Aristote et … l’euro
Au hasard de mes lectures, je suis tombé sur cette citation d’Aristote :
« Ce qui fait l’échange proportionnel, c’est la conjonction de termes diamétralement opposés : mettons un bâtisseur [A], un cordonnier [B], une maison [C] et une chaussure [D] : il faut donc que le bâtisseur reçoive du cordonnier son travail à lui qu’il lui donne en retour le sien.(…) Il n’y aura pas [d’échange ni d’association] entre eux si les choses échangées ne sont pas égales d’une certaine façon. Il faut donc qu’un certain étalon permette de tout mesurer (…). Et cet étalon en vérité, c’est le besoin, lequel assure la cohésion de tout dans la communauté (…). La monnaie est devenue une sorte de substitut du besoin, à titre conventionnel. Et c’est pour cela qu’elle porte le nom de monnaie [nomisma], parce qu’elle tient, non pas à la nature, mais à la loi [nomos] et qu’il ne tient qu’à nous d’en changer et de la retirer de l’usage »[i].
Bien évidemment, et contrairement à ce que pourrait laisser penser mon titre (que j’admets certes un peu tapageur), Aristote ne nous parle pas ici de l’euro, du moins pas directement. Mais ce qu’il nous dit de la monnaie doit, à plus d’un titre, nous ramener aux réflexions sur la monnaie unique et sur son fonctionnement.
Car, que nous dis Aristote ? Il nous rappelle, comme son étymologie l’indique, que la monnaie (nomisma) dérive de la loi (nomos). La loi étant chose humaine, elle ne peut être inscrite dans le marbre (dusse-t-il être celui des traités …), sauf à prétendre que des créations d’hommes puissent être choses parfaites et donc inamovibles. C’est pourtant bien ce qu’on prétendent nos hiérarques européens en inscrivant le fonctionnement de l’euro dans des traités qui ne sauraient être modifiés – surtout pas par des élections démocratiques (n’est-ce pas M. Juncker ?) – et donc en le soustrayant au champ de la loi et de la politique. Puis en clamant à tue-tête (ou en sautant tel le cabri sur sa chaise …) que « l’euro est irréversible ». Aristote pourtant nous rappelle « qu’il ne tient qu’à nous d’en changer et de la retirer de l’usage » … car la monnaie n’est qu’une convention que se donnent les hommes d’une même communauté entre eux. Comme toute convention, elle peut être changée, modifié, abolie, abrogée, etc. Et surtout, comme toute convention à l’intérieur d’une communauté, elle est une chose éminemment politique. Dans une Cité libre et démocratique, les choses politiques sont les affaires de tous les citoyens, qui peuvent ainsi en débattre et en choisir. Dans une « Cité libre et démocratique » …
[i] Aristote, Ethique à Nicomaque, V, 8.