Quinquennat et déliquescence de la Ve République
Quinquennat et déliquescence de la Ve République
Billet également publié sur Gaulliste libre
M. Jean Massot publiait il y a peu une tribune sur le site du Monde pour défendre le système de mandat à 5 ans du président de la République (Le quinquennat n'a pas à être le bouc émissaire de la désaffection à l'égard du politique).
Il faut bien l’avouer : une bonne partie de ses arguments en eux-mêmes sont justes.
Ainsi, l’hyper-présidentialisation et la personnalisation du combat politique ne sont pas des tares spécifiques au quinquennat. La médiatisation et la « people-isation » du politique y sont bien plus pour quelque chose. De même, la bipolarisation politique de notre pays est bien antérieure à l’instauration du quinquennat.
La manière dont M. Massot récuse le lien entre quinquennat et obsession de l’élection suivante est par contre beaucoup plus discutable. La lecture du Verbatim de Jacques Attali sur le premier mandat de François Mitterrand[i] est on ne peut plus éclairante sur la question. Le premier président socialiste de la Ve République se moquait des élections législatives de 1986 comme de sa première chemise. Il est même probable que, avant tous les autres, le monstre politicien qu’il était avait perçu tout l’intérêt d’une cohabitation pour la réélection du président en place. Celui-ci, en effet, tout en se mettant au-dessus de la mêlée, s’en trouvait confronté à une adversaire miné par l’usure du pouvoir sans que ce phénomène ne le touche lui-même. A l’opposé, si Valéry Giscard d’Estaing avait perdu les législatives de 1978, il est fort probable qu’il aurait grappillé les quelques pourcents qui ont manqué à sa réélection sur son adversaire socialiste de 1981 qui, dans cette perspective, aurait été pour le coup, lui, confronté à l’usure du pouvoir. Il n’est en outre pas impossible qu’un autre monstre politicien de la Ve République ait fait un calcul du type « face je gagne tout de suite, pile ils perdent à moyen terme » en dissolvant l’Assemblée nationale en 1997 : dans la première hypothèse, notre « roi fainéant » se ménageait un septennat de tranquillité en s’appuyant sur un ou des premiers ministres qu’il pouvait désavouer à loisir, dans la seconde il mettait la « gauche » (si on peut encore l’appeler ainsi) aux responsabilités, face à ses irresponsabilités et ses incohérences. La 2e hypothèse s’est réalisée et a ainsi permis sa réélection. Il est d’ailleurs dans le registre du possible que, en dernière extrémité face à son impopularité extrême, François Hollande procède de même dans l’année qui vient (par exemple à l’issue des élections régionales de 2015). Il confierait ainsi les rênes du pouvoir à une droite divisée, minée par les affaires et peut-être même contrainte à une alliance avec le Front national pour qu’il puisse prétendre à être le représentant dit « républicain[ii] » au 2e tour des présidentielles de 2017 face à Marine Le Pen.
Au-delà des jeux politiciens, le septennat avait donc l’immense avantage de faire décoller le chef de l’exécutif du temps électoral et donc de l’engager sur le long terme et potentiellement dans les réformes supposées impopulaires. « Ce qui est salutaire à la nation ne va pas sans blâmes dans l’opinion, ni sans pertes dans l’élection » affirmait le général de Gaulle. Or, justement, avec le septennat qu’il avait si bien pensé, le président de la République pouvait s’attacher au salutaire de la nation sans craindre les pertes de l’élection suivante. Ce n’est aussi pas pour rien que la politique étrangère et la défense sont naturellement devenues des « domaines réservés » de l’hôte de l’Elysée : ce sont deux axes politiques qui s’apprécient sur le long terme, voire sur le très long terme. Or, force est de constater que depuis l’instauration du quinquennat, ces deux domaines sont beaucoup moins « réservés » qu’ils ne l’étaient, devenant ainsi des variables d’ajustement du court terme, ce que nous risquons fort de payer très cher un jour.
Par ailleurs, comme je le disais déjà précédemment[iii], en calquant, le temps présidentiel sur le temps parlementaire, le quinquennat empêche le Président de tenir son rôle d’arbitre national. Ce faisant, il s’enterre dans les basses préoccupations politiciennes du quotidien. Soumis à la même échéance électorale que les députés, il travaille à sa réélection et n’a plus cette approche à long terme. Il devient chef de parti, pour ne pas dire de clan, et perd donc son rôle d’arbitre. Englué dans les questions de politiques intérieures, il est moins audible sur les questions de politique internationale. Alors qu’avec le septennat, le Président se consacrait naturellement au temps long et le 1er Ministre au temps court, l’un et l’autre se marchent désormais dessus et personne ne projette la France dans l’avenir. En pratique, et contrairement à nombre de commentaires journalistiques, le quinquennat n’a pas transformé le Président en « hyper-président », mais plutôt un « hypo-président », sorte de 1er ministre bis, reléguant l’hôte de Matignon au rang de simple « collaborateur », pour reprendre une certaine expression désormais bien connue.
C’est ainsi qu’abâtardie, notre République n’a plus grand-chose de présidentielle puisqu’elle confie l’essentiel des pouvoirs à un chef de clan, ce clan étant, par la force de l’organisation quasi-conjointe des élections présidentielles et législatives (et peu importe l’ordre dans lequel ces deux élections se déroulent), celui qui est le mieux représenté au Palais Bourbon.
