Derrière le rideau des apparences (Circus Politicus, partie 2/14)
CIRCUS POLITICUS
Christophe Deloire, Christophe Dubois
Albin Michel 2012.
Cette série d’articles visent à faire paraître les notes de lecture de cet ouvrage. Elle
n’en dispense nullement de la lecture !
Sommaire :
13/ Les politiciens français et l’Europe
14/ De l’usage des sondages dans le monde politique français
Derrière le rideau des apparences
L’ancien vice-président
américain Al Gore le dit lui-même : 1% de ce qui se passe à l’intérieur du gouvernement est connu du public (page 114).
Sur le Vieux Continent, l’Union européenne est devenue le cadre majeur de l’élaboration de la politique de ses membres : un
nombre croissant de lois françaises ne sont plus que des déclinaisons de circulaires et directives émanant de Bruxelles. Ces directives et circulaires émanent bien d’un sommet exécutif : le
Conseil européen (la réunion des chefs d’Etats et de gouvernements). Les débats de ce Conseil sont donc hautement importants pour la vie quotidienne des citoyens de l’Union. Pourtant, ils sont cachés au public (page 14).
Seul retour écrit de ces réunions : les hautement confidentielles « notes Antici » prises par les diplomates
nationaux qui y assistent en « back sit ». Elles ne sont bien sûr pas censées quitter les bureaux feutrés des hauts dirigeants. Mais MM
Deloire et Dubois sont malgré tout parvenus à s’en procurer quelques unes.
Une fois les réunions du Conseil terminées, ses membres peuvent ainsi exclusivement se consacrer à des gesticulations de
communicants lors de la conférence de presse qui suit, les journalistes ignorant ce qui s’y est dit puisque les fameuses notes Antici ne sont pas censées être communiquées. A la sortie du Conseil
européen du 25 mars 2011, Nicolas Sarkozy choisit ainsi d’orienter exclusivement les questions sur la Libye alors que le sujet majeur du sommet a été le « pacte pour l’euro » (page 44).
Cette omniprésence du secret est malgré tout contraire aux règles inscrites dans le traité de Lisbonne (article 9c) : « Le Conseil siège en
public lorsqu’il délibère et vote sur un projet d’acte législatif » (page 45).
Néanmoins, grâce aux notes que se sont procurés les auteurs, on peut constater que, dans les conceptions de Nicolas Sarkozy et
Angela Merkel, la privation du droit de vote aux Etats membres qui ne respecteraient par les conditions de maîtrise des déficits se place sur le même plan que la même privation de vote prévue en
cas de non respect avéré des droits de l’homme. Le mauvais comptable sur le même plan que le dictateur … (pages 22-23).
S’il ne va pas jusqu’à de telles extrémités dans le culte de l’hermétisme, le Conseil de l’Union (la réunion des ministres) se
ferme aussi étroitement au débat public. Il arrive même qu’il vote par correspondance, en l’absence de tout débat (page 48), et 36% des demandes d’accès aux délibérations ont été refusées en 2009
(page 49).
Cette culture du secret s’accommode en outre très bien de l’absence
d’intérêts des médias nationaux pour les questions européennes (page 51). Et les représentants de l’exécutif européen ne font pas grand-chose pour que cela change : « Barroso, c’est l’homme qui ne dit rien en cinq langues » déplore le député européen Jean-Louis Bourlanges (page 54). Il semblerait d’ailleurs qu’en France
même, les autorités – l’Elysée – influencent les médias pour qu’ils ne consacrent que peu ou pas de places aux autorités européennes (page 55).
