Le rapport à l’inconscient : tu libéreras tes pulsions et tu chercheras une jouissance sans limites ! (10e commandement du postmodernisme)
Suite des recensions sur l’ouvrage de Dany-Robert Dufour, Le Divin Marché (Denoël 2007)
Lire également
le 1er commandement (le rapport à soi, tu te laisseras conduire par l'égoïsme).
Le 6e commandement (Le rapport au savoir : tu offenseras tout maître en position de t’éduquer).
Le 7e commandement (tu ignoreras la grammaire et tu barbariseras le vocabulaire).
Le 8e commandement (Le rapport à la loi : tu violeras les lois sans te faire prendre).
Dany-Robert Dufour relève ce paradoxe : le marxisme n’est finalement qu’un économisme (il place lui aussi l’homo economicus au centre de tout), ce qui en fait une idéologie très proche du postmodernisme (et cela explique d’ailleurs sans doute comment des marxistes des années 1960 ont si facilement tourné casaque pour se convertir à l’idéologie du marché). Marx n’est pas si loin de Quesnay, Smith et Ricardo. Tout juste les a-t-il subvertis en allant encore plus loin dans l’économisme. Et c’est ce qui fait que le marxisme a échoué à être une véritable alternative au libéralisme et s’est contenté d’être « un produit dérivé dogmatisant à outrance la primauté de l’économie ». Et c’est, peut-être, ce qui permet aux Chinois d’être simultanément communistes et libéraux (page 363).
A l’initiative Mandeville et Smith, le libéralisme se base, avant toute autre chose, sur l’exaltation de l’égoïsme individuel, en conséquence de quoi le libéralisme se traduit par la libération des pulsions et des passions. Dans le libéralisme, il n’y a pas de refoulement, pas de surmoi et donc pas d’inconscient, même si le refoulement est nécessaire à la préservation de la cohésion du groupe social (pages 373-375). « Au nom du « droit à la parole et la différence », aucun mode de jouissance ne peut être interdit ». Mais on ne gomme pas cela d’un trait le surmoi. Dans le libéralisme postmoderne, il est toujours présent mais s’exprime à contretemps. Soit il survient trop tôt, barre la route au désir et oblige à la jouissance (cf. Lacan), se déconnectant alors de toute loi commune et s’exprimant par le populisme, le communautarisme et le sectarisme. Soit, il murmure à peine et de toute façon trop tard : c’est « le crime paye » des rappeurs du groupe Lunatic (page 378).
Ce décalage se retrouve aussi dans l’organisation de la famille postmoderne. Dans le complexe d’Œdipe, le surmoi nait avec le non du père dans la querelle qui l’oppose à l’enfant au sujet de la mère (et le nom du père hérité par l’enfant est peut-être tout simplement la traduction de ce non du père) (page 379). Pour justifier cette autorité, ce non du père, les pères se sont appuyés sur les Grands récits en se présentant comme les délégués d’un grand Sujet, d’un Absolu (page 385). La déconstruction du surmoi enchaîne donc tout un schéma logique : déconstruction de la common decency¸ de l’autorité paternelle et de toute forme de Grand récit (et donc d’Absolu) (page 386).
A suivre : la gauche et le postmodernisme (conclusion)