LE TRAITE TRANSATLANTIQUE, OU LE VRAI VISAGE D’UNE UNION EUROPENNE QUI SE PREPARE, DANS LE SECRET ET HORS DE TOUT CADRE DEMOCRATIQUE, A METTRE L’EUROPE SOUS LA COUPE REGLEE DES LOBBYS DES MULTINATIONALES AMERICAINES (mis à jour 03/01/14).
Note du 03/01/2014 : sur le sujet du TTIP on pourra également se référer à l'analyse réalisée sur le blog Les Dessous de Bruxelles, qui rejoint la mienne sur la quasi totalité des points : http://dessousdebruxelles.ellynn.fr/spip.php?article211
Avant l’été, Jean-Michel Quatrepoint avait déjà tiré la sonnette d’alarme : L’accord commercial transatlantique sera une catastrophe pour la France. Mais il était encore quelque peu optimiste. Car sur le sujet du TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership), l’Union européenne montre clairement son vrai visage, tant sur le fond (les dogmes néolibéraux libre-échangistes, instruments au service des lobbys des multinationales), que sur la forme (la mise à l’écart de tous les acteurs représentant un tant soit peu le processus démocratique : élus, gouvernements nationaux, société civile).
Sur son blog, Magali Pernin vient justement de publier une remarquable série d’articles relevant, malgré le sceau du secret qui entoure les négociations du TTIP, toute une série de faits démontrant clairement le caractère anti-démocratique de l’Union européenne et comment elle n’est qu’un instrument au service de lobbys.
Rappelons en préambule les principes généraux du TTIP. Il s’agit de mettre en place une zone de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis. La « gestion » de cette zone serait confiée à une autorité indépendante (probablement du type BCE …) chargée d’arbitrer les litiges entre les Etats et les multinationales qui pourraient reprocher aux premiers de ne pas respecter les éléments du dit traité. Dans cette affaire, les Etats souverains sont donc placés sur le même pied que n’importe quelle entreprise, le tout sous l’autorité « de droit divin » d’un organisme indépendant, sans possibilité d’appel. Comme le souligne Lori Wallach dans les colonnes du Monde diplomatique[i] il s’agit ni plus ni moins que de mettre en place un système dans lequel les « multinationales (pourront) traîner en justice les gouvernements dont l’orientation politique aurait pour effet d’amoindrir leurs profits ». Et pour couronner le tout : les fameux éléments du traité sont négociés dans le plus grand secret, ce qui en dit long sur l’esprit qui préside à ces négociations.
Voici justement quelques éléments :
- Le TTIP contiendrait des éléments sur les droits de propriété intellectuelle. Ce faisant, la Commission européenne outrepasse clairement son mandat, qui plus est en négociant directement avec les représentants des industriels[ii].
- Ainsi s’est déroulé dans les bureaux de la Chambre américaine de commerce à Bruxelles, une réunion de deux heures entre des représentants de la Commission et des délégués de (entre autres) Time Warner, Microsoft, Ford, LVMH, Nike, General Electric, Disney[iii].
- Pendant cette réunion, se serait élaborée une stratégie de campagne visant à « éduquer » le public[iv] tout en écartant du débat public les possibilités de critiques émanant du Parlement européen ou de la société civile[v].
- Toujours lors de cette réunion, Velasco Martins, le représentant de la Commission européenne en charge des questions de propriété intellectuelle dans le cadre du TTIP, aurait déclaré « Je suis heureux que la lumière n’ait pas été faite sur nos activités ».
- Le TTIP mettrait en place des procédures si lourdes et soumises à de telles négociations qu’elles rendraient quasi impossible toutes tentatives de régulations[vi].
- Même s’ils ne sont pas directement inclus dans l’accord, le système de coopération réglementaire (basé en fait sur le moins-disant réglementaire …) pourrait permettre à terme aux industriels américains d’imposer aux Etats européens la commercialisation de leurs OGM, de leurs poulets chlorés ou encore de leurs bœufs aux hormones[vii].
- Craignant des fuites qui pourraient alerter la société civile, les autorités américains ont exigé, et obtenu, que les documents de négociations ne soient pas transmis aux gouvernements nationaux des membres de l’UE[viii].
- Parallèlement, les institutions de l’UE (Commission mais aussi Parlement européen) refusent que les parlements nationaux soient associés de quelques manières que ce soit à la « gouvernance économique » de l’UE[ix].
- Une fois adoptées, les dispositions du traité ne pourront être modifiées qu’à l’unanimité des pays signataires ce qui, en pratique, interdit tout retour en arrière sauf dénonciation unilatérale du traité[x].
- Dans la lignée des récentes dispositions de l’OMC[xi], toute forme de label, notamment en ce qui concerne la présence ou non d’OGM, pourrait être interdite au motif d’entrave au libre-échange.
- Les « magistrats » qui composeront l’autorité d’arbitrage des litiges n’auront évidemment aucun compte à rendre devant de quelconques électeurs. Encore plus fort : ils pourront tour à tour siéger en tant que juge puis en tant qu’avocat d’un Etat ou d’une multinationale. On patauge en plein conflit d’intérêts[xii].
