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L'Oeil de Brutus

QU'EST-CE QUE LE KEYNESIANISME (maj 17/11/13)

1 Novembre 2013 , Rédigé par L'oeil de Brutus Publié dans #Idées

QU'EST-CE QUE LE KEYNESIANISME (maj 17/11/13)

QU’EST-CE QUE LE KEYNESIANISME

En complément, on pourra aussi lire cet excellent article de Jacques Sapir sur la pensée de Keynes : http://russeurope.hypotheses.org/1672

Effet de mode propagandiste ou simple conjoncture, fleurissent ces dernières semaines de multiples articles pour dénoncer les travers de la politique (supposée) keynésienne menée par M. Hollande[i]. Or, parler de keynésianisme pour définir la politique (ou plutôt la non-politique) de l’actuelle clique au pouvoir relève soit d’une profonde méconnaissance de la pensée de l’auteur de la Théorie générale, soit d’une patente mauvaise foi, soit, plus probablement, des deux.

Pour comprendre le fondement de la pensée keynésienne, il faut revenir quelque peu en amont de l’histoire de la pensée économique.

En effet, quelques décennies avant Keynes, Karl Marx démontre dans Le Capital le caractère profondément « crisogène » du capitalisme moderne (cette démonstration est reprise et magistralement approfondie par Thomas Piketty dans Le Capital au XXIe siècle). La concentration du capital générée par l’économie capitaliste induit obligatoirement un découplage de la production et de la consommation : une part importante de ce qui est prélevé pour rémunérer le capital s’accumulant dans les mains des « capitalistes » ne repart pas dans la consommation ; on se retrouve alors indubitablement, à un moment ou un autre, en situation de surproduction, entrainant alors un effondrement des prix et une crise économique. Le phénomène peut tout juste être compensée par un recours massif au crédit (public ou privé, peu importe), mais ceci ne fait que retarder l’échéance en transférant le mécanisme de bulle de la production vers le crédit (et plus globalement la finance), ce qui fait que la chute sera encore plus rude. C’est ce que nous avons connu en 2008.

Ce phénomène n’est, à ma connaissance, nié par aucun économiste majeur, même les plus libéraux. Seuls les remèdes (ou les non-remèdes …) qui sont préconisés à ce phénomène cycle de crise diffèrent.

Pour en sortir, Marx proposait une modification radicale des fondements économiques et sociaux des sociétés. Cette solution a montré son échec à travers toutes les expérimentations où elle a été menée[ii]. Le problème étant probablement que, ne tournant nullement dos au matérialisme de principe (et donc au consumérisme) qui fait l’essence même du libéralisme économique, le marxisme s’est avéré être bien plus un avatar du libéralisme qu’une réelle alternative.

A l’opposé, les courants, très variés, du libéralisme, admettant effectivement le caractère cyclique des crises lié au fondement même du capitalisme, préconisent, peu ou prou le laisser-faire : c’est la fameuse « destruction créatrice » de Joseph Schumpeter. Il s’agit tout simplement de laisser le marché détruire les fonctions surproductrices (et souvent dépassées) pour que le génie créateur des hommes fassent redémarrer l’économie capitaliste sur la base de nouvelles fonctions plus innovantes, productrices, compétitives, etc.

Cette théorie libérale n’est probablement pas fausse en elle-même. Le problème est que la transition de « destruction créatrice » est terriblement ravageuse pour les êtres humains, en particuliers les plus démunis et les plus faibles.

C’est ici qu’intervient l’alternative keynésienne. Dans les années 1930, la crise née en 1929 aux Etats-Unis a contaminé l’ensemble de la planète et jeté des dizaines de millions de chômeurs dans la misère la plus profonde. La « destruction créatrice » met du temps à faire son œuvre et les plus désespérés en viennent soit à appeler de leurs vœux des régimes autoritaires d’extrême-droite, soit à prendre en exemple de le modèle marxiste de l’Union soviétique, beaucoup moins touché par la crise mondiale car quasi-autarcique.

