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L'Oeil de Brutus

L'ARNAQUE DU CALCUL DE L'INFLATION (partie 2/2)

30 Novembre 2012 , Rédigé par L'oeil de Brutus Publié dans #Idées

 

images-copie-4PARTIE 2

 

 

 Retrouver la première partie de cet article : cliquer ici.

 

 

 

 

 

 

 

Le vif du sujet : la part des différentes dépenses dans le calcul de l’inflation

 

Le site de l’INSEE permet d’avoir accès la courbe suivante d’évolution de l’inflation de ces douze dernières années :

 

Diapositive1-copie-3.JPG

 

En première approche, on se dirait donc que la BCE a bien son travail : l’inflation demeure maîtrisée et inférieure à 2%. Mais il faut aller plus loin. Car lorsque l’on trouve les coefficients de pondération utilisés on peut être estomaqués :

Diapositive2.JPG

 

 

Vous lisez bien : la part des loyers dans les dépenses des ménages est évaluée à 5,9% (Voir remarque en bas de page) (autant que les restaurants et à peine plus que l’ameublement ou l’habillement). Pourtant, l’association nationale d’information sur le logement l’évaluait en 2008 à 34% pour les ménages parisiens[i], et avec la crise économique, il est plus que probable que ce taux a largement augmenté. Pour l’ensemble de la France, la commission des comptes du Logement l’évalue à 22,3 % en 2010[ii]. Bref, on peut multiplier les statistiques : le quota pris en compte par l’INSEE est à mille lieux de la réalité et en frise le ridicule. Les dépenses énergétiques (Electricité, gaz, fioul) sont du même registre. Et évidemment, pour compenser cela, d’autres dépenses (santé, loisir, restaurant, habillement, ameublement, services récréatifs, « autres dépenses[iii] ») sont artificiellement gonflées.

Prenons le cas d’un ménage gagnant 30 000€ par an, c’est-à-dire composé d’un couple (avec ou sans enfants) dont les deux conjoints travaillent à un salaire légèrement au-dessus du SMIC, ce qui doit correspondre peu ou prou à la situation médiane des ménages français[iv]. Dans ce cadre là, et en prenant le modèle de l’INSEE, leurs dépenses annuelles seraient  :

Diapositive3.JPG

 

Là encore, vous avez bien lu. Notre ménage médian s’est trouvé un logement à 147€/mois (même les marchands de sommeil ne doivent être guère en-dessous) et par contre se paye le luxe de dépenser 1770€ par an en restaurants, 1410€ en fringues et pour 1710€ de meubles … Le modèle de calcul de l’inflation de l’INSEE ne colle donc bien sûr absolument pas au mode de vie de ce ménage médian, ni même à celui de l’immense majorité des Français. Mais alors pour qui un tel modèle pourrait-il être indicatif ? Pour ceux qui sont propriétaire de leurs logements et ne payent plus (ou presque plus) de crédits dessus et dont l’importance des revenus leur permet d’en consacrer une part substantielle aux dépenses qui ne sont pas de premières nécessités. C'est-à-dire même pas les classes moyennes supérieures en activité (qui le plus souvent ont acheté leur logement à crédit), mais les classes moyennes supérieures à la retraite (qui ont finit de payer leur crédit) et surtout la frange la plus riche, les fameux 1% de Joseph Stiglitz[v] (nous y reviendrons plus bas).

 

Néanmoins, l’INSEE met à disposition un simulateur qui permet de définir soi-même la répartition de ses dépenses. On peut donc effectuer une simulation en prenant des critères qui se rapprocheraient davantage de la réalité. Ce qui donne ceci[vi] :

Diapositive4.JPG

 

La différence est déjà plus que sensible (presque un point, soit 40% d'écart ...).

Mais maintenant prenons un ménage dont le bas niveau de revenus ne leur permet de ne se consacrer qu’à l’essentiel : alimentation et loyer tout en étant chauffer par une vieille chaudière au fuel[vii](que l’on ne retrouve plus que dans les logements à bas coûts, donc pour les plus démunis …) :

Diapositive5.JPG

 

Avec cette simulation, les courbes explosent : l’inflation devient le double de celle annoncée par l’INSEE, et même encore plus sur les douze derniers mois (+5,5%).

 

 

Qu’en retenir ?[viii]

Premier élément à prendre en compte : les minimas sociaux et une grande partie des salaires sont indexés sur l’inflation calculée par l’INSEE, inflation pour laquelle nous avons vu qu’elle était clairement sous-évaluée pour les bas revenus. La conclusion est donc claire : pour tous les bas revenus, le pouvoir d’achat s’est clairement détérioré ces douze dernières années. Mais il faut aller plus loin : en pratique, le taux d’inflation publié par l’INSEE n’est valable que pour les plus riches alors même que, comme le montre l’Observatoire des inégalités[ix], leurs revenus ont le plus augmenté ces dernières années. En résumé : pour les pauvres, les revenus stagnent et les prix montent ; pour les riches, les revenus montent et les prix stagnent.