- Les investissements des entreprises devront bénéficier d’un cadre réglementaire conforme à leurs « prévisions », ce qui revient à dire qu’une fois un investissement réalisé, il sera strictement interdit à un Etat de revoir tout ou partie d’une législation le concernant qui puisse porter atteinte à cet investissement[xiii]. Exemple simple : une fois qu’Amazon aura « investi » en mettant en place un de ses dépôts en France, le droit du travail ne pourra évoluer qu’en sa faveur, en aucun cas en sa défaveur.
- Le secteur de la finance serait particulièrement actif sur la teneur du traité : « Le cadre qu’ils veulent mettre en place prévoit de lever tous les garde-fous en matière de placement à risques et d’empêcher les gouvernements de contrôler le volume, la nature ou l’origine des produits financiers mis sur le marché. En somme, il s’agit purement et simplement de rayer le mot « régulation » de la carte »[xiv].
- L’industrie agroalimentaire américaine entend obtenir la fin de la règle européenne qui interdit les poulets désinfectés au chlore, tout comme elle déplore l’interdiction des viandes additionnées de béta-agonistes, comme le chlorhydrate de ractopamine[xv].
Devant un tel mépris de l’intérêt public et de la démocratie, peut-on encore estimer que les partis français qui soutiennent la « construction » européenne (PS, EELV, MODEM, UDI, UMP[xvi]) sont des républicains et des démocrates ? Comment ne pas s’étonner alors de la montée du Front National ? Comment en effet prendre au sérieux les procès en « antidémocratie » qui lui sont fait par une oligarchie qui a mis en place un tel système[xvii] ?
A quelques mois des élections européennes, si vous aviez encore des doutes sur ce qu’il s’agit de faire de votre bulletin de vote, les éléments ci-dessus devraient vous les avoir retirés. Et nous ne nous abusons pas : l’abstention ne ferait que profiter aux idéologues européistes. A contrario, l’envoi massif de députés eurosceptiques au Parlement de Strasbourg sera probablement en mesure de faire trembler l’édifice.
Origine de l’illustration : http://www.bilaterals.org/?ustr-hearing-on-ttip&lang=en
[i] Lori Wallach, Le Traité transatlantique, un typhon qui menace les Européens, Le Monde diplomatique, novembre 2013.
[ii] Cf. Magali Pernin, Contre la Cour, Propriété intellectuelle : la Commission outrepasse son mandat en négociant avec les industriels américains.
[iii] Id.
[iv] Ce que l’UE entreprend déjà largement par ailleurs : lire QUAND LA COMMISSION EUROPENNE SE LANCE DANS LA PROPAGANDE ORWELLIENNE et TECHNOCRATIE EUROPEENNE ET MANIPULATION DE L'INFORMATION, BIS REPETITA .
[v] Id.
[vi] Cf. Magali Pernin, Contre la Cour, Marché transatlantique: un document confidentiel confirme les pouvoirs accrus des entreprises.
[vii] Id.
[viii] Cf. Magali Pernin, Contre la Cour, Marché transatlantique : les gouvernements nationaux privés d’accès aux documents de la négociation.
[ix] Cf. Magali Pernin, Contre la Cour, L’Union européenne refuse d’intégrer les Parlements nationaux à la gouvernance économique
[x] Cf. Lori Wallach, ibid.
[xi] Qui, par exemple, a condamné en 2012 les Etats-Unis pour leurs boîtes de thon labellisées « sans danger pour les dauphins » au motif d’entrave au libre-échange. De même l’Union européenne a été condamnée par l’OMC à des pénalités de plusieurs centaines de millions d’euros pour son refus d’importer des OGM. Cf. Lori Wallach, ibid.
[xii] Cf. Lori Wallach, ibid.
[xiii] Cf. Lori Wallach, ibid.
[xiv] Cf. Lori Wallach, ibid.
[xv] Cf. Lori Wallach, ibid.
[xvi] On relèvera également la position pour le moins ambigüe du Front de Gauche sur la question européenne.
[xvii] Ne soyons cependant pas naïf sur la nature du parti de la famille Le Pen : ce n’est pas parce que les donneurs de leçons du politiquement correct n’ont plus aucune crédibilité que d’un seul coup le FN en gagne une blancheur immaculée. Il demeure un parti opportuniste qui joue sur les mécontentements (un jour ultralibéral, le lendemain protectionniste et interventionniste) et les peurs (de l’étranger, du chômage, du déclassement, etc.) pour proposer un programme qui n’a pour seule cohérence que de tenter de rallier les déçus des partis dits de gouvernement, tout en continuant à cultiver sa base xénophobe (voire foncièrement raciste) et autoritariste, le tout dans la longue tradition de l’extrême-droite française (des monarchistes ultras à l’OAS, en passant par les antidreyfusards les plus féroces, les ligues, l’Action française, Vichy ou encore le poujadisme).