Ce qu’est le FN, ce qu’il n’est pas (suite d'articles sur les Fronts de libération contre l'euro-austérité)
Série de billets sur les "Fronts" de libération contre l'euro-austérité.
Déjà paru :
souveraineté populaire versus souveraineté nationale
L’impasse d’une gauche radicale solitaire
Que le FN continue, malgré ses retournements de façade, à patauger dans la fange de l’extrême-droite demeure factuel[i]. L’opportunisme à surfer sur les mécontentements, la démagogie et une xénophobie rampante fondent la catégorisation du FN en parti d’extrême-droite[ii]. Mais c’est une extrême droite d’une grande banalité et surtout, n’en déplaise aux ratichons de l’antifascisme, nullement fasciste. Pour que le parti de la famille Le Pen puisse être considéré comme tel, il devrait prôner ouvertement l’instauration d’une dictature nationaliste sur la base d’un parti unique fusionnant avec l’Etat, voire avec l’ensemble de la société (car c’est bien là la définition du fascisme). Non seulement il n’en est rien, mais en outre, même s’il en avait la volonté, face à la résilience tant des institutions de la Ve République que de l’ensemble de la société française, il n’aurait, ni aujourd’hui, ni dans un proche avenir, nullement les moyens de sa politique. Cela, même Lionel Jospin a fini par le reconnaître en avouant que « pendant toutes les années du mitterrandisme, nous n’avons jamais été face à une menace fasciste, donc tout antifascisme était du théâtre. Nous avons été face à un parti, le Front national, qui était un parti d’extrême-droite, un parti populiste à sa façon, mais nous n’avons jamais été dans une situation de menace fasciste et même pas face à un parti fasciste »[iii]. L’antifascisme de théâtre est certes un autre confort intellectuel – qui évite toute réelle réflexion programmatique – mais il ne fait guère avancer le débat.
Le procès en racisme du FN n’est guère plus pertinent. Que le FN soit un parti ouvertement xénophobe (c’est-à-dire fondant une partie de son programme sur le rejet de l’étranger), bien sûr. Que M. Le Pen père ait pu tenir des propos ouvertement racistes et que dans les tréfonds des manifestations de ce parti, on puisse trouver quelques ramassis d’imbéciles qui ont la sottise de croire à l’inégalité des races, ce sont des faits. Mais que l’on présente en quoi, alors même que par ailleurs il commence à approfondir son électorat dans les milieux issus de l’immigration[iv], le programme du FN se baserait sur des éléments raciaux. Et s’il si aventurait, le clivage généré par une telle position lui interdirait tout capacité de développement au-delà des quelques 10-15% qui étaient les siens il y a encore peu. C’est bien ce qu’a compris Marine Le Pen et qui a initié toute sa politique de « dédiabolisation ».
Là où par contre Frédéric Lordon touche pleinement juste, c’est lorsqu’il affirme « Le FN est un invertébré idéologique quand il s’agit d’économie, il n’a d’autre boussole que l’opportunisme »[v]. Le positionnement économique du FN, il y a quelques années ultra-libéral et aujourd’hui interventionniste et étatiste, est en effet criant d’opportunisme. C’est ce qui fonde toute sa force. Mais aussi sa faiblesse. En jouant du grand écart idéologique, il fédère les mécontents, ceux qui veulent renverser la table. Mais cela ne s’arrête pas là, car dans cela rien de bien nouveau depuis les années 1980. Ce qui permet aujourd’hui au FN de décoller, c’est SA perspective de victoire : cette opportunité, issue du vide ambiant généré par les divisions des autres (les véritables souverainistes), qui fait qu’il est à présent le seul, paradoxalement, à pouvoir se présenter comme en mesure de de renverser la table. Et le paradoxe n’est pas des moindres car, comme le souligne pour le coup justement Frédéric Lordon dans sa tribune[vi], il y a fort à parier que la table conquise, le FN se fera fort de se faire racheter par l’oligarchie pour que la fameuse table, notamment celle de l’euro, reste debout. Il n’empêche qu’il y a fort à penser que plus la perspective de l’accès au pouvoir du FN deviendra une réalité, plus son fameux « plafond de verre » se fissurera. Le FN serait donc en pleine dynamique d’autostimulation.
La lutte contre le FN s’assimile donc à un combat de judo. Il s’agira de l’attirer à soi pour transformer sa force en ce qu’elle est vraiment : une faiblesse. Il ne s’agit pourtant nullement de mener alliance avec lui (et ce n’est d’ailleurs pas du tout ce que préconise Jacques Sapir). Mais force est d’admettre que le FN, mais surtout derrière lui ses militants et ses électeurs, n’est pas la « bête immonde » que certains s’obstinent à décrire. Une part importante de ce parti répugne tout républicain – et encore plus tout homme de gauche -, et lorsqu’en 2007 Nicolas Dupont-Aignan avait admis pouvoir accepter, sous conditions, de gouverner avec des personnalités issues du FN (et non le FN lui-même), il avait révulsé bon nombre de républicains (dont l’auteur de ces lignes). Il avait pourtant probablement raison avant l’heure. En effet, dès lors qu’un Front trans-partisan de souverainistes se mettrait en place sur la base de l’essentiel qui puisse faire corps aujourd’hui pour le rétablissement de la souveraineté et de la démocratie, et dès lors que ce Front pourrait se mettre en possibilité d’accéder au pouvoir, il viderait le FN de sa principale perspective de briser son « plafond de verre » décrite supra. Il ne resterait alors plus qu’à recueillir au sein de ce Front, les membres du FN de bonne volonté (et il y en a), toujours dans le cadre de son programme commun et dans l’esprit du Conseil National de Résistance. N’oublions pas que le secrétaire de Jean Moulin et résistant dès juin 1940, Daniel Cordier, était un ancien militant de l’Action française (mouvement autrement plus extrémiste que le FN) …
Il en va donc ainsi que la constitution d’un tel front de rassemblement des souverainistes, de gauche comme de droite, est très probablement non seulement l’optique la plus réaliste (sinon la seule) de « renversement de la table » mais aussi la meilleure stratégie de lutte contre le FN en le vidant de sa substance opportuniste et par la même de ces conditions d’existence, si ce n’est un presque anecdotique conglomérat hétéroclite de xénophobes et d’excités en mal d’existence (ceux-là étant, de bien entendu, à conserver en état d’ostracisme politique).
A paraître :
Les conditions d’un rassemblement.
[i] Pour s’en convaincre, on pourra se remémorer le comportement de M. Gollnisch et de ses affidés lors du dernier 1er mai.
[ii] En cela M. Sarkozy et les cadors des (faux) « Républicains » (ex-UMP) peuvent ainsi également être assimilés à l’extrême-droite.
[iii] France Culture, 29 septembre 2007.
[iv] Ils sont arabes, noirs, et musulmans et ils votent pour le Front National, Global Voice, 01/06/2014.
Ces enfants d’immigrés qui votent FN, VSD, 31/03/2011.
[v] Frédéric Lordon, La Malfaçon, monnaie européenne et souveraineté démocratique, Les Liens qui libèrent 2014, page 241.