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L'Oeil de Brutus

ETHIQUE DE LA RESPONSABILITE[1] : REDEFINIR LA CORRUPTION …

12 Février 2011 , Rédigé par L'oeil de Brutus Publié dans #Idées

 

Corrompre : engager une personne investie d’une autorité à agir contre les devoirs de sa charge, soudoyer. (Petit Larousse 2005).

 

« Il n’y a que deux péchés en politique : ne défendre aucune cause et n’avoir pas le sentiment de responsabilité. »

Max Weber.

 

« Ce qui sépare la démocratie du populisme, c’est l’acceptation par la peuple de la nécessité d’une élite en laquelle il a confiance. »

Emmanuel Todd, Après la démocratie.

 

 

… ou plutôt revenir à sa définition radicale. Les récents déboires de notre premier ministre et de sa ministre des affaires étrangères éclairent d’une lumière obscure les pratiques de nos élites gouvernantes. Additionnés aux différents affairismes, tel l’affaire Bettencourt, ces éléments donnent la désagréable impression d’une « classe de Davos » qui dirige la planète plus ou moins au mépris de leurs gouvernés, et se satisfait de « petits arrangements entre amis » : « […] (Le) pouvoir public appartient à une oligarchie et […] son activité est clandestine en fait, puisque les décisions essentielles sont toujours prises dans la coulisse. »[2]. Couplé au sentiment que cette classe endogame se ferme aux communs des mortels[3], quelles que soient les qualités intrinsèques et la valeur du travail, cette dérive porte en elle un gène puissamment révolutionnaire : une immense majorité populaire « mondiale » qui s’opposerait à une élite décadente et imbue de ses privilèges. Un 1789 planétaire[4]. Et ce d’autant plus que cette élite ne semble tirer sa légitimité que d’un renouvellement endogame lié à la professionnalisation de la politique et au cumul des mandats, prenant donc tous les atours d’une aristocratie d’Ancien régime en fin de règne.

Mais ne jetons pas si vite la pierre au gouvernement actuel. Après tout, les réactions de l’opposition (comme celles internes au parti du gouvernement) aux différents scandales se sont avérées relativement molles, alors qu’en d’autres temps le moindre soupçon d’affaires à la Stavisky faisait chuter les gouvernements. N’oublions pas que le scandale lié à la candidature du fils Sarkozy à l’EPAD est né de réactions citoyennes sur la Toile tandis que l’opposition élue comme les médias étaient, tout du moins au départ, aux abonnés absents.

C’est donc que ces pratiques honteuses se sont généralisées au moins à tous les partis de gouvernement. Les collusions de M Fillon ou de Mme Alliot-Marie avec les Ben Ali et autres Moubarak ne font qu’écho aux mêmes collusions entretenues par les socialistes en leurs temps au pouvoir, ou encore à la proximité de ces derniers avec M Gbagbo[5]. On pourrait faire les mêmes parallèles avec les financements douteux des partis politiques ou encore les occupations simultanées de postes à responsabilités divergentes pudiquement qualifiées de « conflits d’intérêts ».

Dans cette fausse pudeur réside déjà une des racines majeure du problème. Appelons un chat un chat : un élu qui accepte des avantages en nature ou qui consent à occuper des responsabilités manifestement incompatibles avec son mandat est un élu corrompu, rien d’autre. Ne nous focalisons pas que sur les lampistes de service. Des pratiques se sont généralisées : des échanges d’amabilités, des facilités, les petits cadeaux ne sont pas de l’argent sonnant et trébuchant, mais il en revient au même : adoucir la volonté de l’interlocuteur et le compromettre pour en jouer le moment voulu. In fine le corrompre. La République des « prébendes et des petits plaçous » en somme.

Qu’un haut représentant d’un gouvernement en déplacement puisse bénéficier des protections suffisantes liées à sa sécurité est une chose. Qu’on lui offre des vacances « à l’œil », qui plus est financée par des intérêts étrangers, en est une autre.

C’est donc toute une éthique de responsabilité du gouvernant qui doit être redéfinie. Et cette éthique ne va pas forcément de soi. Croire qu’un renouvellement complet de cette élite suffise à régénérer cette éthique est une utopie : que l’on se rappelle de la corruption rampante de Thermidor et du directoire. Individuellement, les hommes sont ce qu’ils sont et l’incorruptible immaculé n’est pas la norme, loin de là. Et quand bien même : la parfaite vertu peut être la marque d’autres excès : qu’on l’on se souvienne Robespierre et Saint-Just.