Quand ce n’est pas au niveau européen que le pouvoir démocratique est détourné, on peut toujours trouver d’autres institutions
pour s’en charger. Les dirigeants politiques peuvent ainsi claironner haut et fort leur volonté de régulation de la sphère financière :
ils l’ont entièrement confiée au Comité de Bâle, essentiellement constitué de banquiers, et dont les textes n’ont pas force de loi (page 65). Ce comité ne s’embarrasse de plus même pas des
apparences : après avoir élaboré ses textes, il les soumet aux … organisations bancaires privées. Et quand on l’interroge sur le fait qu’il soit tout de même surprenant que les autorités
publiques et les citoyens soient tenus à l’écart de sujets aussi sensibles, que rétorque Christian Noyer, le patron de la banque de France ? « Des non-techniciens ne pourraient rien apporter » (page 67). A partir de là, tout est dit … Pourtant, le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz a une toute
autre interprétation : si « par les tensions qu’elle génère, l’austérité est une menace pour la démocratie », nous n’avons peut-être
pas attendu les cures de rigueurs pour y dire adieu car, toujours selon Stiglitz, « la démocratie est bon principe selon lequel « un homme égal
une voix ». Mais hélas aujourd’hui, les banques disposent de 51% des votes car aujourd’hui elles achètent les gouvernements. » (page 119).
Sur la prise de pouvoir des technocrates, la banque centrale européenne
(BCE) est l’illustration parfaite : non content de décider de la politique monétaire de la zone euro sans aucun contrôle démocratique, son président, Mario Draghi, ne se prive pas
de dicter les principes de politiques économiques. Début août 2011, il a ainsi envoyé un courrier au ministre italien des finances l’enjoignant de procéder à des privatisations et à réformer le
marché du travail, le tout en procédant en urgence par décrets et non par voie législative, c'est-à-dire sans consulter les représentants du peuple qui sont censés constituer le Parlement (page
77). Le fonctionnement interne de la BCE n’est guère plus reluisant : les réunions se font à huit clos et les votes de gouverneurs ne sont officiellement pas communiqués ; il ne
s’agirait pas, en effet, que l’on apprenne que l’un d’entre eux a voté contre l’intérêt de son pays puisqu’ils censés ne voter que pour le bien et le salut de l’euro[i]. Les Etats-Unis ont de leur côté un tout autre modèle : la réserve fédérale (FED) publie les
minutes de ses réunions et le vote de chaque gouverneur est connu de tous par voie officielle (pages 86-87).
Le niveau national n’est pas non plus exemplaire. Lorsqu’il s’agit de traiter de questions financières, un haut fonctionnaire de
Bercy ne semble pas s’émouvoir que Michel Pébereau, le PDG de BNP-Paribas, soit régulièrement consulté et écouté, y compris, par exemple, lorsqu’il s’agit de traiter de l’avenir de Dexia, qui est
pourtant une concurrente (pages 68-69). Sont-ce donc ses entrée au ministère des finances qui ont permis que l’un de ses proches, Pierre Mariani, soit nommé à la tête de la banque franco-belge en
grande difficulté (page 69)[ii] ? Daniel Lebègue, cet ancien banquier atypique qui s’occupe désormais de l’association Transparence
internationale, s’était inquiété de l’emprise des lobbys bancaires sur Bercy lorsque Mme Lagarde faisait voter une loi sur la régulation bancaire et financière en septembre 2010. Il a posé des
questions précises au cabinet de la ministre sur les liens de ses membres avec l’AFB (Association française des banques). Il n’a jamais eu de réponses, mais il sait de part ses propres sources
que celle-ci avait présenté des amendements qui ont été retenus (page 72).
[i] Ils sont pourtant
aussi les gouverneurs des banques centrales de leurs propres pays, ce qui peut manifestement générer un conflit d’intérêt.
[ii] Sur les « exploits » de Pierre Mariani à la
tête de Dexia, lire Sophie Coignard, Romain Gubert, L’Oligarchie des incapables, Albin Michel 2012. Article sur le sujet : http://loeildebrutus.over-blog.com/article-les-meilleurs-de-l-oligarchie-la-categorie-hauts-fonctionnaires-107220317.html
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