Certes, il ne s’agit pas de faire du quinquennat un bouc émissaire facile car le fond de notre dégénérescence institutionnelle réside ailleurs : la professionnalisation progressive de la politique depuis les années 1980 a accouché d’un régime présidentialo-parlementaire – ou plutôt « clano-parlementaire » - dans lequel le chef du parti majoritaire à l’Assemblée est aussi chef du gouvernement et de l’Etat. C’est plus de l’hyper-parlementarisme que du présidentialisme ! Tout juste, par rapport aux régimes antérieurs des 3e et 4e Républiques, consent-on à ce que le chef de clan ne soit pas renversé par une nouvelle majorité tous les quatre matins. La stabilité dans la médiocrité. Le mal est donc bien là : professionnalisation de la politique. Son origine est profonde. D’une part, il est propre à toute évolution « naturelle » de tout régime politique qui tend, progressivement et dans le temps, à favoriser l’accaparement du pouvoir par un groupe de plus en plus restreint. Mais d’autre part, il a aussi connu une fantastique impulsion depuis l’arrivée au pouvoir du PS en 1981. Lorsque François Mitterrand s’empare de l’Elysée en 1981, les nouveaux impétrants du pouvoir ne cachent leur méfiance à l’égard d’une haute fonction publique qu’ils supposent idéologisée par plusieurs décennies de pouvoir concentré dans les mains de la droite. Pour contrebalancer ces hauts fonctionnaires, la gauche va alors confier de plus en plus de prérogatives aux cabinets ministériels qui, d’autrefois simples gestionnaires de l’emploi du temps du ministre, vont devenir de véritables organes politiques chargés à la fois de mettre au pas les fonctionnaires et de surveiller les agissements du ministre pour ne pas qu’il s’écarte de la ligne fixée par le sommet de l’exécutif ou … les membres non élus de l’oligarchie[iv]. C’est alors à un véritable démantèlement de la haute fonction publique que l’on assiste[v]. Le mouvement se poursuit au niveau local avec les différentes étapes de la décentralisation. Celle-ci accorde à l’élu qui veut se muer en potentat local des pouvoirs non négligeables, à commencer par celui de recruter librement leurs propres collaborateurs[vi]. Communes, communauté de communes, conseils départementaux et régionaux, ministères : tous ont ainsi leurs propres cabinets dont les membres sont contractuellement recrutés et ont quasiment droit de vie et de mort sur l’administration qui dans les faits s’en trouve placée sous leur tutelle. C’est là une formidable usine à clientélisme et népotisme qui s’est instituée. Une fois revenue au pouvoir en 1986, puis ultérieurement, la droite n’y a bien sûr rien trouvé à redire, bien au contraire … Et qui retrouve-t-on dans cet univers de « prébendes et petits plaçous » que forme les cabinets ? Les élus de demain. C’est là que trouve sa naissance la véritable professionnalisation de la politique et la dégénérescence de notre République. Un simple coup d’œil sur les fiches Wikipédia des ministres du gouvernement actuel comme des précédents suffit à le confirmer : ils ont tous, ou presque, commencé leur « carrière » politique dans ces cabinets (au passage sans jamais avoir réellement travaillé[vii]) plus ou moins obscures avant d’un gravir les échelons en tissant leurs réseaux. C’est contre cela qu’il faut agir. Le quinquennat n’est certes pas le « bouc émissaire » mais il contribue amplement à cette clientélisation professionnelle de la politique. Et pour sortir de cette ornière, les leviers ne manquent pas : interdiction du cumul des mandats, limitation du nombre de mandats consécutifs, diminution drastique du nombre de poste d’élus (notamment par une vaste réforme territoriale et non le grand-guignolisme institutionnel actuellement proposé), limitation du rôle des cabinets, mise en place d’âge plancher (par exemple 35 ans) et plafond (par exemple 67 ans) pour accéder à une fonction élective rémunérée, etc.[viii]
[i] Jacques Attali, Verbatim, Fayard 1993.
[ii] Mais à y regarder le comportement oligarchique, la soumission éhontée à la finance et l’imposition au peuple français de traités dont il ne veut pas, le PS – comme l’UMP – ne sont finalement guère plus républicains que le FN, celui-ci conservant par ailleurs, comme le soulignent très bien Laurent Pinsolle et Natacha Polony, toutes les caractéristiques du démagogisme extrémiste.
[iii] Bonapartisme ET constituante, ainsi que Projet de Constitution.
[iv] On relèvera ainsi l’omniprésence des représentants du monde de la finance dans les cabinets ministériels. Cf. notamment Le PS et ses « ennemis » de la finance.
[v] Lire sous la direction de Laurent Bonelli et Willy Pelletier, L’Etat démantelé, La Découverte 2010.
[vi] Ces travers sont magistralement décrits par Zoé Shépard dans Absolument débordée, ou le paradoxe du fonctionnaire, Points 2011.
[vii] On remarquera que le reproche récurrent qui est fait à la surreprésentation de fonctionnaires à l’Assemblée nationale et au Sénat ne va pas jusqu’au bout de la logique : si effectivement nombre d’élus bénéficie du statut de fonctionnaires, une analyse un peu plus poussée des CV des élus démontre qu’ils n’ont bien souvent jamais, ou presque, exercé réellement dans la fonction publique. En prenant l’exemple du premier d’entre eux, notre président de la République, on pourra constater que sorti de l’ENA en 1980 – donc à ce titre « fonctionnaire » - François Hollande était dès 1981 « chargé de mission » auprès de François Mitterrand à l’Elysée …
[viii] Lire également L’œil de Brutus, Propositions citoyennes pour la France, 01/02/2012.