jamais un tableau (page 20). La vie humaine n’a donc lieu qu’une seule fois et nous ne pourrons jamais vérifier que les décisions que nous avons prises étaient les bonnes (le regret est donc un sentiment vain) : nous ne décidons qu’une seule fois (page 321). Ce qui constitue donc le malheur de l’homme c’est son incapacité à accepter que les évènements qu’il a appréciés ne se répéteront pas : le temps est une ligne droite, pas un cercle (page 434). Dans cette suite d’évènements uniques et impréparés, l’homme doit donc en saisir la beauté pour transcender sa vie (pages 80-82) et sortir simultanément de la gangue générée par la facilité qui consiste à se réfugier derrière la communauté (rêve de Tereza, page 89, cf également Jonathan Livington, Le goëland) et de la croyance en la répétition des évènements heureux.
Kundera définit l’amitié érotique comme une relation dépourvue de sentimentalité, en conséquence de quoi, aucun des partenaires ne s’arroge de droit sur la liberté de l’autre (page 25).
Selon la racine étymologique, la compassion peut avoir deux significations (page 37) :
- en latin : la « co-souffrance », qui relève de la pitié et est donc incompatible avec l’amour ;
- en allemand, tchèque et en suédois : le « co-sentiment », c’est-à-dire le partage de tous les sentiments (positifs comme négatifs) par une sorte de « télépathie des émotions ». Cette compassion-là est le sentiment suprême, qui permet l’amour.
Franz, l’un des personnages du roman, conçoit l’amour de manière symétriquement opposée à la vie publique : dans celle-ci on ne se livre jamais totalement, tandis que l’amour consiste à entièrement s’abandonner à l’autre (page 125).
La valeur du langage est intrinsèquement liée au vécu de son émetteur : suivant les évènements passés qu’il rappelle, un mot n’aura pas le même sens d’une personne à l’autre. Ainsi, plus nous écrivons « la partition de notre vie », plus le langage nous éloigne les uns des autres (page 132).
Sabrina pratique la trahison (ou plutôt la transgression) par principe : c’est ce qui lui permet d’échapper à la lourdeur de son corps (puisque rien l’attache sur Terre : elle trahit tout) pour privilégier la légèreté de son âme (page 178). C’est une manière pour elle de tenter d’échapper à son « es muss sein » (« il le faut » : la fatalité de la vie), mais du coup cela devient de fait son « es muss sein » !
Guérir (et probablement également enseigner) est le plus beau et le plus grand des métiers, car il nous rapproche du divin, mais du coup il est également sacrilège et ceux qui le pratique ne le font peut-être pas par pur altruisme mais au contraire par ambition de se prendre pour Dieu (« l’égoïsme mère des générosités » ?) (page 278). Néanmoins, lorsqu’il se retrouve interdit d’exercer la médecine, Tomas apprécie les petits métiers « sans importance » : cela lui redonne de la légèreté et st une forme d’échappatoire à son « es muss sein » (page 282).
Les êtres humains se ressemblent tous, seule une infime parcelle les distingue. Et, pour garder notre originalité, notre sentiment que nous sommes bien uniques, nous masquons cette parcelle. La sexualité serait alors le meilleur moyen pour accéder à cette parcelle de l’autre. C’est pour cela que Tomas couche (une seule fois) avec le maximum de femmes (et les plus originales possibles) : pour découvrir et additionner le maximum de parcelles originales. C’est là encore une quête de divin (page 287). C’est donc pour cela que lier la sexualité à l’amour est une bizarrerie de la Création. Sur ce point, Tomas envisage une perspective particulièrement singulière : rechercher des motifs d’excitation les plus éloignés possibles de l’amour (par exemple une hirondelle ….) (page 341).
Les hommes qui poursuivent une multitude de femmes peuvent se répartir en deux catégories (pages 289-290):
- Les romantiques qui cherchent à trouver une femme qui se sera leur miroir, l’exact jumeau de leur parcelle originale. Bien évidemment cette quête est chimérique et les romantiques sont condamnés à une fuite en avant, une frustration croissante, qui les amène à conquérir de plus en plus de femmes, croyant que chacune d’elle le rapproche un peu plus de sa jumelle.
- Les libertins ne cherchent qu’à découvrir le maximum de parcelles de l’autre. Ils sont d’intarissables curieux de la nature humaine, ce qui les amène à rechercher des femmes de plus en plus singulières.
Kundera mène une profonde réflexion sur la merde (pages 349-356). C’est d’abord une réflexion théologique : Dieu produit-il des excréments ? Car s’il n’en produit pas, l’homme n’est pas à son image. Ensuite, que nous vaut notre dégoût pour la merde ? Est-ce inné ou le fruit d’un apprentissage social ? La merde, en fait, est le rappel de notre nature immonde, de notre déchéance suite au bannissement du Jardin d’Eden, et c’est pour cela que nous la cachons comme nous avons appris à cacher notre sexe depuis que Dieu nous a chassés du paradis terrestre. Comme l’amour sexuel consiste à offrir à autrui ce que nous cachons perpétuellement aux autres, il est un fait, selon Kundera, l’autre versant de la merde. Il est en outre une autre profonde contradiction dans la religion : elle nous apprend que procréer est une bonne chose puisqu’elle reproduit l’être qui, issu de Dieu, est bon (ce que Kundera appelle l’accord catégoriel avec l’être) ; pourtant elle nous enseigne aussi à masquer l’acte sexuel (comme la merde). Finalement, l’accord catégoriel avec l’être entraîne un idéal esthétique dans lequel la merde est niée, dans lequel chacun se comporte comme si elle n’existait pas. Pour Kundera, cet idéal esthétique est le kitsch. De par son refus d’admettre l’existence d’une partie de la nature humaine, le kitsch est irrationnel : « au royaume du kitsch s’exerce la dictature du cœur » (page 361). Or, en tant qu’expression du cœur, le kitsch se veut partage avec les autres ; il cherche donc à s’étendre à toute l’humanité et c’est ce qui lui donne une tendance totalitaire (page 363). Le kitsch cherche à imposer un homme qui n’existe pas, tout en jetant un voile de pudeur sur la partie de l’homme que nous refusons de voir.