Contrairement à ce qu’affirment moult auteurs libéraux, Keynes ne tourne nullement le dos au libéralisme économique classique. Il préconise même, en période de croissance, un Etat relativement réduit et peu, ou pas, impliqué dans l’économie[iii]. Mais Keynes innove en ciblant l’action économique de l’Etat non plus exclusivement sur la politique budgétaire, mais aussi, et surtout, sur la politique monétaire. Il a bien conscience que le mécanisme du crédit ne fera que retarder l’échéance de bas de cycle du capitalisme, en accroissant qui plus est son effet dévastateur par l’explosion des bulles spéculatives[iv]. Il préconise alors de recourir à la création monétaire (la fameuse « planche à billets ») afin de financer des investissements publics[v] à grande échelle. Cette mesure a un double avantage : elle permet d’une part à l’Etat de relancer massivement l’économie sans grever son budget pendant une période où les acteurs privés, dont la confiance est plombée par la conjoncture économique, rechignent à la faire ; et d’autre part de générer une inflation maîtrisable qui diminue la valeur des créances et dégonfle la bulle du crédit[vi]. Tout le génie keynésien est là.

Or, force est de constater que la politique suivie par le gouvernement actuel (et d’une manière plus générale par l’ensemble de la zone euro[vii]) n’a rien de keynésienne. Et ce pour une simple raison : ce gouvernement n’est pas maître de la monnaie. Si nous étions actuellement confrontés à une politique keynésienne, l’Etat investirait massivement dans les infrastructures[viii] et la recherche et nous connaîtrions une inflation d’au moins 4 à 5%[1].

Au final, et ce dans la droite lignée de son prédécesseur, la politique économique de M. Hollande n’est ni libérale, ni marxiste, ni keynésienne, ni même une vague tentative de compromis entre les deux. Elle n’est qu’une politicaillerie à la petite semaine, faites d’atermoiements et de retour en arrière au gré de l’humeur médiatique du moment et des corporatismes qui crient le plus fort, le tout corseté dans les dogmes imposés au nom de la construction européenne (monétarisme, règle d’or, obsession compulsive de la réduction de la dépense publique, imposition généralisée de normes ultra-intrusives, etc.) . Rien ne pourrait être pire pour notre pays.

[1] Sur le sujet de l’inflation, lire L’Arnaque du mode de calcul de l’inflation et Non, inflation ne rime pas avec révolution.

[i] On notera notamment cette tribune de l’indémodable saltimbanque Jean-Marc Sylvestre, bon petit soldat du néolibéralisme (sauf lorsqu’il s’agit de se faire sauver la vie dans un hôpital public …) : http://www.atlantico.fr/decryptage/pourquoi-gauche-ne-se-resout-pas-tuer-keynes-jean-marc-sylvestre-874910.html

[ii] Non seulement le marxisme a été la matrice de terribles totalitarisme, mais en plus il n’a même pas résolu ce qui était initialement l’une de ses raisons d’être : mettre fin aux crises cycliques qui ravageaient les conditions sociales et économiques des plus démunis. La situation économique de l’Union soviétique au cours de son histoire est très éclairante sur le sujet.

[iii] De même d’ailleurs qu’à l’opposé (ou supposé opposé), Adam Smith préconisait l’action de l’Etat dans les domaines dans lesquels le marché montrait ses limites, notamment l’éducation et la construction des infrastructures.

[iv] Notamment à travers la notion de trappe à liquidité.

[v] Il s’agit bien de financer des investissements publics, ce qui est très différent d’une simple relance par la consommation comme l’affirment nombre de propagandistes néolibéraux de mauvaise foi. En économie ouverte telle qu’est la nôtre actuellement, toute relance par la consommation serait irrémédiablement promise, au mieux, à un demi-échec (ou une demie-réussite …).

[vi] L’hyperinflation générée par la création monétaire keynésienne relève largement du mythe. Ainsi, la fameuse hyperinflation de la République de Weimar des années 1920 provient essentiellement de la situation économique et sociale catastrophique de l’Allemagne de l’après 1ère guerre mondiale, en état de quasi guerre civile et devant s’acquitter de dommages de guerre qui vident sa réserve en or, entraînant un cercle spéculatif contre le mark. De même, l’hyperinflation qu’ont connu de nombreux pays du Tiers-monde, notamment en Amérique latine, s’est le plus souvent produite lorsque ces pays ont arrimé leur monnaie à une monnaie étrangère (générallement le dollar), interdisant alors tout recours au système keynésien …

[vii] Paradoxalement, les pays pratiquant encore un ersatz de politique keynésienne sont ceux réputés les plus libéraux : le Royaume-Uni et les Etats-Unis faisant allègrement tourner la planche à billets (et connaissant d’ailleurs une situation économique largement moins catastrophique que la nôtre).

