l’éthique de la besogne dans le protestantisme ascétique (L’ETHIQUE PROTESTANTE ET L’ESPRIT DU CAPITALISME 3/6)
L’ETHIQUE PROTESTANTE ET L’ESPRIT DU CAPITALISME
Max Weber
Plon, 2009.
On déplore souvent, à raison, l’imposition généralisée et mondialisée des normes anglo-saxonnes (économie, justice, sécurité, culture, etc.). Mais il est un domaine qui est quasiment toujours oublié : les normes morales. Max Weber, dont les écrits ont pourtant plus d’un siècle, permet d’obtenir une grille de lecture très pertinente sur la dimension morale, et surtout moralisatrice, de la crise actuelle et du comportement des pays dit « vertueux » à l’égard des « cigales », comme de celui des plus riches à l’égard des plus modestes. On retrouve donc ci-après les notes que j’ai pu prendre à la lecture de cet ouvrage.
l’éthique de la besogne dans le protestantisme ascétique
Max Weber distingue quatre sources principales du protestantisme ascétique (page 105) :
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Le calvinisme ;
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Le piétisme ;
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Le méthodisme ;
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Les mouvements baptistes.
Dans le premier, le calvinisme, le dogme le plus caractéristique est la prédestination (page 109), qu’illustre parfaitement la Confession de foi de Westminster de 1647i (page 111) :
« Chapitre IX (du libre arbitre), n°3 – Par sa chute dans l’état de pêché, l’homme a complètement perdu la capacité de vouloir un quelconque bien spirituel lié à son salut. De sorte qu’un homme naturel étant entièrement détourné de ce Bien, et condamné au péché, ne saurait de son propre fait se convertir ni même se préparer à la conversion.
Chapitre III (des décrets éternels de Dieu), n°3 – Par décret de Dieu, et pour la manifestation de sa gloire, tels hommes […] sont prédestinés à la vie éternelle, tels autres voués à la mort éternelle. »
Ce traitement de la prédestination met en exergue une divergence majeure entre Luthériens et Calvinistes. Les premiers se montrent plus souples (la Grâce peut être perdue mais aussi retrouvée par le chemin de la Rédemption (pages 113-114)) et donc dans la lignée du Nouveau Testament, tandis que les seconds accordent autant d’importance à l’Ancien qu’au Nouveau Testament (les deux sont authentiquement révélés) (page 141), s’attachent à l’idée d’une puissance divine transcendant la vie (page 114) et pour eux il semble évident qu’une partie de l’humanité sera sauvée et l’autre damnée (page 115). Les Calvinistes en arrivent ainsi à une abolition absolue du salut tant par l’Eglise que par les sacrements, à tel point que les plus extrémistes d’entre eux en arrivent à considérer que les enfants de « réprouvés » (par exemple les ivrognes) ne doivent pas être baptisés (page 117)ii.
Le puritanisme relève donc d’une transcendance absolue de Dieu et en conséquence rejette comme futile tout ce qui a rapport à la chair et place l’homme en situation d’isolement intime. Il en devient donc imperméable à la sensibilité, aux émotions et surtout s’avère être à la racine d’un individualisme pessimiste et sans illusion(page 118). Cette foi en la prédestination entraine le rejet de toute forme d’entraide : si le pauvre est pauvre, c’est que Dieu l’a voulu, par conséquence le sortir de la pauvreté c’est aller contre la volonté de Dieu (page 119).
Dans ce système individualiste, la notion de « l’amour du prochain » - fondamentale dans les Evangiles – revêt, par rapport au catholicisme une connotation particulière : l’amour du prochain ne vaut que dans l’amour de Dieu, or celui-ci exige que l’on se consacre à sa vocation – Beruf–, celle-ci rejoint donc l’amour du prochain dans l’exercice de sa profession qui sert la collectivitéiii. Cela induit alors « l’aspect proprement objectif et impersonnel d’un service effectué dans l’intérêt de l’organisation rationnelle de l’univers social » (page 123) mais permet également d’éluder tout problème de théodicée et tout questionnement sur le sens de l’univers et de l’existence (page 124)iv.
Par ailleurs, face à la prédestination, Max Weber relève deux types de comportements (non exclusifs l’un de l’autre mais bien au contraire liés l’un à l’autre) (pages 127-128) :
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Se considérer comme faisant partie des élus est un devoir, car une confiance en soi insuffisante dénoterait une foi insuffisante ;
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L’exercice sans relâche du travail est alors la marque de cette confiance en soi et donc de sa propre foi.
Aussi, le calvinisme n’exige-t-il pas une collection de bonnes œuvres isolées (car il n’y a pas de pénitence, pas de rédemption) mais une vie toute entière de bonnes œuvres (par le travail) érigées en système (page 134). Or si toute la vie est érigée en système et que la réussite de ce système ne peut être que la gloire de Dieu, alors ce système exige d’être rationalisé(page 135). L’ascétisme puritain est donc un ascétisme individuel et rationnel qui érige le contrôle de soi et le rejet des émotions en vertus fondamentales (page 137). En pratique, la Réforme supprime l’ordre monacal tout simplement parce qu’elle considère que tout le monde doit être moine (page 139), et elle substitue « l’aristocratie spirituelle » des moines par une élite de saints prédestinés de toute éternité mais non formalisée (page 140). Pour ces élus, le devoir n’est de plus pas d’être charitable et secourable à l’égard des autres, mais bien au contraire de mépriser ces damnés, maudits par Dieu (page 140).
Cet ensemble doctrinal permet donc de comprendre comment la pratique des Indulgencesa été un profond motif de rejet de l’Eglise catholique pour les Réformistes : elle heurte frontalement la notion de prédestination et, pour le Réformiste, est la preuve que les Catholiques vont à l’encontre de la volonté de Dieu, Qui, quoiqu’il en soit, a déjà fait le choix des élus et des damnés (pages 138-139).
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i Cette Confession est la base doctrinale des Eglises d’Angleterre et d’Ecosse ainsi que de toutes les Eglises presbytériennes à travers le monde.
ii Dans l’inconscient social, cette différence est aujourd’hui flagrante entre, d’une part Scandinaves et Allemands – majoritairement luthériens – qui acceptent l’Etat-providence et Anglo-saxons – majoritairement puritains et donc proches du calvinisme – qui tendent à le rejeter.
iii On comprend alors ici le pourquoi du succès de la théorie de la « main invisible » d’Adam Smith, qui paradoxalement transforme l’égoïsme en amour du prochain.
iv Si l’exercice de mon travail va dans le sens de l’œuvre de Dieu, plus je rationalise celui-ci, plus il est efficace, plus il rapporte, plus je sers Dieu ; nul besoin alors de me poser d’autres questions.