Kundera définit quatre grandes catégories de personnes selon le type de regard sous lequel elles veulent vivre (pages 395-396)
- la première cherche le regard du maximum de personne : le regard du public ;
- la seconde cherche le regard d’un maximum de personnes familières ;
- la troisième recherche le regard de l’être aimé ;
- la quatrième – la plus rare – recherche le regard imaginaire d’êtres absents : ce sont les rêveurs.
4/ CITATIONS.
AMBITION
« Celui qui veut continuellement « s’élever » doit s’attendre un jour à avoir le vertige. »
Page 93.
AMOUR
« Si l’excitation est un mécanisme dont se divertit le Créateur, l’amour est au contraire ce qui n’appartient qu’à nous et par quoi nous échappons au Créateur. L’amour, c’est notre liberté. L’amour est au-delà de l’ « es muss sein ». »
Page 341.
« Si nous sommes incapables d’aimer, c’est peut-être parce que nous désirons être aimés, c’est-à-dire que nous voulons quelque chose de l’autre (l’amour), au lieu de venir à lui sans revendication et ne vouloir que sa simple présence. »
Page 433.
AMOUR INOUBLIABLE
« Pour qu’un amour soit inoubliable, il faut que les hasards s’y rejoignent dès le premier instant comme les oiseaux sur les épaules de saint François d’Assise. »
Page 77
AMOUR / SOMMEIL
« L’amour ne se manifeste pas par le désir de faire l’amour (ce désir s’applique à une innombrable multitude de femmes) mais par le désir du sommeil partagé (ce désir-là ne concerne qu’une seule femme). »
Page 29.
BEAUTE
« L’homme, guidé par le sens de la beauté, transforme l’évènement fortuit en un motif qui va ensuite s’inscrire dans la partition de sa vie. Il y reviendra, le répétera, le modifiera, le développera comme fait le compositeur avec le thème de la sonate. »
Page 81
« La beauté est un monde trahi. On ne peut la rencontrer que lorsque ses persécuteurs l’ont oubliée par erreur quelque part. »
Page 162.
BONTE
« La vraie bonté de l’homme ne peut se manifester en toute pureté et en toute liberté qu’à l’égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l’humanité, ce sont ses relations avec ceux sui sont à sa merci : les animaux. Et c’est ici que s’est produite la faillite fondamentale de l’homme, si fondamentale que toutes les autres en découlent. »
Page 421.
COMPASSION
« Il n’est rien de plus lourd que la compassion. Même notre propre douleur n’est pas aussi lourde que la douleur consentie avec un autre, pour un autre, à la place d’un autre, multiplié par l’imagination, prolongée dans des centaines d’échos. »
Page 53.
FEMME / CONQUETE
« C’était donc non pas le désir de volupté (la volupté venait pour ainsi dire en prime) mais le désir de s’emparer du monde (d’ouvrir au scalpel le corps gisant du mondeà qui le jetait à la poursuite des femmes. »
Page 288.
GAUCHE
« Ce qui fait d’un homme de gauche un homme gauche ce n’est pas telle ou telle théorie, mais ca capacité à intégrer n’importe quelle théorie dans le kitsch appelé Grande Marche. »
Page 374.
HISTOIRE
« L’histoire est tout aussi légère que la vie de l’individu, insoutenablement légère, légère comme un duvet, comme une poussière qui s’envole, comme un chose qui va disparaître demain. »
Page 322.
INFINI
« Quoi cherche l’infini n’a qu’à fermer les yeux. »
Page 140.
MEMOIRE POETIQUE
« Il semble qu’il existe dans le cerveau une zone tout à fait spécifique qu’on pourrait appeler la mémoire poétique et qui enregistre ce qui nous a charmés, ce qui nous a émus, ce qui donne à notre vie sa beauté. »
Page 299.
METAPHORE
« Les métaphores sont une chose dangereuse. On ne badine pas avec les métaphores. L’amour peut naître d’une seule métaphore. »
Page 23.
MOI
« L’unicité du « moi » se cache justement dans ce que l’être humain a d’inimaginable. »
Page 286.
TOTALITARISME
« Ceux qui pensent que les régimes communistes d’Europe centrale sont exclusivement la création de criminels laissent dans l’ombre une vérité fondamentale : les régimes criminels n’ont pas été façonnés par des criminels, mais par des enthousiastes convaincus d’avoir découvert l’unique voie du paradis. »
Page 254.
TRAHISON
« La première trahison est irréparable. Elle provoque, par réaction en chaîne, d’autres trahisons dont chacune nous éloigne de plus en plus du point de la trahison initiale. »
Page 137.