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L'Oeil de Brutus

Sur la sortie de l'euro (Billet invité de Xavier Louvet, réponse à Hans-Kristian Colletis-Wahl)

24 Avril 2017 , Rédigé par L'oeil de Brutus

Sur la sortie de l'euro (Billet invité de Xavier Louvet, réponse à Hans-Kristian Colletis-Wahl)

 

Billet invité de Xavier Louvet

 

 

Il y a deux ans de cela, Hans-Kristian Colletis-Wahl écrivait un article de défense de l’euro dans les colonnes du Monde. Cet article avait déjà donné lieu à un débat entre son auteur et l’œil de Brutus (lire Le Monde et l’euro ou la chronique des TartuffesSortir de l’euro : la réponse de M. Colletis-Wahl et enfin Sortir de l’euro : on ne peut pas ou on ne veut pas ? la question de la démocratie).

 

Constatant que deux ans plus tard, certains des arguments sont toujours ressassés en boucle par les euro-béats, j'ai fait une analyse très détaillée de ce texte en le soumettant à un "facts-checking" (très à la mode) et je suis contraint, à regret, de m'inscrire en faux avec la plupart des affirmations de monsieur Hans-Kristian Colletis-Wahl.

 

Mon analyse est la suivante :

 

1°) les analyses sur les effets commerciaux d'un FREXIT sont entachés d'un tropisme sur la nature même du déficit commercial français. Selon le rapport des douanes françaises 2016 consultable sur lekiosque.finances.gouv.fr:

 

Les échanges français (import et export) sont à 60 % dans l’UE et 40 % hors UE. Les exportations vers les pays de la zone Euro sont concentrées par ordre d’importance sur l’Allemagne, Espagne, Italie, Belgique, Pays-Bas et le Portugal et représentent 48 % des exportations du pays : si 52% fait encore une majorité dans le sens commun, on ne peut donc parler de primauté flagrante des flux intra zone euro.

 

Les importations d’hydrocarbures (hors produits raffinés) et d’électricité représentent environ 30 Md € sur un volume d’import de 507 Md € soit 6 %. Si l’on anticipait une dévaluation de 10 % de la monnaie française, l’impact de la facture pétrolière serait de 0,6 % sur le volume des importations donc négligeable contrairement à ce que l’expert évoque. Le déficit de la balance commerciale est de 53 Md €. Les principaux pays en cause (58 Md) sont par ordre d’importance la Chine (26 Md), l’Allemagne (15 Md), les Pays-Bas (7 Md), l'Italie (6 Md), la Belgique (4 Md), aucun ne figurant parmi les fournisseurs d’hydrocarbures. On notera que la France dégage des excédents commerciaux avec les Emirats Arabes Unis, l’Algérie, le Brésil, le Qatar et le Mexique ! Il est donc faux d’analyser la facture pétrolière comme le principal poste de déficit, c’est un tropisme d’analyse.

 

2°) Sur la hausse des taux interbancaires : là encore les euro-béats crient au feu sans donner ni la mesure du problème ni de chiffres, c'est pratique. Alors allons-y :

 

EONIA est avec EURIBOR le taux interbancaire de référence au sein de la zone euro. Négatif à -0,3 % (comme son cousin),  l’analyse de sa cotation historique démontre que partant de 2 % en 2005, il grimpa graduellement jusqu’à 4 % en 2008 avant de chuter de manière vertigineuse autour de 0 (source site CBanque).

 

Le taux négatif qu’on lui connaît depuis décembre 2014 signifie le trop plein de liquidités cherchant à se placer. Les prêteurs payent pour placer leurs capitaux chez les emprunteurs. Le taux négatif est un symptôme de maladie, pas une bénédiction. Situation anormale s’il en est, celle-ci résulte, d’une part, du rôle refuge de la monnaie dans un monde de politiquement incertain et bien sûr de l’atonie générale de l’économie de la zone euro d’autre part.