[viii] Par exemple dans les logements, problèmes majeurs depuis des décennies en France et source de création de très nombreux emplois, en grande partie non qualifiés.

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B
Je suis globalement assez d'accord. Il est difficile de résumer la pensée de Keynes en quelques lignes. 1. Keynes était évidemment un libéral, son ambition était de sauver le capitalisme libéral du risque de socialisme. 2. Keynes pensait que le marché s'équilibre (offre = demande) dans tous les cas assurant une allocation efficiente des ressources (capital et travail), mais cet équilibre ne garantit pas la pleine utilisation des facteurs de production, ce qui est le cas le plus souvent. Keynes montre l'existence d'un équilibre de sous-emploi (années 1930) - ce qui justifie l'existence d'un chômage involontaire (alors que pour les néoclassiques le chômage est toujours volontaire car les chômeurs ne veulent pas travailler au salaire déterminé par le marché). 3. L'équilibre de sous emploi s'explique par un niveau trop bas de la demande. Il faut rehausser ce niveau qui sera satisfait par une production accrue nécessitant un niveau d'em:ploi plus élevé. Pour agir sur la demande (hausse en cas de dépression - baisse en cas de surchauffe), trois instruments de politique économique sont disponibles : la politique monétaire (taux d'intérêt...), la politique budgétaire (dépense publique...) et la politique de change. 4. Les néolibéraux ont "neutralisé" la monnaie (BCE - "indépendante"), annihilé la politique budgétaire (budget "validé" par Bruxelles) et remis la politique du change (dévaluation...) à la BCE qui gère l'Euro comme lui impose...
Répondre
L
Bonsoir,<br /> <br /> <br /> Aucun problème pour répondre quand vous le souhaitez à un article : je laisse les commentaires ouverts à demeure.<br /> Je partage entièrement votre vision des politiques économiques américaine et britannique. C'est d'ailleurs pour cela que je dis qu'il ne s'agit que d' &quot;ersatz&quot; de politiques keynésiennes, mais tout de même un tout petit peu plus keynésiennes que les aberrations menées en zone euro. ce qui est d'ailleurs très fort dans ce registre, c'est que les thuriféraires d'aujourd'hui du &quot;modèle&quot; allemand mais d'hier du &quot;modèle&quot; anglo-saxon (JM Sylvestre, Alain Minc et tant d'autres), ne cessent de dénoncer le keynésianisme français (ce qui est un total contre-sens : la France n'étant pas maître de sa monnaie, elle ne peut pratiquer une politique keynésienne), oubliant bien vite que leurs modèles d'hier, eux, n'ont de cesse de se servir de la politique monétaire (pilier du keynésianisme), certes à tort et à travers et à la petite semaine.<br /> <br /> Amicalement.
T
Désolé pour ma réponse bien tardive. Je suis d'accord avec vous sur votre analyse du Keynesiame (qui m'éclaire beaucoup plus que ce que j'ai lu par ailleurs sur ce sujet).<br /> Par d'accord en revanche sur le caractère &quot;Keynésien&quot; des politiques américaines et anglaises, qui me paraissent aussi relever (quoicque de façon différente) du traitement à la petite semaine que vous évoquiez à propos de la France. Si les US et la GB avaient été vraiment Keynésien, ils auraient nationalisé ou accepté la faillite d'un certain nombre d'établissements banquaires en 2008, et accepté la perte d'un certain nombre de créances douteuse, tout en utilisant la création monétaire pour changer réelement de société en assurant la promotion de nouveaux modes de production, en favorisant l'innovation etc...toutes choses qui ont cours actuellement en particulier aux US, mais sans être autant encouragées qu'elles ne le devraient. <br /> La réalité est que M Obama savait qu'il était souhaitable d'investir dans les transports les nouvelles technologies, etc (cf. par exemple son discours sur le TGV français). Dans la réalité des faits, il a du se soumettre au dictat des financiers (peut être parce qu'il n'avait pas de Joseph Kennedy à sa disposition pour leur faire plier l'échine), et sauver (temporairement) le système, au lieu d'accompagner sa mutation, ce qui fait que nous sommes probablement à la veille d'un éffrondrement bien plus grave que celui qui menacait en 2008...
L
entièrement d'accord. Et c'est bien pour cela que la situation actuelle est une impasse complète. &quot;L'inversion de la courbe du chômage&quot; est un leurre intégral.