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L'Oeil de Brutus

Des moyens de gouvernement

5 Janvier 2011 , Rédigé par L'oeil de Brutus Publié dans #Lectures

 

De François Guizot, on connaît essentiellement le tout-venant scolaire : ministre de la Monarchie de Juillet dont l’impopularité fut un des générateurs de sa chute et père du libéralisme à la française. Mais derrière le ministre, l’écrivain politique mérite une attention particulière, notamment à travers l’un de ses principaux ouvrages : Des moyens de gouvernement.

Œuvre de jeunesse (publié en 1821, à 34 ans), elle définit la genèse de la pensée de François Guizot. Souvent présenté – à tort – comme le père du libéralisme français, Guizot se place bien plus sur l’échiquier politique dans une place que l’on qualifierait aujourd’hui de centriste : tout en dénonçant le passéisme et les archaïsmes des Royalistes, il refuse les excès des républicains. Guizot se définit lui-même comme un héritier de la Révolution, que l’on pourrait alors classer comme descendant des Girondins, partisan d’une monarchie constitutionnelle tempérée.

« Des moyens de gouvernement » traite très peu de questions économiques. En dehors de cet ouvrage, on notera au passage que Guizot refusait l’association entre libéralisme politique et libéralisme économique, se méfiait du libre-échangisme (trop favorable à l’Angleterre) et de l’industrialisation à tout cran (génératrice d’un prolétariat révolutionnaire). En outre, son bilan économique sous la Monarchie de Juillet fait apparaître un fort interventionnisme étatique.

« Des moyens de gouvernement » fait une large part à l’analyse de faits purement contextuels au 19e siècle, ce qui le rend parfois indigeste. Il s’en dégage toutefois des principes plus généraux très pertinents.

 

La relevance essentielle de l’ouvrage de Guizot réside dans sa réflexion sur le pouvoir. Un gouvernement coupé de la société n’en exercerait plus, mais se bornerait à la commander et tendrait alors inévitablement à l’autoritarisme et, nourrissant naturellement son contraire, génèrerait des rébellions, voire des révolutions sanglantes.

Pour trouver le pouvoir, le gouvernement doit donc percevoir la société[2]. Sans verser dans la démagogie, ni dans l’immobilisme ou encore dans la dictature de la majorité, le gouvernement saisit le pouvoir s’il est l’émanation de l’intérêt général, réconciliant l’individu et la collectivité.  Guizot analyse ainsi la chute du Directoire, puis de Napoléon comme venant du fait qu’ils avaient « oublié la France ». A contrario, la prise de pouvoir du vainqueur d’Arcole peut être vue comme la rencontre de l’homme providentiel avec son peuple.

Ainsi, pour trouver le pouvoir, il ne peut s’agir de chercher à mettre de concert des intérêts particuliers, forcément divergents, mais de sonder l’opinion profonde des masses pour en retenir la direction à choisir.  Néanmoins, aucun pouvoir ne peut perdurer sans contre-pouvoir. Le pouvoir abusivement fort appelle un contre-pouvoir lui aussi abusivement fort et, surtout, potentiellement, car ne pouvant s’exprimer librement, violent et génétiquement révolutionnaire : il faut donc libérer les oppositions pour en éviter les excès. Guizot note de plus qu’un contre-pouvoir qui se veut crédible se construit en pouvoir potentiel de gouvernement, sinon il en perd sa nature même de pouvoir (voir la définition initiale du pouvoir) et devient stérile.

Guizot se méfie en outre du suffrage universel, source selon lui de la dictature de la majorité. Le suffrage universel n’est ainsi pas la souveraineté du peuple qui, elle, réside dans le gouvernement de ses intérêts généraux (en opposition au gouvernement des intérêts particuliers).

Guizot critique de plus vertement l’égalitarisme et pressent les frasques du communisme générant une nouvelle oligarchie bureaucratique : pour établir l’égalité, ses tenants devront logiquement se muer en nouvelle aristocratie pour l’imposer à tous. L’égalité parfaite est ainsi purement chimérique.

Dans la lignée de sa conception du gouvernement, Guizot revendique un pouvoir qui s’assume (dans sa définition du pouvoir) et donc un pouvoir fort et interventionniste. Il fait de la fonction publique un point clé de l’art de bien gouverner.

Guizot souligne la nécessaire attraction du pouvoir et l’orgueil qui découle, c’est pourquoi il doit pouvoir attirer les meilleurs et leur offrir les attributs de la reconnaissance.

 

Guizot aujourd’hui ?

L’analyse du pouvoir de Guizot est d’une saisissante actualité. Bien évidemment, son refus du suffrage universel et l’exercice de son ministère sous Louis-Philippe ont laissé l’image d’un conservateur méprisant des masses. En fait, le grand tort de Guizot est d’avoir refuser d’accepter l’industrialisation et surtout d’en tirer les conséquences : la montée de la masse prolétaire et les interrogations sociales qui en découlent. Grande leçon pour bien des hommes de droite ! On ne saurait gouverner en négligeant les masses. On peut les nourrir un temps avec un populisme mielleux, des promesses démagogiques et des envolées médiatiques faciles à la « travailler plus pour gagner plus ». Mais si le félin peut se laisser appâter par quelques caresses, il se transforme en fauve lorsque les mensonges le conduisent à la misère matérielle, sociale et, bien pire encore, intellectuelle.

