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L'Oeil de Brutus

A CEUX QUI N’ONT PAS COMPRIS LE LIEN ENTRE NATION ET LIBERTE (mis à jour 19/10/12)

17 Octobre 2012 , Rédigé par L'oeil de Brutus Publié dans #Idées

marianne

 

 

A CEUX QUI N’ONT PAS COMPRIS LE LIEN ENTRE NATION ET LIBERTE

 

 

 

Depuis que l’homme, ce roseau si faible pour reprendre Pascal, s’est fait pensant, il médite sur le sens à donner au mot liberté. Il n’est pas ici question de reprendre ce débat philosophique. Aussi nous arrêterons nous à la définition donnée par l’article IV de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (qui figure toujours en préambule de notre Constitution) : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »

Cette définition est clairement intelligible : nous pouvons faire ce que bon nous semble tant que nous ne nuisons pas à autrui, et ces potentielles nuisances sont définies par la Loi. C’est cette deuxième partie qui est particulièrement intéressante car tout repose justement sur la manière dont est définie la Loi.

Les sectes libertariennes considère qu’il n’est nullement nécessaire de définir cette Loi : le droit naturel se suffit à lui seul et le « marché », forcément juste et équitable par la nature de la « main invisible » ou de « l’ordre spontané », fait le reste. Nous les laisserons là à cet acte de Foi en constatant simplement que l’actualité récente a prouvé contraire, que la loi du marché est en fait la loi de la jungle et du plus fort et les engagerons simplement à lire le dernier ouvrage du prix Nobel Joseph Stiglitz[1] qui démontre toutes les tendances monopolistiques (ou du moins oligopolistiques) – et donc ploutocratiques – d’un marché livré à lui-même[2]. Et de toute manière, il serait bien navrant de limiter l’horizon de la Cité des hommes à de simples questions d’économie et de marchands (mais cela est un autre débat).

La liberté ne saurait donc exister que dans un cadre défini par la Loi. Tout l’enjeu est donc, avant même de savoir comment, de déterminer qui détermine la Loi. Or, si la Loi se doit de déterminer quel est ma liberté, il est évident que je dois pouvoir participer à son élaboration : si un individu ou un groupe d’individus fixe la Loi pour tous et en dépit de l’avis de tous, il y a fort à parier qu’elle ne sera pas perçue comme expression de la liberté mais bien comme un élément d’oppression de quelques uns contre tous. On peut certes croire à une forme de despotisme éclairé dans lequel un homme providentiel déciderait de sa seule autorité de la définition de la liberté pour tous les autres ou encore une forme d’aristocratie au sens premier du terme – le « gouvernement des meilleurs » - qui en ferait de même. Mais cela sous-entend donc une forme avérée d’inégalité entre les hommes. Et si l’on admet cette forme d’inégalité, pourquoi donc les hommes auraient-ils tous droits à la même liberté, puisque manifestement certains sont supérieurs à d’autres[3] ?

Pour être admise en tant que telle, la liberté, et les restrictions nécessaires à son existence, doit donc être l’émanation de tous. Faut-il alors maintenant définir ce « tous ».

 

Dans un monde rêvé, on pourrait espérer que ce tous soit l’humanité entière décidant enfin librement de se mettre sous l’abri d’un Loi absolument universelle. C’est l’utopie des internationalistes[4]. Force est de constater que, si c’est peut-être là destin de l’humanité, nous en sommes encore bien loin. En outre, pour fixer le cadre de la Loi, il est de plus nécessaire de déterminer un système de « vivre ensemble », de partage de valeurs. Ne pouvant donc s’élever au niveau de l’humanité, nous en sommes réduits à élaborer la Loi, et donc notre conception de la Liberté, à un niveau inférieur. Et quel peut-être ce niveau ? Celui d’une communauté de culture, de valeurs et de volonté de construire un avenir ensemble : la Nation.

Si les révolutionnaires de 1789 se regroupaient aux cris de « Vive la Nation ! », c’est bien parce qu’ils avaient compris que celle-ci est un indissociable de la liberté. Car sans communauté pour définir la Loi, il n’est pas de liberté possible. Ils criaient « Vive la Nation ! » en pensant « Vive la liberté ! ». L’Ancien Régime, dans lequel la noblesse décidait pour tous, était bien incapable de comprendre ce concept. Et c’est ce qui l’a perdu. Pour que la liberté existe, il faut pouvoir donner un cadre à la Loi, et ce cadre ne peut être que la Nation, émanation du peuple souverain.