 

Le taux de croissance annuel du PIB de la zone (sources Eurostat) était de +3 % en 2006 et 2007 tandis que sur la période 2008-2016 le PIB n’a cru que de 3 % en 8 ans !

 

D’ordinaire, l’économie financiarisée adore les opportunités qu’offrent les déséquilibres et fuit l’atonie générale. A l’instar de la technique de la production d’énergie hydrolique, c’est par la création d’un déséquilibre (chute d’eau, ici la dévaluation) que l’énergie est obtenue. Il est donc peu probable que la sortie de la France de l’Euro provoque la fuite des financiers, au contraire, on peut compter sur leur cupidité (cf Joseph Stiglitz, « Le triomphe de la cupidité ».)

 

au sujet de la dette publique :

 

La dette française (1649 Md Euros) est détenue à 60 % selon l’AFT (source site de l'AFT) par des « non-résidents ». La qualité de ces non résidents est un secret bien gardé que l’AFT ne communique pas (source Le Figaro). Un français achetant des OAT via une banque basée à Londres, est un prêteur non résident. Il n’est donc pas possible de les qualifier systématiquement de capitaux étrangers.

 

Si la monnaie devait dévaluer de 10 %, le nominal de la dette détenue par des résidents étrangers n’augmenterait la dette totale que de 6 % de manière instantanée. Serait-ce vraiment si insupportable ?

 

Notons au passage qu’essayer d’alarmer du niveau général de la dette en invoquant les critères de Maastricht dans le cadre de l’étude d’impact de la sortie de l’Euro est par essence un contre-sens.

 

La maturité moyenne de la dette totale est supérieure à 7 ans. L’encours de la dette à moins d’un an est de 132 Md Euros, soit 8 %. Par conséquent, la hausse des taux obligataires ne toucherait la première année que 8 % de la masse totale du service de la dette. Le taux d’intérêt moyen traité (toutes maturités confondues) est entre 1,5 et 2,2 % (sources AFT). Si l’on retient 2,2 %, un doublement de ce taux sur la dette à court terme renouvelée à long terme aurait donc un impact de 0,2 % sur le taux d’intérêt global de la dette, soit +1 % au bout de 5 ans. Ce qui laisse le temps à l’économie française regonflée de compenser ce surcoût. On est donc loin de la catastrophe annoncée.

 

puis sur les mesures d'austérités qui s'en suivraient :

 

Analysons un peu : 0,2 % de 1649 Md, représentent 3,3 Md d’euro par an de service de la dette en plus soit 0,1 % du PIB. De quelles mesures d’austérité peut-on parler quand on sait que la dette augmente d'environ 50 Md par an (source AFT) et que la seule politique raisonnable et utile d'un bon gestionnaire consisterait à stopper son accroissement en réduisant donc les dépenses de 50 Md d’euros par an. 3 Md ? 50 Md ? Les enjeux sont évidemment bien ailleurs.

 

puis sur les attaques spéculatives :

 

Les attaques spéculatives consistent par essence à faire des coups rapides d’entrée et sortie en prenant des options sur les marchés des futurs. Les outils de la gestion de ce risque sont connus, à commencer par le plus simple que seul un souverain peut imposer : interdire la création de futurs sur les obligations du trésor… Mais pour cela encore faut-il être souverain et avoir le pouvoir et la volonté de se faire respecter.

 

Enfin, M. Colletis-Wahl écrit : "La question de la sortie de la zone euro masque celle de la spécialisation économique française, de la qualité d’une production orientée vers le moyen de gamme et d’un effort de R&D insuffisant qui présentent l’inconvénient de ne pas se résoudre de façon simple et rapide. »

 

Mais en quoi les Français seraient contraints de rester dans une économie spécialisée ? Et si c'était le cas ? Et oui … il faudrait se remettre au travail ! Créer, inventer, développer ! C'est du travail mais les Français en ont toutes les capacités.

 

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