Toutefois, oublions un instant les turpitudes du Guizot ministre pour ne retenir que la lumineuse pensée du Guizot jeune analyste politique. Car sa conception du pouvoir, sondant la société pour en dégager l’intérêt général, mérite plus d’une réflexion aujourd’hui. Où est l’intérêt général lorsque des politiques chargés, de près ou de loin, de légiférer sur la libéralisation de l’énergie, conseillent simultanément l’un des plus grands groupes énergétiques ? Où est l’intérêt général lorsque l’on tente de placer un étudiant de 23 ans, en semi-échec scolaire, à la tête de l’organisme d’administration du plus grand centre d’affaire d’Europe ? Où est l’intérêt général lorsque des conseillers en communication commandent des sondages à entreprises dont ils sont eux-mêmes actionnaires ? Où l’intérêt général lorsque le trésorier d’un parti, simultanément Ministre du Budget, fricotte avec l’entourage de la plus grande fortune de France ? Où est l’intérêt général lorsque des commissions exorbitantes sont versées à des intermédiaires douteux ? Où est l’intérêt général lorsque l’on désigne à la vindicte un groupe ethnique particulier ? Où est l’intérêt général lorsqu’un haut fonctionnaire intervient personnellement pour éviter à sa progéniture la juste peine que mérite la conduite en état d’ivresse et l’insulte à un représentant de l’ordre ? Où est l’intérêt général lorsque les plus hauts représentants s’accaparent les faits divers les plus sordides et se moquent de la présomption d’innocence ? Où est l’intérêt général lorsque le premier des policiers prend la défense de subordonnés notoirement et manifestement véreux ? Où est l’intérêt général lorsque les plus grands moyens de l’Etat sont utilisés pour protéger la ridicule vie pseudo-privée d’un seul ? Où est l’intérêt général lorsque les fonctionnaires sont mutés au gré des humeurs du Prince ? Où est la République irréprochable ?

Le gouvernement de la France est devenu le gouvernement de quelques intérêts particuliers et prend des aires de fin de Directoire. Les néo-thermidoriens se sont vautrés dans le royaume de  l’argent et dans l’assouvissement des volontés des quelques-uns. La République des prébendes et des petits plaçous. L’intérêt général n’y résonne plus que par sa vacuité. Le pouvoir, le vrai, a laissé la place à l’autorité arbitraire. Dans une pédagogie condescendante avec le peuple français, l’élite gouvernementale prétend faire son bien contre lui et malgré lui, confondant l’exercice de la représentation de la souveraineté avec un simple exercice de gestion comptable[3]. Sans repère, il navigue à vue au gré des sondages et de leur supposé perception de l’opinion, oubliant que la seule vraie force réside dans la Nation elle-même[4]. Non content de sa corruption, il refuse d’assumer ses responsabilités et jette l’opprobre sur ses subordonnés[5]. Prompt à réprimer, avec force médiatique, les violences de racailles, il omet de soigner la misère sociale qui la génère[6]. Le charlatan donne l’aspirine du bouclier fiscal au bien portant en prétendant qu’elle soignera son frère malade[7].

Et son peuple en vient à s’interroger sur les fondements de cette souveraineté[8].

 



Les citations sont prises dans l’édition Belin de juin 2009.

 

[2] : « Le pouvoir n’est pas libre d’être ainsi excellent à lui tout seul. Il ne fait pas la société, il la trouve. »

                        François Guizot, Des moyens de gouvernement, Page 132

 

[3] : « Vous n’avez ni raison ni droit quand vous prétendez que tout doit s’évaluer en monnaie, et que le gouvernement le moins cher, est, par ce seul fait, le meilleur. Mettez donc un prix à la liberté, à la prospérité, à la gloire, à toutes ces conséquences d’un bon et solide gouvernement. » François Guizot, Des moyens de gouvernement, page 164.

 

[4] : « Le public, la nation, le pays, c’est donc là qu’est la force, là qu’on peut la prendre. Traiter avec les masses, c’est le grand ressort du pouvoir. Viens ensuite l’art de traiter avec les individus ; art nécessaire, mais qui, à lui seul, a peu de valeur et produit peu d’effet. »

                        François Guizot, Des moyens de gouvernement, Page 135.

 

[5] : « Il (le ministère) semble souvent considérer les fonctionnaires comme des automates vivants, sachant lire, écrire, parler, et qui, sur un ordre de lui, doivent prendre l’attitude, émettre le son, exécuter le mouvement accomplir le résultat qu’il leur prescrit. […] Traitez-les en hommes si vous voulez gouverner par leur moyen. […] Ils ont besoin à la fois de direction et d’indépendance. »

                        François Guizot, Des moyens de gouvernement, Page 225.

 

« La confiance publique ne va point à un automate, et la considération abandonne des magistrats incertain, qu’on voit sans boussole et sans appui dans les occasions difficiles, comme s’ils n’avaient des chefs que pour être abaissés et délaissés. »

                        François Guizot, Des moyens de gouvernement, Page 226

 

[6] : « Serait-ce que vous regardez le pouvoir public comme uniquement voué à réprimer, à punir le mal, jamais à prendre l’initiative du bien ? »

                        François Guizot, Des moyens de gouvernement, Page 163.

 

[7] : « Je suis venu, dit le Christ, pour ceux qui sont malades, non pour ceux qui se portent bien. La mission du pouvoir est là même ; c’est surtout avec les maladies sociales qu’il a à traiter. »

                        François Guizot, Des moyens de gouvernement, Page 146.

 

[8] : « Tout homme de sens, avant de constituer fortement l’autorité, se demandera si l’autorité le sert ou le menace, le garantit ou le compromet. »

                        François Guizot, Des moyens de gouvernement, Page 49.

 

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