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L'Oeil de Brutus

La Grèce peut-elle vraiment être exclue de la zone euro ?

18 Janvier 2015 , Rédigé par L'oeil de Brutus Publié dans #Idées

La Grèce peut-elle vraiment être exclue de la zone euro ?

 

 

 

C’est une question qui fait vivement débat depuis l’annonce des élections anticipées en Grèce, pour lesquelles le parti Syriza est donné grand favori.

S’il est bien évidemment convenu dans les débats que rien dans les traités européens ne prévoit une sortie volontaire de la zone euro de l’un de ses membres, la question symétrique est, étonnamment, rarement abordée. Pourtant, sa réponse est tout aussi simple : rien dans les traités ne prévoit d’exclure un membre. Même si, par ailleurs, tout un lot de mécanismes de sanctions, plus ou moins arbitraires, est prévu, sanction ne vaut pas exclusion. Mme Merkel, la Commission européenne, la BCE et tous les quidams européistes peuvent trépigner, piaffer, s’égosiller tant qu’ils veulent : ils n’ont à leur disposition aucun instrument juridique pour exclure la Grèce – ou tout autre membre – de la zone euro[i].

Alors, comme le fait Romaric Godic dans un article de la Tribune (repris ici par Les Crises[ii]), on peut toujours estimer que la Banque centrale européenne (BCE) coupera les vivres au récalcitrant – en pratique la Grèce si Syriza remporte les élections -. Certes. Mais, nonobstant le fait que cela ne vaut toujours pas exclusion de la zone monétaire, c’est oublier un détail, et non des moindres : dans l’eurosystème, chaque pays membres a conservé sa propre banque centrale, certes théoriquement aux ordres de la BCE mais en pratique demeurant la propriété des Etats[iii]. La BCE pourra donc toujours « couper les vivres », tout cela n’est que théorique car il suffit alors à l’Etat concerné de réquisitionner sa propre banque centrale et de lui ordonner d’alimenter son marché monétaire en … euros !

C’est ici bien sûr une violation flagrante des traités. Mais là non plus, les traités européens ne prévoient pas d’exclure ceux qui les violent (au passage la France et l’Allemagne – et bien d’autres – qui  ont sans vergogne violé le Pacte de stabilité mériteraient alors tout autant l’exclusion). Quelles mesures de rétorsion imaginer ? Infliger une amende ? Il suffirait de faire tourner la planche à billets pour la régler en … euros ! Le dernier recours restant alors à Mme Merkel et ses sous-fifres (notre Président en tête) serait d’envoyer leurs chars s’emparer de l’Acropole. On connaît le peu d’attachement à la démocratie de la nomenklatura européiste – et les interventions allemandes, comme celle auparavant du sieur Moscovici, dans le processus électoral grec l’ont une nouvelle démontré -, mais, là, ce serait tout de même pousser les choses bien loin et on peut franchement douter qu’une telle extrémité puisse advenir.

A l’aune de ces analyses, on mesure alors tout le désarroi dans lequel doit se trouver à l’heure actuelle cette nomenklatura. Et surtout, la position de Syriza et de son leader, M. Tsipras, vis-à-vis de l’euro (ils affirment ne pas vouloir en sortir) apparait bien plus cohérente. En effet, dès lors qu’ils seront au pouvoir et mettront en œuvre leur programme tournant le dos à l’austérité, ce ne sera pas eux qui voudront sortir de l’euro, ce seront les autres qui leurs supplieront de le faire ! Syriza pourra en outre d’autant mieux initier une politique de la demande, ré-évaluer les salaires des fonctionnaires, remettre en état le système de santé et les systèmes sociaux, lancer de grands investissements publics, dénoncer tout ou partie de leur dette (etc.) qu’en faisant tourner la planche à billets, certes grecque mais toujours en euro, que l’inflation que celle-ci pourrait générer s’en trouverait en partie noyée dans la quasi-déflation des autres !

Dans cette construction kafkaïenne qu’est l’euro (et d’une manière plus générale l’union européenne), la position de faiblesse n’est donc pas là où on le croit : c’est l’Allemagne de Mme Merkel qui se trouve aujourd’hui dans une terrible impasse.

Ce qui est d’autant plus triste dans cette affaire c’est que ce qui vaut pour la Grèce vaut tout aussi bien, et même encore plus du fait de son poids économique et diplomatique, pour la France ! Mais pour cela, encore faudrait-il qu’elle ait à sa tête des dirigeants qui aient au moins une vague idée de ce qu’est le courage politique et l’intérêt général.

En tout état de cause, si l’arrivée au pouvoir de Syriza venait à se confirmer il y a un petit quelque chose qui, tel un boomerang, va revenir un plein visage des européistes de tous poils : cela s’appelle la souveraineté. La souveraineté d’un peuple à choisir ses dirigeants, à reprendre la main sur sa banque centrale, donc sa monnaie, donc son économie. Tout simplement : se créer son propre destin selon sa propre volonté. Bref, juste la démocratie …

 

 

PS du 19/01 : Jacques Sapir avait, dès 2011, parfaitement explicité le système de réquisition d'une Banque centrale par son propre Etat. A lire ici : http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/12/01/requisitionnons-les-banques-centrales_1611913_3232.html

 

[i] N’étant pas juriste de formation, c’est ici la lecture toute personnelle que je fais des traités (mais, sur ce sujet précis, j’ai du mal à en concevoir une autre). Bien évidemment, si un spécialiste de la question a des précisions à apporter sur le sujet, il sera le bienvenu.

[ii] Sur le même sujet, lire cet excellent billet de Jacques Sapir : La Chancelière et les aveugles, russeurope, 04-janv-15.

[iii] Lire par exemple la fiche Wikipédia de la Banque de France : http://fr.wikipedia.org/wiki/Banque_de_France

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