 

 

En général, on a tendance à considérer que l’inflation s’applique à tous, profite à certains (en particuliers ceux qui sont endettés, car leur créances y perdent de leur valeur) et font le malheur d’autres (les épargnants et les rentiers qui voient leurs bas de laine fondre). La politique monétaire menée par la BCE – car après tout c’est bien elle qui, de part ses statuts, est responsable du niveau de l’inflation – a réussi le tout de force de créer une inflation à discrimination négative : l’inflation pour les dépenses et la déflation pour leurs salaires pour les plus pauvres, et effet inverse pour les plus riches.

Rien d’étonnant à cela lorsque l’on regarde les choix faits par la zone euro : La BCE émet à des taux très bas quasiment depuis sa création, ce qui permet aux banques privées d’emprunter à des taux quasiment nuls. Mais derrière ces banques, il y a, tout simplement, des gens qui peuvent donc bénéficier du crédit facile et pas cher. La maxime est bien connue : on ne prête qu’aux riches. Les pauvres, quant à eux, n’ont pas accès, par exemple au crédit immobilier, et se trouvent cantonnés au crédit à la consommation à des taux prohibitifs (pour le coup bien au-dessus de l’inflation réelle à laquelle ils sont soumis), rappelant en cela, certes dans une moindre mesure mais dans le même esprit, l’escroquerie des subprimes américaines.

Cet énorme afflux d’argent facile permet également à  d’autres de jouer au casino boursier avec multiples effets de levier et autres créations de dérives divers et variés, procurant ainsi des rendements phénoménaux aux fonds spéculatifs et autres hedge fonds derrière lesquels se cachent … de riches rentiers. Ironie de la chose, c’est ce même afflux d’argent qui alimente les bulles spéculatives qui ont amené la crise que nous connaissons, mais aussi qui encourage les investissements dans l’immobilier, tirant donc les prix vers le haut et faisant que les plus modestes payent des loyers plus chers.

 

 

Rajouter à cela un système fiscal[x] qui marche sur la tête en demandant aux plus pauvres et aux classes moyennes de payer, proportionnellement à leurs revenus, bien plus que leur très riches[xi], et vous aurez définitivement l’impression (bien réelle celle-là, pas comme l’inflation mesurée par l’INSEE), que décidemment çà ne tourne pas rond. Car ce n’est pas le dernier des paradoxes : contraint par la doxa néolibérale de l’Union européenne, l’Etat ne peut emprunter qu’auprès des marchés (et non à taux nul ou très faible auprès de la banque centrale comme le font … les banques privées !) et se retrouvent à payer des intérêts aux marchés, donc aux banques, donc aux plus riches rentiers. Les impôts majoritairement levés sur les plus modestes et les classes moyennes servent donc à rémunérer les intérêts de ces rentiers. En 2011, ce sont plus de 50 milliards d’euros que la France a consacré au paiement des intérêts de sa dette (quasiment autant que le budget de l’éducation nationale). 50 milliards essentiellement pris dans la poche des travailleurs modestes et des classes moyennes pour servir des rentiers (dont la majorité ne réside pas en France).

En fait, tel qu’il est bâti et surtout tel qu’il est instrumentalisé, le système actuel aboutit à une redistribution des richesses à l’envers, une prédation, de la même manière que l’a relevé Joseph Stiglitz aux Etats-Unis[xii] : les 1% les plus riches s’accaparent les richesses des 99%.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Note suite à une discussion avec un lecteur qui me faisait remarquer que l'INSEE parle de coefficient de pondération (dans les pourcentanges attribué à chaque chapitre de dépenses), et non de proportion des dépenses dans le budget total des ménages. Ce n'est effectivement théoriquement pas la même chose.
Par exemple, les 5,9% attribués au loyer sont censés reflétés l'importance que les ménages donnent au loyer dans le calcul de leur budget (comme par exemple au bac S, on donnera une coefficient de pondération aux maths puisque l
'on considère que cela est plus important dans cette filière).
Le fait est, néanmoins, que l'importance que l'on attribue à une dépense - son coefficient de pondération - risque fort de correspondre, peu ou prou, au pourcentage qu'elle occupe dans le budget total. Ainsi, sur l'exemple pris (les loyers), seul un ménage déjà propriétaire et sans crédit, considérera que ses dépenses de logement sont de faible importance (puisque c'est acquis), et donc lui affectera un faible coefficient de pondération (voir un coefficient nul), ce qui correspond à la réalité de ses dépenses en pourcentage.
A contrario, un ménage qui se préoccupe essentiellement de savoir comment il va payer le loyer, les courses et la facture EDF (c'est à dire la grande majorité des ménages français) leur affectera un coefficient important, qui correspondra peu ou prou au pourcentage de dépenses puisque ce sont pour lui les factures les plus difficiles à régler et les plus essentielles à son existence.
 

