Les conditions d’un rassemblement (suite d'articles sur les Fronts de libération contre l'euro-austérité)
Ce qu’est le FN, ce qu’il n’est pas
« Notre peuple porte de graves blessures, mais il suffit d’écouter battre son cœur malheureux pour connaître qu’il entend vivre, guérir, grandir. Le jour va venir où, rejetant les jeux stériles et réformant le cadre mal bâti où s’égare la nation et se disqualifie l’Etat, la masse immense des français se rassemblera sur la France. »
Charles de Gaulle
Le « contenant » de ce front (les forces politiques susceptibles de le constituer) étant défini, demeure le plus important et ce qui lui est inéluctablement lié : son contenu (son programme politique). Que l’on s’entende bien sur une choses : la sortie de l’euro ne sera pas une partie plaisir, ni pour ceux qui la mettront en œuvre, ni pour le peuple français qui devra en accommoder son quotidien, et ce dès l’instant même où la décision sera prise … et probablement même avant : 40 ans de renoncements face au monde de la finance ont doté celle-ci d’un sérieux coup d’avance et les jeux d’anticipation des marchés, alliés aux décisions unilatérales des institutions européennes (en particulier de la BCE comme on a pu le constater en Grèce) initieront très certainement les tourbillons spéculatifs dès que l’arrivée au pouvoir d’une équipe souverainiste ne sera pas seulement actée mais simplement une possibilité hautement envisageable. Dans cette guerre que la France devra livrer aux marchés – car il s’agira bien d’une guerre -, le politique, et non l’économique, devra donner le tempo en deux actes. A l’intérieur de ces deux actes, toutes les composantes du Front de libération devront s’accorder sur tous les grands principes. Le premier de ces actes consistera à redonner au pays se souveraineté. Une fois celle-ci acquise, le second constituera, les marges de manœuvres recouvrées, à ré-initier une véritable stratégie politique – et non seulement économique – permettant d’une part au peuple français de se réattribuer l’exercice démocratique, et d’autre part à la France de se réapproprier son indépendance nationale. Il doit être clair pour toutes les parties que ces deux actes sont inextricablement liés. Sortir de l’euro pour sortir de l’euro, sans stratégie ultérieure, serait un non-sens qui pourrait être pire que le mal dont on veut s’extraire. Envisager toute stratégie d’indépendance et de recouvrement démocratique sans préparer une sortie de l’euro, c’est se préparer, tel l’ingénu Tsipras, à mettre sa tête sur le billot de la capitulation.
Les conditions du premier acte ont déjà fait l’objet d’une abondante littérature. On la retrouvera notamment dans les écrits tant de Jacques Sapir que de Frédéric Lordon. Le fameux « plan B » de Yanis Varoufakis en était une déclinaison. Il s’agira essentiellement (mais pas exclusivement) de :
- Réquisitionner la Banque de France afin de se prévenir de toute crise de liquidités, quitte à émettre provisoirement de la monnaie à contre-courant des prescriptions de la BCE. Ceci constituera une violation flagrante des traités, à laquelle on pourra aisément rétorquer que les institutions européennes, de la BCE à la Commission en passant par l’Eurogroupe ne sont pas privés de les violer allégrement, notamment (mais pas seulement) dans le cas de la crise grecque ;
- Une mise en place d’un contrôle strict des capitaux. Celui-ci pourra progressivement être assoupli une fois la transition vers le retour au franc effectuée. Les exemples chypriotes et grecs ont démontré que cette mesure ne contenait pas de difficultés techniques[i].
- Une nationalisation de toutes les banques commerciales. Cette mesure permettra de préserver l’épargne des Français. Par la suite, les activités bancaires devront intégralement être séparées entre activités de dépôts et activités d’investissements. Une part des nouvelles banques qui en résultera pourra, bien évidemment, être re-privatisée. L’Etat devra néanmoins conserver sous son contrôle :
- Une grande banque de dépôt publique permettant à tout français, et tout résidant français, d’accéder à un service public bancaire ;
- Plusieurs banques spécialisées (au moins une pour l’agriculture, une pour l’industrie, une pour la recherche et la haute technologie) permettant aux entreprises françaises de financer leurs investissements à des coûts réduits et sécurisés.
- Enfin, une fois le retour au franc acté (ou tout autre nom que l’on voudra donner à cette monnaie), une dévaluation par rapport à l’euro (s’il demeure, ce qui est peu probable[ii])
Une fois ce premier acte passé, on imagine déjà (notamment par le biais du point 3 ci-dessus) tout la liberté d’action qui pourrait être offerte à la France. Cela n’est pas nouveau et était déjà symétriquement signalé par Philippe Séguin, il y a plus de vingt ans : "Mais le premier alibi de tous nos renoncements, c'est indubitablement la construction européenne. Nous ne pouvons rien faire, nous dit-on, puisqu'il faut harmoniser, Bruxelles en ayant décidé ainsi. Nous ne pouvons pas réformer la fiscalité puisqu'il faut soi-disant uniformiser les taux de T.V.A. Nous ne pouvons pas baisser les taux d'intérêt puisqu'il nous faut soi-disant rester accroché au mark en vue de l'union monétaire. Nous ne pouvons rien pour notre industrie puisque le commissaire à la concurrence y fait obstacle. Nous ne pouvons rien faire pour l'aménagement du territoire puisque nos marges de manœuvre sont mises à la disposition de la Communauté. On voit bien l'avantage politique à transférer sur Bruxelles ou sur les collectivités locales la responsabilité de ce que l'État n'a plus le courage d'assumer. A commencer par l'impôt, dont on veut bien désormais qu'il soit local ou même européen, pourvu qu'il ne soit pas national et qu'il n'en soit pas tenu compte dans les statistiques de la politique fiscale"[iii].