Notre système d’élite est en crise. Non pas que l’existence même d’une élite dusse être remise en cause. Cela aussi serait purement utopique. Mais l’élite française d’aujourd’hui – politique, économique comme culturelle – est majoritairement issue de celle qui s’est mise en place en 1944 à la Libération. Depuis, elle s’auto-entretient, s’endogamise et vire  à une consanguinité dégénérative[6]. Il ne s’agit pas de virer à une autre extrême et d’accrocher à la lanterne tous les « fils de » en leur interdisant l’accès aux hautes responsabilités. Il s’agit de refonder une démocratie véritablement méritocratique qui seule permettra de valoriser l’éthique de responsabilité et donc de bannir la corruption et autres conflits d’intérêts. Dans ce registre, deux plaies purulentes, liées entre elles, pourrissent notre démocratie : le cumul des mandats[7] et la professionnalisation de la politique. La première doit être purement et simplement interdite et la seconde, outre un éventuel volet législatif, doit faire l’objet d’une véritable réflexion citoyenne : sans virer au populisme démagogue, comment estimer qu’une personne qui a passé sa vie de mandats électifs en postes d’attente pistonnés, sans véritablement travailler à l’intérieur même de la société, puisse être représentative du peuple souverain ?

 

 

 

 



[1] : Sur le lien entre éthique et politique, lire Henri Hude, L’éthique des décideurs, chapitre 2.

[2] : Cornelius Castoriadis, A société autonome, individu autonome, Le Monde diplomatique, février 1998.

[3] : Jacques Chirac lui-même, pourtant lui aussi issu de ce système, s’exclamait déjà en décembre 1994 : « Il y a une espèce de système qui, tout naturellement, s’auto protège, s’autoalimente, s’auto-nomme. Et donc, il y a là quelque chose contre quoi il faut réagir. »

[4] : « Ma conviction a toujours été que la Révolution française n’était pas terminée et qu’en déplaçant les curseurs sociaux, de la noblesse à la technocratie en passant par la bourgeoisie censitaire, les élites faisaient l’objet d’un rejet majoritaire constant depuis leur identification en tant que telle par l’instauration de la cour à Versailles sous Louis XIV. » (page 10)

                               Dominique de Villepin, De l’esprit de cour.

[5] : Le régime dictatorial n’est pas le véritable problème en soi : un élu de la République ne doit pas accepter tous « cadeaux » qui pourraient l’enfermer dans une logique de compromission, que le donateur s’appelle Ben Ali ou Obama, Bolloré ou Bill Gates importe peu.

[6] : au sens non littéral du terme mais plutôt dans le sens qu’un groupe qui vis en vase clos ne peut plus rien produire de nouveau et dégénère de lui-même.

[7] : et pas seulement le cumul des mandats public-public mais aussi, et surtout, le cumul des mandants public et privé : il est inadmissible qu’un député puisse simultanément officier dans un des plus grands cabinets d’avocat ou qu’un sénateur puisse faire du conseil à un grand groupe énergétique.

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C
<br /> <br /> Excellent !!! Merci pour cette excellente analyse, qui a le mérite de déboucher en plus sur des solutions, certes partielles, mais selon moi pertinentes...<br /> <br /> <br /> Mais peut-on réellement empêcher une société de devenir corrompue, tant c'est inscrit dans les moeurs humaines, et pas que celles des élites... Comme vous l'indiquez si bien, chaque régime<br /> renversé fait place à un autre, tout aussi corrompu.  Mais effectivement, on ne peut demander au peuple de respecter des lois, alors qu'on s'en affranchit allègrement. Se pose alors le<br /> problème du contrôle de la corruption. Toutes les ébauches d'organisme réellement indépendant avec des pouvoirs concrêts (cf. la nomenklatura française) ont lamentablement échoué.<br /> <br /> <br /> La "révolte" actuelle des juges (dont certains, espérons le, sont incorruptibles) pourrait être vue comme une saine rébellion face à une mainmise dangereuse du pouvoir politique et à<br /> l'inadéquation mission/moyens. Une lecture plus pessimiste consisterait à analyser cette "fronde" comme une réaction à une perte de pouvoir des juges, de leurs privilèges et rentes de situation.<br /> <br /> <br /> Encore merci pour ce blog.<br /> <br /> <br /> Longue vie à l'Oeil de Brutus<br /> <br /> <br /> <br />
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