 

 



[iii] On aimerait en savoir plus sur le détail de ces « autres dépenses », qui sont tout de même le premier chapire de dépenses des ménages (!), mais l’INSEE conserve secret le détail de ses calculs. ro

[iv] En France, le revenu médian est de l’ordre de 1600€/mois. Le revenu médian est calculé de manière à ce que la moitié de l’échantillon y soit inférieure, et l’autre moitié supérieure. Il est généralement plus révélateur que le revenu moyen qui peut être distordu par des effets de masses à l’une ou l’autre des extrémités (par exemple un très grand nombre de personnes gagnant peu pendant qu’un petit nombre gagne des sommes astronomiques).

[v] Lire Joseph Stiglitz, Le Prix de l’inégalité,  Les Liens qui libèrent 2012.

[vi] Pour un ménage consacrant l’essentiel de ses ressources à l’alimentation (30%), le loyer (40%), se chauffant au gaz et utilisant la voiture pour se déplacer, tout en conservant de quoi renouveler à minima sa garde robe (1% soit pour notre ménage médian, 300€/an) et son mobilier (1%) et de quoi faire quelques extras : restaurant (0,6% soit pour le ménage médian 180€, de quoi faire 4 ou 5 restaurants dans l’année), bien durables de loisirs (0,4% soit 120€ pour le ménage médian, de quoi changer son ordinateur tous les 5 ans), service récréatifs-culturels (0,1% soit 30€ pour le ménage médian, 3 tickets de cinéma).

[vii] Données retenues : alimentation 28%, loyers 50%, eau 1,5%, électricité 1,5%, fuel 19%, assurances 0,3%, toutesles autres données à 0.

[viii] On pourra également lire l’excellent article de Stanislas Jourdan, L’inflation : un objet économique mal identifié, Atlantico.fr, 13/06/2012.

[ix] L’évolution des inégalités de revenus en France, L’Observatoire des inégalités, 12/01/2012.

[x] Lire Thomas Piketty, Camille Landais, Emmanuel Saez, Pour une révolution fiscale, Seuil 2011. Ma fiche sur cet ouvrage : http://loeildebrutus.over-blog.com/article-pour-une-revolution-fiscale-75061097.html. Voir également Pour une réforme radicale de la fiscalité.

[xi] Contrevenant en cela l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

[xii] Lire Joseph Stiglitz, Le Prix de l’inégalité,  Les Liens qui libèrent 2012.

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E
J'apprécie votre blog , je me permet donc de poser un lien vers le mien .. n'hésitez pas à le visiter. <br /> Cordialement
Répondre
A
Bravo. Le loyer est la principale dépense qui constitue 70% jusque à 100% des revenus d'un ménage.<br /> Un loyer d'un studio à Paris est entre 800 et 1200 euros. Le smic est à 1100 euros.<br /> Et ces imbéciles de INSEE parlent de 5,9% des revenus. Quel scandale. Ils mettent la tête comme l'autruche sous le sable.
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B
Merci pour cet éclairage facile d'abord. Tout ça mène à un Livret Bleu à 1.25% d'intérêts : les (très) petits épargnants sont, une fois de plus, les dindons de la farce. Et les Français les plus riches ont vu leur (immense) fortune augmenter de 25% en un an. Quand tout cela va-t-il exploser ?
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L
Quand par nos votes nous arrêterons de cautionner les deux partis libéraux, le PS et l'UMP, qui ont mis en place un tel système.
Z
Il est plus que temps de s'offusquer de ce que la BCE décide, HORS de tout contrôle démocratique, de maintenir basse l'inflation au lieu de la laisser corriger une situation économie/finance de plus en plus déséquilibrée. Cela revient à se créer une dette qui enfle à un niveau quasi américain, et qui finira comme les USA : par la ruine.<br /> Cet abandon de souveraineté des Etats au profit de la BCE a été un véritable putsch en faveur de la finance.
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Z
Au passage, merci pour cette lecture éclairée et éclairante...
L
Je suis bien d'accord. D'autant plus que le maintien à bas niveau de l'inflation n'est que superficiel : comme je le souligne dans cet article, l'inflation des produits de consommation courante, nécessaires aux moins âgés, est bien supérieure aux 2% annoncés.<br /> Amicalement.