Cela peut prendre diverses formes. La Loi peut être élaborée par tous (démocratie participative) ou délégation peut être donnée à une assemblée de représentants pour agir dans le cadre d’une Constitution agrée par tous (démocratie représentative), ou encore un mixte des deux peut être envisagé (par usage du référendum).

 

 

Mais lorsqu’un régime modifie les règles de la Loi en dépit de la volonté souveraine, lorsque, outrepassant ses prérogatives, il transfère les décisions relatives aux lois budgétaires à une autorité extérieure non élue, alors il bafoue la liberté. Les députés et sénateurs qui ont voté le TSCG sont donc des liberticides : ils ont trahi la liberté, ils ont trahi la nation. Dans un texte vibrant, Jacques Sapir rend hommage aux soixante-dix qui ont su résister aux pressions politiciennes pour refuser le TSCG et les compare à ceux qui en 1940 avaient su dire non à Pétain. Mais, comme je l’avais déjà écris par ailleurs, les quatre cent soixante dix sept qui ont voté le traité européen sont pire que leurs prédécesseurs qui avaient donné les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Ceux-là avaient-ils encore l’excuse du chaos, de la peur et de l’inconnu générés par le déferlement des chars de la Wehrmacht sur la France. Ces quatre cent soixante dix sept, et leurs acolytes sénateurs qui ont fait de même, ont trahi la France et la liberté. Ils sont peut-être encore nos représentants légaux (et encore …), mais certainement plus nos représentants légitimes. Et il y a fort à parier qu’ils ne s’arrêteront pas là dans l’instauration de leur tyrannie technocratique car d’aucun estime que l’on peut aller encore plus loin : « La solution la plus ambitieuse serait de créer une autorité budgétaire centralisée, aussi indépendante politiquement que le banque centrale européenne. (…) Cette autorité fixerait les orientations budgétaires de chaque pays membre et allouerait les ressources provenant du budget central pour mieux atteindre le double objectif de stabilité et de croissance »[5]. Ayant déjà perdu le contrôle de sa monnaie, le peuple souverain perdant en sus le contrôle de son budget pourra-t-il encore décider des ressources qu’il attribue à sa sécurité sociale, à l’éducation de ses enfants, mais aussi aux instances les plus régaliennes – justice, police, armées – chargées justement de la défense de sa liberté ? Bien sûr que non. A partir de là, la liberté est un vain mot.

 

 



[1] Joseph Stiglitz, Le prix de l’inégalité, Les liens qui libèrent 2012.

[2] Joseph Stiglitz est loin d’être le premier à avoir faire ce genre de démonstration. On pourra également se référer à John K. Galbraith, Tout savoir ou presque sur l’économie, Points économie 1978. Celui-ci présente un raisonnement relativement simple : le but des entreprises et de faire du profit, donc d’accroître leurs parts de marchés au détriment de leurs concurrents. Celles qui ne parviennent pas à croître font l’objet de la défiance des investisseurs et finissent donc par péricliter. Au bout d’un certain temps, elles se retrouvent donc en nombre limité à occuper le marché. A partir de là, les investissements initiaux deviennent bien trop importants pour que de nouveaux entrants s’y risquent. En outre, une fois que les quelques entreprises ont occupé le marché elles peuvent obtenir un poids suffisamment important pour de diverses manières dissuader ou casser les velléités de tout nouvel entrant (voir par exemple comment Microsoft a tué Netscape), y compris en utilisant les lobbys pour peser sur le pouvoir politique. Le marché n’est alors plus concurrentiel et cesse de fonctionner.

Si l’on revient encore plus en arrière, on retrouve déjà ce souci de lutte contre les oligopoles par le biais des lois anti-trust (notamment le Sherman Act de 1890) qui ont abouti au démantèlement des empires de Rockefeller et consorts.

[3] Et l’on ressent bien là le lien entre liberté et égalité (égalité de droit et non égalitarisme qui consiste à nier les différences entre les hommes).

[4] Par internationalisme, on entend ici mondialisme. Mais le premier terme est préféré du fait que, généralement, une bonne partie de ceux qui se prétendent internationalistes se positionnent en rejet de la nation (sans voir le paradoxe que cela représenté avec l’étymologie du terme), de même qu’ils peuvent se présenter comme « altermondialistes », qui n’est qu’une autre facette du mondialisme.

[5] Dominique Strauss Kahn à L’European Banking Congress, le 19/11/2010, cité par Christophe Deloire et Christophe Dubois, Circus politicus, Albin Michel 2012, page 27.

 

 

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