La sortie de l’euro libérera donc de multiples leviers d’action, dans tous les domaines. Et il s’agira de les utiliser au mieux et au plus vite. Or, cette liberté d’action ne saurait faire l’objet d’improvisations, celles-ci étant à même de faire resurgir les divisions internes à ce Front commun sitôt son objectif premier (l’Acte 1) atteint. On pourra donc raisonnablement envisager le programme commun sur les bases suivantes (non exclusives de toutes autres) qui, elles aussi, transcendent les clivages gauche-droite :
- Une refonte intégrale de la fiscalité, avec pour axe une refondation complète de l’impôt sur le revenu, supprimant les multiples niches fiscales et visant à le rendre effectivement progressif (lire Pour une réforme radicale de la fiscalité). Cette refonte s’accompagnera inévitablement d’un fort durcissement de la répression de la fraude fiscale (tant en matière pénale que financière) et de la suppression du monopole d’initiative en matière de fraude fiscale aujourd’hui octroyé au seul ministre du Budget.
- Une renégociation globale de la dette publique, sur la base d’une garantie sur le capital et d’un moratoire sur les intérêts.
- Une refonte des pratiques démocratique qui passera nécessairement pas une déprofessionnalisation de la politique, via notamment :
- Une interdiction stricte du cumul des mandats rémunérés ;
- Une limitation de tous les mandats à deux mandats consécutifs ;
- Une fixation d’âges seuils pour l’accès à tous les mandats rémunérés (par exemple 35 ans – 65 ans) ;
- Une réorganisation complète de la décentralisation visant à diminuer le nombre d’échelons territoriaux et à rendre lisibles les compétences de chacun de ces échelons, tout en garantissant l’égalité – notamment face à l’impôt – entre les citoyens quel que soit leur lieu de résidence ;
- Un encadrement du rôle et de la constitution des cabinets des élus et des ministres ;
- La suppression du concours externe de l’ENA et un rehaussement des conditions d’ancienneté dans la fonction publique (passage de 4 à 8 ans) pour l’accès à son concours interne ;
- Un grand Plan d’investissement dans la recherche, l’industrie et l’agriculture, sous forme de participations d’Etat.
- Une grande réforme de la démocratie sociale sur la base de la suppression des critères de représentativité des partenaires sociaux (hors résultats aux élections professionnelles), d’une obligation de transparence des comptes des partenaires sociaux et de l’élection d’un tiers des membres des Conseils d’administration par le personnel de l’entreprise.
- Une réforme des subventions aux médias[iv] et l’interdiction pour toute entité privée de posséder plus de deux organes de presse (chaînes de télévision incluses).
- Une réinstauration d’une politique étrangère souveraine et indépendante, notamment vis-à-vis des Etats-Unis et des monarchies arabes (Arabie Saoudite, Qatar) ; intensification des projets de co-développement, tout particulièrement avec les pays d’Afrique subsaharienne.
On se rendra évidemment compte, qu’en sus même de la sortie de l’euro, ce programme heurte de plein fouet la plupart des principes idéologiques de la technocratie européenne inscrits dans le marbre des traités. Mais, nonobstant le fait même que l’objet de ce « Front » serait de s’affranchir des tutelles extérieures et de permettre aux Français de définir leur propre politique, il faudra conserver à l’esprit que, n’étant pas la Grèce, si la France peut se faire sans l’Union européenne, celle-ci ne sera plus grand-chose sans elle (et encore moins sans un Royaume-Uni de plus en plus tenté de prendre le large). En imposant son agenda politique et en allant au bras de fer avec une technocratie bruxelloise qui ne représente qu’elle-même, la France (la vraie : celle qui émane du peuple français) sera à mène soit de renverser les logiques idéologiques des institutions européennes sur la base du principe de souveraineté nationale, soit, cas éminemment plus probable, de prononcer la mort clinique d’une construction qui est déjà en état cérébral végétatif afin de pouvoir reconstruire autre chose sur la base de ces mêmes principes de souveraineté.
[i] Lire Comment l’euro vient de mourir, l’œil de Brutus, 02/042013.
[ii] Il est en effet très peu probable, comme le signale Paul Krugman (« sans la France, il n’y a plus d’euro », Paul Krugman, New York Times, 08/04/2013), que l’euro puisse survivre à un départ de la France. L’ensemble des pays d’Europe du Sud, mais aussi probablement l’Irlande et la Belgique, lui emboiteront le pas. Si une forme d’euro perdurait, elle ne serait alors, encore plus qu’aujourd’hui, qu’un euro-mark dans les mains exclusives de l’Allemagne, suivie docilement par ses satellites.
[iii] Philippe Séguin, Discours à l'Assemblée nationale, 05/05/1992.
[iv] Sur ce point les propositions de Pierre Rimbert (Projet pour une presse libre, Pierre Rimbert, Le Monde diplomatique, dec-14) offre des pistes qui méritent amplement d’être étudiées.